Loi sur l'entrée et le sejour des étrangers

Le test du marché

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2007

Dans les prochains jours, le ministère des Affaires étrangères etde l’Immigration bouclera ses travaux sur le texte de réforme de la loi de 1972 sur l’entrée et le séjour des étrangers (dite « loi Schaus »), qui deviendra la « loi sur la librecirculation des personnes et l’immigration ». Il est prévu de déposer le projet de loi début octobre pour, dans le meilleur des cas, une adoption par le parlement d’ici l’été 2008. Le ministre délégué Nicolas Schmit (LSAP), visant un large consensus sur la question, a fait précéder la finalisation du projet de loi par une large consultation publique sur les grandes orientations contenues dans l’avant-projet de loi, présenté fin juin, avisé depuis lors par les associations d’étrangers, ONGs, commissions consultatives, syndicats et organisations patronales et discuté cette semaine à la commission parlementaire compétente.

Cette procédure est saluée aussi bien par le président de cette commission, Ben Fayot (LSAP), que par l’opposition. « La démarche du ministre a surtout permis à la société civile de faire ses remarques sur le projet, en amont de la procédure législative, » se réjouit par exemple le député vert Félix Braz. Qui, toutefois, regrette en même temps le retard avec lequel cette réforme a été lancée, sous la pression de Bruxelles, qui demandait la transposition d’un certainnombre de directives dans ce domaine, alors même que le grand-duché aurait disposé, avec le rapport du député CSV MarcelGlesener pour la commission spéciale immigration (2004), ainsique l’avis « Pour une politique d’immigration et d’intégration active » du Conseil économique et social (2006), de suffisamment depistes pour lancer la réforme de son propre chef.

Outre la transposition de la directive européenne 2004/38 sur la libre circulation des citoyens de l’Union européenne, les deux grandes nouveautés de cet avantprojet de loi sont d’une part l’introduction d’un permis unique pour ressortissants de pays tiers, appelé « autorisation de séjour » – donc l’abolition de l’autorisationde travail – et de l’autre la différenciation en onze catégories distinctes de ces autorisations de séjour, couplée chacune de droits et devoirs spécifiques – donc plus de transparence. 

Celle qui sera la plus demandée, restera sans aucun doute l’autorisation de séjour pour travailleur salarié. Si le grand principe d’une priorité à l’embauche des nationaux, puis des ressortissants del’Espace économique européen (EEE) prévaut, un ressortissantd’unpays tiers peut néanmoins demander une telle autorisation,pour autant que «l’exercice de l’activité visée sert les intérêts économiques du pays », qu’il « dispose des qualifications professionnelles pour l’exercice de l’activité visée » et qu’il est en possession d’un contrat de travail pour un poste déclaré vacant auprès de l’Adem (article 40). Dans son avis du 10 septembre, l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), tout en se montrant compréhensive pour les raisons du protectionnisme du marché du travail qui régit le texte, met en garde qu’il « risque de porter préjudice au ressourcement indispensable des entreprisesluxembourgeoises en termes de personnel porteur de savoir et de compétences exogènes ». Aussi, les patrons estimentils la condition de « servir les intérêts économiques du pays » superfétatoire et demandent qu’une promesse d’embauche puisse suffire à l’accord d’une autorisation de séjour.

Actuellement, le salarié d’un pays tiers est extrêmement dépendantde son patron, car, selon le permis qu’il a, il ne peut travailler quepour ce seul patron qui l’embauche. L’avancée de la nouvelle procédure est qu’elle lui accordera un peu plus de liberté : le premier titre de séjour est valable pour une durée maximale d’un an pour unseul secteur économique et pour une seule profession, mais pourtout employeur. Donc il pourrait, en principe, en changer en coursd’année. L’autorisation est par la suite renouvelable pour deux ans,période durant laquelle le détenteur peut changer de secteur économique ou de profession, si le poste qu’il vise ne peut être occupé par un ressortissant de l’EEE.

Après le deuxième renouvellement, donc après trois ans, le travailleur  salarié obtient une autorisation de séjour de trois ans valable pour tout secteur économique et toute profession. Ce renouvellement peut alors se faire consécutivement pour chaque fois trois ans, mais doit être demandé par le salarié.

Le législateur estime que le salarié a alors réussi le « test du marché ». La Commission des résidents étrangers (CRE) du LCGB, tout en saluant l’abolition des différentes catégories de permis de travail, se demande pourquoi il était nécessaire de compartimenter ainsi l’accès au marché du travail et souhaite que, une fois que l’étranger a le droit de travailler au Luxembourg, il ne soit plus limité dans son choix professionnel. Or, s’il y a bien un consensus politique très large sur le besoin de réformer la loi de 1972 et de faciliter les procédures administratives de l’immigration, c’est sur la base d’une immigration choisie, dictée par la « faim du marché » du travail et de l’économie luxembourgeoise et non pas par la faim littérale de ceux qui veulent émigrer de chez eux – appelée « immigration subie ». Cette volonté d’une immigration choisie, demandée par les entreprises notamment, qui n’arrivent pas à combler leurs besoins en main d’oeuvre sur le marché européen, prévaut dans tous les travaux préparatoires de la loi. Selon les chiffres fournis lors de la présentation, en juin, par le ministre délégué, quelque dix pour cent des 13 500 migrants qui se sont installés en 2005 au Luxembourg étaient des ressortissantsde pays tiers. 

