Le nouveau Jo s’appelle Carl. À partir de mi-avril, Carl Adal-
steinsson succèdera à Jo Kox, qui prendra sa retraite en juillet, en tant que premier conseiller de gouvernement au ministère de la Culture. Ce poste est considéré comme une position-clé en matière de politique culturelle dans le pays. Cette nomination a d’abord surpris parce qu’Adalsteinsson est plutôt un homme discret. Même s’il sait se faire entendre et ne se prive pas de donner son avis, ce n’est pas le premier à qui l’on pense dans un paysage où les égos prennent beaucoup de place. On ne lui connaît pas non plus d’affinités ou de background politiques, ce qui est souvent un prérequis à ce type de fonction. Ce choix a été bien accueilli dans la sphère culturelle car il est considéré comme un connaisseur de la scène, un habitué du terrain qu’il occupe depuis vingt ans, d’abord à la Philharmonie, puis au Centre des arts pluriels d’Ettelbruck (Cape) dont il est actuellement directeur artistique.
Il relate au Land comment il a été recruté. « J’ai rencontré Eric Thill pour la première fois au pot de nouvel an du ministère de la Culture. » On comprend entre les lignes, même si ce n’est pas vérifiable, que le ministre libéral de la Culture n’a pas fréquenté le centre culturel, pourtant voisin de la commune de Schieren où il était bourgmestre. « Quelques jours après, il m’a proposé un rendez-vous pour faire plus ample connaissance, parler de la culture, de l’avenir de la scène, puis finalement de mon avenir », poursuit Carl Adalsteinsson. Il ne savait donc pas qu’il était convié à une sorte d’entretien d’embauche. Plusieurs rendez-vous ont suivi, peaufinant l’approche de chacun pour se convaincre mutuellement de la possibilité de travailler ensemble. « Son analyse du secteur m’a semblé pertinente et je suis en accord avec les priorités qu’il a fixées », estime le futur premier conseiller. Il a aussi été sensible au fait que le ministre ait défendu la liberté d’expression lors des frictions entre le caricaturiste Carlo Schneider et le député ADR Tom Weidig.
Jo Kox était un peu considéré comme un « ministre bis », omniprésent, omnipotent, notamment parce que l’ancienne ministre de la Culture, Sam Tanson (Déi Gréng), était aussi celle de la Justice, ce qui lui prenait du temps et laissait de la place aux appétences de son premier conseiller. Carl Adalsteinsson ne s’imagine pas être aussi en vue : « Depuis mon adolescence, je sais que j’aime être derrière la scène plutôt que devant ». Un goût qui se vérifie au long du parcours de cet homme de 44 ans où la musique a toujours tenu une place importante.
Comme son nom le suggère, son père est Islandais, arrivé dans les années 1970 comme mécanicien de la compagnie aérienne Loftleidir (ancêtre d’Icelandair), puis devenu pilote pour Cargolux. Il a épousé une Luxembourgeoise. La famille était installée dans le quartier du Kiem au Kirchberg, « une campagne à côté de la ville ». Le jeune Carl s’intéresse tôt à la musique et commence ses classes à l’école de musique du coin et à la fanfare de Clausen où il joue d’abord de la trompette, puis des percussions. Il poursuit au Conservatoire de Luxembourg, diversifie les instruments, ajoute le chant choral et passe du Lycée Robert Schuman à l’Athénée pour s’inscrire en section F, spécialisée en musique.
Carl Adalsteinsson suit un cursus franco-allemand à l’Université de Provence (Médiation culturelle des arts) et à l’Universität Hildesheim (Diplom-Kulturwissenschaftler). « Les deux universités avaient une approche différente du sujet. Les Français étaient tournés vers les aspects sociaux et s’intéressaient au public ; les Allemands étaient plus centrés sur les œuvres et la compréhension de l’art », se souvient-il. Pendant ses années d’études, celui qui se définit comme « pragmatique » travaillera comme stagiaires dans une série d’institutions comme le Festival de Salzbourg ou celui d’Aix-en Provence et la Philharmonie de Luxembourg. Il intègre l’équipe en 2005 et il occupe successivement différents postes dans les départements de production et programmation. Il prend aussi une part active dans le processus de fusion entre la salle de concerts et l’orchestre philharmonique en 2012-2013. Un moment complexe où chacun « marchait sur des œufs » et où Adalsteinsson développe ses compétences « diplomatiques ».
