Réforme du droit d'asile

Difficile partage du travail

d'Lëtzebuerger Land vom 08.09.2005

Droit au travail ou droit de travailler? La question, pas si académique que cela, a été discutée passionnément en France et au Luxembourg avant les référendums respectifs sur le Traité établissant une Constitution pour l'Europe. En effet, si le premier paragraphe de l'article II-75 sur la liberté professionnelle et le droit de travailler stipule que «toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée», cela implique un droit pour le citoyen. Alors que le «droit au travail» entraîne une obligation pour l'État de créer des emplois en nombre suffisant pour que tous ses citoyens puissent invoquer ce droit. Pour les demandeurs d'asile, personne ne songe même à parler d'un droit au travail, mais rien que la question de l'accès somme toute assez théorique des demandeurs d'asile au marché de l'emploi luxembourgeois déchaîne les passions des députés, du gouvernement, des conseillers d'État et des ONG actives dans le domaine. En résumé, le projet de loi 5437 «relatif au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection » (d'Land 06/05) stipule dans son article 14 que les demandeurs d'asile ont, en principe, accès au marché du travail si leur dossier n'a pas été traité endéans un an après le dépôt de la première demande. Cette clause n'est en fait qu'une application de l'article 11 la directive 2003/9/CE du conseil de l'Union européenne, dite «directive accueil», selon lequel «si une décision en première instance n'a pas été prise un an après la présentation d'une demande d'asile et que ce retard ne peut être imputé au demandeur, les États membres décident dans quelles conditions l'accès au marché du travail est octroyé au demandeur.» La formulation du projet de loi luxembourgeois est extrêmement négative: «les demandeurs n'ont pas accès au marché de l'emploi pendant une durée d'un an après le dépôt de leur demande de protection internationale». Si, toutefois, la demande ne reçoit pas de réponse après un an, le ministre responsable de la politique d'asile peut délivrer une autorisation d'occupation temporaire pour une période de six mois renouvelable. Mais, comme si ces restrictions n'étaient pas suffisantes, «l'octroi et le renouvellement de l'autorisation d'occupation temporaire peuvent être refusés pour des raisons inhérentes à la situation, à l'évolution ou à l'organisation du marché de l'emploi.» Selon ces formulations, le demandeur d'asile a donc peu de chances réelles d'accéder un jour au marché de l'emploi, tout est fait pour l'éviter. Dans son avis du 3 mai assez radical – probablement dû à la présence de membres comme Agnès Rausch, militante pour les droits des réfugiés et de demandeurs auprès de Caritas –, le Conseil d'État parle même d'une «panoplie impressionnante de mesures administratives dissuasives» et considère pourtant l'article 14 comme «une disposition clé» du projet. Et d'écrire que «le Conseil d'État estime que l'État a un intérêt à ouvrir modérément le marché de l'emploi aux demandeurs de protection internationale, sachant que le maintien obligé dans l'oisiveté, aux frais du contribuable, génère forcément des effets négatifs tels que le travail au noir et la délinquance». Le Conseil d'État s'exprime en faveur de la délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire après six mois de procédure seulement et ce alors pour «toute la durée subséquente de la procédure» – donc plus uniquement pour une durée de six mois, certes renouvelable. En effet, considérant que le traitement administratif de la délivrance d'une telle autorisation peut prendre entre trois et quatre mois, cette clause engendrerait des charges administratives disproportionnées. Le Conseil national pour étrangers, dans son avis du 25 mai, se rallie à la proposition de réduire la durée d'attente à six mois et juge en plus la clause qu'une telle autorisation d'occupation ne peut être délivrée que pour un seul employeur et pour une seule profession comme étant trop limitative. Le CNE estime que la phrase afférente peut simplement être supprimée du texte, «dans l'intérêt de l'économie luxembourgeoise». Même le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), dans ses commentaires rédigés le 7 mars, se dit «préoccupé par le caractère très restrictif de cet article et encourage le Grand-Duché de Luxembourg à s'éloigner des standards minimaux adoptés en matière d'accès à l'emploi des demandeurs d'asile.» Pour l'UNHCR, toutes les mesures politiques en la matière doivent encourager l'autonomie du demandeur. Il propose un accès au marché du travail après six mois et une validité de cette autorisation d'un an au moins, tout en soulignant que les charges administratives doivent être réduites. Même son de cloche dans l'avis du Collectif réfugiés (Lëtzebuerger Flüchtlingsrot, LFR, du 17 février): «Si le gouvernement a l'ambition d'arriver à des décisions d'octroi ou de refus après six mois de procédure, le délai de douze mois