À côté des travailleurs salariés, qui constituent la majorité des cas,l’avant-projet de loi introduit des droits spécifiques pour une dizained’autres catégories, pour diverses raisons de demander une autorisation de séjour, qui étaient jusqu’à présent régies par de simples « pratiques administratives ». Avec le nouveau texte, ces droits deviendraient des acquis, les pratiques beaucoup plus transparentes. Ainsi, une autorisation de séjour pour travailleur indépendant, sans base légale jusqu’à présent, pourra être accordée si la personne a un projet d’entreprise et un budget prévisionnel pour trois ans au moins. Les sportifs auront désormais leur propre autorisation de séjour d’un an renouvelable – les clubs de basket par exemple, qui embauchent chaque année des joueurs américains disent merci. 

Les étudiants des pays tiers (ainsi que les élèves, stagiaires ou volontaires) ont droit à une autorisation valable un an et renouvelable, sur base d’une inscription à un établissement d’études au Luxembourg et de la preuve qu’ils disposent des ressources nécessaires, mais ne peuvent rester qu’un an pour travailler après la fin de leurs études. Ici joue l’idée d’« immigration circulaire », prônée par les politiques de coopération, qui veut que lespays développés accueillent des étudiants de pays tiers pour la transmission des savoirs, mais les encourage à rentrer chez eux pour faire profiter les économies locales de ce savoir et éviter que le brain drain n’assèche les économies locales. L’accès des chercheurs au territoire luxembourgeois et à un poste dans la recherche sera considérablement facilité, se basant sur une simple « convention d’accueil » délivrée par l’organisme de recherche agréé qui les emploie. Une grande avancée pour la recherche locale, on se souvient qu’aux débuts de l’Université balbutiante, c’était souvent la croix et la bannière de convaincre un fonctionnaire de la chance unique de pouvoir embaucher un grand spécialiste chinois ou russe, l’employeur devant alors quasiment prouver la non-disponibilité de ces compétences sur le marché européen. 

L’avant-projet de loi prévoit en outre unstatut de « travailleur hautement qualifié » donnant automatiquement accès à une autorisation de séjour de trois ans renouvelable, pourvu que le demandeur dispose d’undiplôme universitaire ou d’une expérience professionnelle spécialisée, qu’il occupe un poste à responsabilité et atteigne une rémunération d’un niveau certain.

L’UEL toutefois fait remarquer qu’un jeune spécialiste n’accèdepas tout de suite ni à un poste à responsabilité ni à une telle rémunération, mais que son savoir peut néanmoins être unique.D’autres autorisations de séjour prévues dans le texte se basent surdes considérations privées – regroupement familial, grande fortunedisposant de ressources suffisantes – ou humanitaires – traitementmédical, victimes de la traite des êtres humains, régularisationindividuelle après huit ans de présence clandestine ou d’une scolaritéd’au moins six ans. Les associations de défense des étrangers et des droits de l’homme saluent unanimement la nouvelle transparence prévue dans cet avant-projet de loi, mais elles sont  tout aussi unanimes à regretter l’absencedu volet intégration dans ce projet de loi. Il appert que cette division en deux projets de loi distincts,alors que l’immigration et l’intégration sont forcément indissociables,relève tout banalement de la logique de coalition : au LSAP le volet immigration, mais le CSV insiste sur le fait que l’intégration relève de ses ressorts. Le ministère de Marie-Josée Jacobs serait en train de travailler sur une réforme de la loi de 1993. Les députés toutefois insistèrent cette semaine sur un traitement parallèle des deux volets au parlement afin de pouvoir vérifier qu’il n’y ait pas de lacunes entre les deux textes. 

En outre, la réforme de la législation sur l’immigration et la libre circulation touche également la loi sur la nationalité, pour laquelle le ministre de la Justice Luc Frieden (CSV) a déposé un projet de loi l’année dernière. En effet, les deux projets réforment de fond en comble les statuts des citoyens qui se trouvent sur le territoire luxembourgeois : le projet de Nicolas Schmit allège les formalités administratives pour les citoyens européens et supprime l’exigence d’un titre de séjour pour eux. En outre, un citoyen européen peut, après cinq ans de séjour légal ininterrompu, demander le « droit de séjour permanent » dont les droits se rapprochent de ceux du citoyenluxembourgeois. Un ressortissant d’un pays tiers quant à lui pourra,après cinq ans de séjour légal et ininterrompu au Luxembourg, demander le statut de « résident de longue durée », qui se rapprochedu statut du citoyen européen. 

Donc, si ces deux nouveaux statuts ouvrent des droits conséquents au Luxembourg, il devient de moins en moins attractif de demander la nationalité luxembourgeoise – que le projet de loi Frieden rend assez difficile à acquérir, en imposant par exemple une résidence de sept ans, des tests de langue et des preuves d’intégration. Les deux grandes différences notables entre le statut de résident de longue durée ou permanent et la nationalité seront alors l’accès à la fonction publique – et encore, l’Europe finira bien par avoir raison à ce dernier  bastion des nationaux – et la participation politique – les élections communales ont prouvé que ce « privilège » est loin d’être sexy. À force de protectionnisme, les politiques risquent de voir leur base électorale fondre comme neige au soleil. 

 

josée hansen
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