« Luxembourg’s new PM wants to be the EU’s Orbán whisperer ». Ce n’est certainement pas le titre que Luc Frieden voulait voir figurer au-dessus de sa première interview accordée à la presse internationale. Mais c’est bien celui qu’a choisi Politico pour résumer son long entretien avec le Premier ministre. Les citations directes de l’article sont, par contre, bien celles de Frieden, et elles restent relativement ambiguës. Il devrait encore « mieux comprendre » Viktor Orbán et la position hongroise, dit le Premier. Il serait d’ailleurs parfois « choqué » du manque d’efforts des États membres pour se comprendre les uns les autres. Luc Frieden a tenté d’improviser sur le thème bettelien du « Brécke bauen ». La sortie off script a fait un bide et a provoqué un petit shitstorm au Luxembourg. La réaction de Luc Frieden fut celle d’un amateur : « J’ai été mal cité », se plaignit-il face à Radio 100,7. Une accusation qui a dû sérieusement irriter la rédaction de Politico. Mais surtout une maladresse : Frieden aurait pu simplement dire qu’il avait été « mal compris ».
La combinaison entre psychorigidité et confiance en soi génère souvent du burlesque. En avril 2013, Luc Frieden donna une interview à la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung dans laquelle il annonça par inadvertance la mort imminente du secret bancaire. La nouvelle explosa comme une bombe pendant un dimanche paisible. Le plan initial avait été de laisser Juncker en faire part lors de son discours sur l’état de la nation. Une année plus tôt, Luc Frieden s’était déjà fait démonter par la journaliste d’investigation Elise Lucet dans une émission dédiée aux tax rulings. (C’était le début de ce qui allait déboucher sur Luxleaks.) On y voit Luc Frieden installé sur un fauteuil Louis XVI dans la résidence de l’ambassadeur du Luxembourg en France. Il semble très sûr de lui, lançant un petit clin d’œil à Lucet avant le démarrage de l’interview. Mais à fur et à mesure que les questions se précisent, son sourire se fige, ses réponses (légalistes) se raccourcissent et ses silences (gênés) s’allongent. La performance sera jugée « désastreuse » (Paperjam), « zum Fremdschämen » (Land). Même le très légitimiste Stéphane Bern regrettait dans Paris Match « une mauvaise communication gouvernementale » qu’il critiqua comme « maladroite ». Au lendemain de la diffusion, Frieden convoqua la presse autochtone. Aucune auto-critique de la part du ministre ; ni sur sa performance médiatique ni sur la fabrique à rulings. Il préféra fustiger France 2 qui s’en prendrait à un « petit pays » en pratiquant « un journalisme peu sérieux » et en posant « des questions tendancieuses ». Deux ans plus tard, les révélations Luxleaks changeront le paysage fiscal international, et accessoirement la législation sur les lanceurs d’alerte.
Devenu président du CA des Éditions Saint-Paul, Luc Frieden limoge le rédacteur en chef du Wort, Jean-Lou Siweck, en septembre 2017. En amont, il avait réuni toute l’équipe rédactionnelle pour les informer que le pendule avait viré trop à gauche, et qu’elle allait désormais faire un retour à droite, « mais il faudra l’arrêter au centre-droite ». En février 2023, le Wort (devenu la propriété de Mediahuis) rappelait cet épisode dans ses colonnes : « Er geriet in die Kritik, weil er versuchte, Einfluss auf die redaktionelle Ausrichtung der Zeitung zu nehmen ».
Assermenté Premier ministre, Luc Frieden réserva une de ses premières interventions au Paperjam + Delano Business Club. S’exprimant comme ministre des Médias, il estima que les « observations critiques » étaient « utiles ». Mais il précisa illico : « Pour autant qu‘elles soient dans des formes acceptables ». Pour enfin rassurer : « Ce qui est toujours le cas chez Paperjam et Delano ». Le 26 janvier, Luc Frieden estimait face au Quotidien que le débat sur la mendicité serait « largement exagéré ». Trois jours plus tard, il expliquait sur Radio 100,7 qu’il était maintenant temps « de passer à d’autres sujets ». La presse pourrait par exemple parler du « pouvoir d’achat » que son gouvernement aurait renforcé. Au Tageblatt, il racontait que la couverture médiatique de l’interdiction de la mendicité serait « einseitig ». C’est ce que lui auraient dit « beaucoup de gens ».