Après presque dix ans au Kirchberg, « la faim d’avancer, le besoin de bouger » se font ressentir. Ainhoa Achutegui quitte le Cape pour Neimünster et Carl Adalsteinsson postule à la direction de l’établissement. « Cela m’enthousiasmait de voir comment on travaillait hors d’une institution de prestige, dont les salles se remplissaient toutes seules. Comment on transmet un contenu culturel en région. » Il ne cache pas que la responsabilité de la direction artistique et de la programmation nourrissait aussi ses ambitions. Il commence alors un nouveau cycle de dix ans, même s’il ne le sait pas encore. Le premier défi pour cet homme de musique était de s’ouvrir à d’autres disciplines. « Le nom même de centre des arts pluriels, l’indique : le programme doit comprendre aussi de la danse, du théâtre et des arts plastiques. C’est un challenge de rester informé sur ces différents secteurs. » Le directeur artistique doit aussi composer avec une population peu aisée (Ettelbruck figure parmi les communes les moins bien classées de l’indice socio-économique), « où la curiosité vers la culture est moins marquée qu’en Ville ».
Le Cape se positionne comme « fournisseur culturel de proximité » et se singularise à travers quelques festivals réguliers et s’ancre dans le soutien aux artistes à travers des commandes et des coproductions avec d’autres centres culturels régionaux. Carl Adalsteinsson figure d’ailleurs parmi les membres fondateurs du Réseau des centres culturels régionaux. « Je n’ai pas le temps de m’ennuyer en étant investi dans différents réseaux et fédérations ». Ces dernières années, il a orienté son action sur la politique culturelle et le travail associatif de lobbying : Theater Federatioun, Assitej (Association Internationale du Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse) ou l’Alliance Musicale dont il est un des fondateurs. Ces groupements ont été particulièrement actifs pendant le Covid pour défendre les intérêts des artistes et des établissements culturels. « On était en contact quasi permanent avec Jo Kox et le ministère pour analyser et vérifier que les lois et les règles ne lèsent pas le secteur. » Depuis, on trouve le nom d’Adalsteinsson dans de nombreuses prises de position et documents stratégiques sur la politique culturelle. Dans une interview donnée au Wort l’été dernier, il se considérait comme un « observateur critique et respectueux » de la politique culturelle.
Un premier pied était déjà dans la porte des Terres Rouges. Avant d’y mettre les deux pieds, Carl Adalsteinsson a encore du pain sur la planche. Outre le recrutement de son successeur, il veut finaliser la programmation de la saison prochaine et s’assurer que les festivités pour le 25e anniversaire du Cape en 2025 sont sur de bons rails. Prudent et rigoureux, il veut aussi se préparer au mieux à la tâche qui l’attend : « J’ai à peine trois mois pour lire les lois, analyser les budgets, me procurer le vocabulaire, connaître les équipes. Heureusement que je travaillerai quelques mois avec Jo pour apprendre le plus possible. » Avec les messages de félicitations qui lui sont parvenus en apprenant sa nomination, vient aussi « la pression de la scène culturelle dont les attentes sont grandes ». Passant « de l’autre côté de la barrière » la peur de décevoir ses anciens partenaires le taraude. Pour des raisons déontologiques évidentes, le premier conseiller devra aussi renoncer à divers mandats. « C’est bien normal, mais ça m’attriste de m’éloigner de ces activités. »
Le périmètre d’action du ministère de la Culture étant élargi, notamment avec les domaines de la langue, l’importance croissante du patrimoine ou le nombre plus grand d’établissements public, les tâches du premier conseiller seront aussi plus larges. Aussi, le ministère est en train de constituer un véritable cabinet englobant plusieurs personnes. Aux côtés de Carl Adalsteinsson, le ministre Eric Thill a appelé un proche : Gene Kasel. Le jeune homme de 32 ans vient de la même région que le ministre, il a grandi à Colmar-Berg et vit à Ettelbruck. Ils ont aussi tous les deux travaillé au groupe parlementaire DP : Thill y était attaché parlementaire tandis que Kasel en est le secrétaire. Auprès du Journal, le futur conseiller de gouvernement première classe se décrivait, en 2022, comme « une personne réservée, discrète, qui n’a pas besoin d’être au premier rang partout. » Pas de querelle d’égo en vue.