avant l'accès au marché du travail est absurde.» Et, plus loin: «Le LFR considère qu'une application restrictive des dispositions portant sur l'accès au travail annihile tout effet concret de cet article». Ou: «Le LFR estime encore que les démarches administratives ne devraient pas être trop lourdes et les délais de traitement trop longs afin de ne pas vider de son sens cette disposition de l'accès au marché de l'emploi.» Le LFR s'exprime aussi pour un raccourcissement du délai d'attente avant obtention potentielle d'une autorisation d'occupation à six mois. Pris en tenaille entre cette unanimité des avis externes et la volonté de protectionnisme du marché du travail affiché par le gouvernement, la Commission du travail et de l'emploi de la Chambre des députés, consultée pour avis par celle de l'Immigration, en charge du dossier, proposa une première fois une solution consensuelle: coupant la poire en deux, elle choisit une durée se situant au milieu, entre six et douze mois, et propose d'inscrire un délai d'attente de neuf mois dans la loi. Cette proposition est reprise telle quelle dans les amendements que la commission parlementaire vient de transmettre, le 21 juillet dernier, juste avant les vacances politiques, pour avis complémentaire au Conseil d'État. Selon l'agenda politique, le projet de loi devrait pouvoir être discuté et adopté en première lecture en plénière d'ici novembre ou décembre. Mais comme les amendements proposés ne suivent pas toutes les recommandations du Conseil d'État – qui a émis un certain nombre d'oppositions formelles au projet de loi, notamment en ce qui concerne l'abolition prévue du double degré de juridiction –, la Chambre des députés s'attend à ne pas recevoir la dispense du second vote et de donc devoir faire une seconde lecture en début de l'année 2006 avant que la loi n'entre en vigueur d'ici le printemps. La question de l'accès au marché de l'emploi des demandeurs de protection internationale en procédure concernerait actuellement un millier de personnes au Luxembourg1. On pourrait donc la considérer comme assez théorique. Entre 1999 et 2000, le ministère du Travail, alors en charge de ce volet de la politique d'asile, avait ouvert le marché du travail aux demandeurs d'asile en délivrant des autorisations d'occupation temporaire de six mois. Mais après deux fois six mois et face à la dégradation de la situation du marché de l'emploi, avec une augmentation du taux de chômage, l'expérience ne fut jamais renouvelée depuis. À l'époque, une majorité de demandeurs avaient trouvé des emplois dans des secteurs à besoin de main d'œuvre peu qualifiée, par exemple dans le secteur de l'agriculture. La situation sur le marché de l'emploi ne s'est guère améliorée depuis lors, bien au contraire. Donc, le gouvernement semble craindre le reproche de ne pas le protéger suffisamment, d'autant plus que la majorité des chômeurs résidents de longue durée sont peu qualifiés. Mais la crainte la plus ouvertement formulée est celle d'une politique d'asile trop généreuse, notamment en permettant aux demandeurs de protection en attente de travailler et donc de s'intégrer d'une certaine manière au Luxembourg. Ce qui, craint-on, pourrait avoir un effet boule de neige en Europe et attirer un nombre toujours croissant de demandeurs de pays tiers, tentant de profiter des failles administratives (notamment l'attente générée par la surcharge de dossiers) pour s'installer définitivement en Europe. En 2004, seuls 5,2 pour cent des 1590 demandeurs d'asile dont les dossiers furent traités se sont vus accorder le statut de réfugié selon l'accord de Genève. Mais 381 personnes seulement ont été reconduites, notamment faute d'accords de réadmission et à cause de lenteurs dans la délivrance des permis nécessaires pour l'entrée sur les territoires d'origine. En tout, sur les 3000 demandeurs encore au Luxembourg, un millier furent déboutés, les autres 2000 sont encore en procédure. En 2000-2001, au moment de la grande mesure de régularisation des sans-papiers du gouvernement Juncker/Polfer, le ministre du Travail, François Biltgen (CSV) a toujours souligné avec emphase qu'il s'agissait d'une mesure unique – one shot. Aujourd'hui, des partis comme les Verts par exemple commencent à reparler d'une deuxième régularisation pour tous ceux qui attendent depuis trop longtemps soit une réponse à leur demande d'asile, soit une expulsion ou un quelconque changement dans leur situation d'éternelle attente. Une telle régularisation passerait, elle aussi, par le marché du travail.

1 Entre 850 et 900 personnes selon l'article 14 et quelque 302 personnes ayant obtenu le statut de tolérance, donc non éligibles pour le statut de réfugié mais ne pouvant être reconduites en raison de la situation dans leur pays d'origine et ayant, par l'article 22 du projet de loi, également accès au marché du travail, chiffres du ministère de l'Immigration fournis au parlement.

 

 

josée hansen
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