Présenté à la Berlinale, puis au LuxFilmFest en 2019, la coproduction grand-ducale (Deal Productions) Flatland arrive, enfin, en salle. Ce drame de Jenna Bass mélange avec brio roadmovie, voyage initiatique et western.
C’est jour de mariage, ce 17 juin, dans la petite ville sud-africaine de Leeu-Gamka. Une de ces petites bourgades sur la route entre Le Cap et la zone minière de Kimberley. Les paysages semblent magnifiques, mais le lieu désertique et hostile. Alors on se raccroche à ce qu’on peut, à la religion, à la paroisse et au mariage traditionnel.
En ce jour, Natalie épouse Bakkies. Elle est noire. Il est blanc. Ce pourrait être une belle histoire dans cette nation arc-en-ciel post-apartheid, mais il n’en sera rien. Car la jeune femme semble d’entrée déboussolée. Dans sa robe de mariée, on croirait presque une petite fille qui joue à épouser son amoureux.
Les relations sociales ne sont pas son fort. À peine la cérémonie terminée, elle délaisse époux, pasteur et invités pour se rendre auprès de son cheval, Oumie. À travers lui, elle s’adresse à sa mère disparue, elle lui demande de l’aide. « Je ne sais pas ce que je suis censée faire maintenant », avouera-t-elle à son mari une fois que les deux ont rejoint leur chambre nuptiale. Il prendra alors les choses en main, à sa manière, brutalement. Et malgré des « attends s’il te plait » et les « non » répétés de la mariée, il la pénètrera sans ménagement.
En réaction, elle va prendre le pistolet de son policier de mari, le mettre en joue puis s’enfuir avec l’arme. De retour auprès de son cheval, elle devra faire face aux remontrances et à la violence du religieux qui l’a mariée quelques heures plus tôt. En situation d’auto-défense, elle finira par lui tirer dessus. La voilà donc sur la route avec du sang sur les mains. Mais avant de prendre le large, elle passera prendre sa « sœur » Poppi, jeune écolière blanche, élevée par la mère de Natalie et enceinte jusqu’aux yeux. Et c’est parti pour une cavale digne de Thelma et Louise.
Pendant ce temps, en ville, la capitaine de police Beauty Cuba reçoit un appel d’un ancien collègue de Leeu-Gamka : Son ex-fiancé, Billy, sorti la veille de prison après une condamnation de 15 ans, vient d’avouer le meurtre du pasteur. La policière va se rendre sur place pour mener sa propre enquête et faire jaillir les incohérences de la version officielle. Un dossier monté de toutes pièces par Bakkies qui espère récupérer sa femme.
Les deux histoires vont rapidement se croiser, s’entremêler. Car la prétendue innocence des unes condamne irrémédiablement les autres. Et cela Beauty, n’est pas prête à l’accepter.
Avec ces ingrédients, la réalisatrice Jenna Bass, fera un mélange intéressant entre western, policier, roadmovie et voyage initiatique. Un film nerveux, avec de nombreuses utilisations de la caméra à l’épaule, entrecoupées par des très gros plans de paysages à couper le souffle. Et dans ces décors à la fois grandioses et inhospitaliers, elle jettera ce duo de jeunes filles paumées, à cheval, poursuivies par ce shérif des temps modernes.
Le résultat donne une histoire de femmes à la vitesse d’un cheval au galop. Trois anti-héroïnes piégées dans une société sud-africaine où les nombreux relents racistes sont accompagnés par une grande violente, une consommation excessive d’alcool et une bonne dose de machisme. Trois femmes qui vont néanmoins parvenir, dans l’adversité, à se dévoiler à elles-mêmes. La transformation de Natalie est la plus évidente ; la petite fille ultra-naïve des débuts va laisser place à une jeune femme qui s’assume pleinement en société, et qui assume également sa sexualité.
La réalisatrice offre à ses spectateurs quelques très belles scènes pleines de symboles : celle de la chorégraphie de Natalie et Poppie signe la fin de leur innocence, celle du concert dans un bar miteux, le moment le plus paisible du récit, celle de la fusillade – incontournable de tout bon western – le climax entre les deux clans en présence…
Jenna Bass donne surtout vie à des personnages attachants. Ici, pas de méchants – bien que les hommes ne soient pas vraiment représentés sous leur meilleur jour – juste des pauvres êtres avec des buts distincts. On ne saura pas pourquoi Natalie a épousé Bakkies, ni la véritable relation entre Natalie, Poppie et leur « mère ». La cinéaste est avare en informations et laisse le spectateur compléter le récit.
Reste que le film tire un peu en longueur et aurait gagné à être un peu plus concis. Dommage, car pour le reste, ce récit hybride dans ces décors pour le moins inhabituels dans les films qui arrivent dans nos salles, a tout de même de beaux atouts.