Angela Merkel a enfin répondu aux propositions d’Emmanuel Macron sur l’Europe. Il aura fallu plus de huit mois à la chancelière pour afficher ses positions après le discours très pro-européen du président français, le 26 septembre 2017 à la Sorbonne. Pour les uns, cette sortie du silence est une bonne nouvelle pour l’Europe. Pour d’autres, Mme Merkel avance encore trop prudemment.
À la Sorbonne, Emmanuel Macron avait livré un discours aussi foisonnant que lyrique pour sortir l’Europe de la « glaciation » et présenter sa vision de l’Union à dix ans en multipliant les idées dans à peu près tous les domaines : zone euro, défense, sécurité, immigration, mais aussi développement, écologie, numérique, commerce, « convergence sociale et fiscale » ou encore institutions. Dans un long entretien à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, dimanche 3 juin, Mme Merkel répond essentiellement sur la zone euro, la défense, l’immigration et les institutions.
Le sujet le plus attendu, mais aussi celui où la chancelière est la plus prudente, concerne la zone euro. Les idées françaises d’un ministre des Finances de la zone euro ne sont plus guère en discussion, mais Mme Merkel accepte la création d’un « budget d’investissement de la zone euro ». « C’est un mouvement positif qui témoigne de l’engagement européen de la chancelière et de son gouvernement », a réagi le jour même l’Élysée, en jugeant que Mme Merkel « se rapproche (ainsi) des vues françaises ». Des divergences demeurent néanmoins entre Paris et Berlin. Plaidant pour un budget important, la France aurait souhaité qu’il atteigne plusieurs centaines de milliards d’euros. Mme Merkel a répondu qu’il ne devrait pas dépasser « deux chiffres en milliards d’euros », soit quelques dizaines de milliards.
Même rapprochement teinté de divergences sur la transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES), installé en 2012 pour accorder des prêts à long terme à des pays au bord de la faillite, en un Fonds monétaire européen (FME). Mme Merkel fait un pas en direction de la France en envisageant « la possibilité d’une ligne de crédit à plus court terme, cinq ans par exemple ». Cependant, l’Allemagne souhaiterait que ce futur FME ait un droit de regard sur les politiques des pays concernés, et notamment la possibilité d’étudier la restructuration de leur dette, ce à quoi la France n’est guère favorable. À l’heure de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement populiste en Italie, Mme Merkel a d’ailleurs rappelé le credo de la droite allemande, selon lequel l’UE ne doit pas se transformer en une « union des dettes ».
Dans d’autres domaines, le rapprochement de l’Allemagne est plus net. Sur l’immigration, la chancelière accepte les propositions françaises d’une police européenne aux frontières et d’un office européen de l’asile, destiné à harmoniser les procédures. En matière de défense, elle soutient une force commune d’intervention et une doctrine partagée. Enfin sur les institutions, elle se dit prête à réduire la taille de la Commission, alors qu’Emmanuel Macron avait plaidé pour un resserrement à seulement quinze membres.
Ces différents points figuraient certes dans le contrat de coalition signé le 7 février entre les conservateurs de Mme Merkel et les sociaux-démocrates du SPD, après plusieurs mois de délicates tractations. Mais entretemps le très pro-européen Martin Schulz, artisan du volet européen du texte, avait démissionné de la tête du SPD et Mme Merkel était restée très silencieuse, en particulier en mai dans son discours d’Aix-la-Chapelle, lors de la remise du prix Charlemagne à Emmanuel Macron. Si bien que ces dernières semaines l’Allemagne donnait l’impression de s’éloigner de plus en plus de la France, notamment du fait de son peu d’empressement à l’égard de l’idée française de taxer les « Gafa », les géants du numérique.
À trois semaines du Conseil européen très attendu des 28 et 29 juin, ces déclarations de Mme Merkel ouvrent donc la voie à une position commune du tandem franco-allemand, ce qui semble un minimum après le discours français de la Sorbonne, et compte tenu des défis posés à l’Europe par la présidence de Donald Trump. Mais il ne faut pas oublier qu’un important groupe de pays du nord et de l’est de l’UE, emmené par les Pays-Bas, a repris l’intransigeance de l’ex-ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble concernant les réformes de la zone euro. Et que nombre de pays de l’Est, comme la République tchèque, sont contre une police européenne aux frontières. Tout ne dépendra donc pas du seul couple franco-allemand.