Un an pour Emmanuel Macron

En marche via Bruxelles

d'Lëtzebuerger Land du 04.05.2018

La première année de présidence d’Emmanuel Macron a été marquée par des réformes menées au forceps en France, malgré de farouches résistances qui continuent en ce printemps 2018 ; tandis qu’en Europe la situation paraît à front renversé : la résistance des autres pays l’ont empêché de simplement démarrer la longue liste de réformes qu’il avait annoncées, notamment lors de son discours de la Sorbonne de septembre 2017.

Le 7 mai 2017, à 39 ans, Emmanuel Macron a été élu avec 66 pour cent des voix face à Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, mettant alors un coup d’arrêt à l’expansion de l’extrême-droite en France. Presque instantanément, à partir de son discours devant la pyramide du Louvre le soir de l’élection, il s’est coulé avec succès dans le costume de président, avant de recevoir durant l’été Vladimir Poutine puis Donald Trump en France. Il a aussi fait preuve d’une grande fermeté en s’opposant en juillet au chef des armées, Pierre de Villiers, sur le budget de la Défense. De quoi rehausser la fonction présidentielle, après une présidence voulue comme « normale » par son prédécesseur, François Hollande (PS).

À l’automne, la réforme du code du travail a été le premier moment de vérité sur le front social. En divisant habilement les syndicats, le nouvel exécutif, formé avec le Premier ministre Edouard Philippe, a mené à bien cette réforme en un temps record, la mobilisation dans la rue étant moins forte que ce que beaucoup espéraient ou craignaient. Six mois plus tard, le rapport de forces ne semble plus être aussi favorable au jeune président, et les mouvements sociaux se multiplient, pourtant c’est lui qui bouscule les syndicats et assure qu’il mènera ses réformes jusqu’au bout, notamment celle de la SNCF.

Depuis le code du travail, plusieurs réformes ont été engagées : l’accès à l’université, les changements en profondeur du baccalauréat, l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes (un dossier vieux de cinquante ans, qui n’avait jamais été tranché), l’assurance-chômage, la formation professionnelle, un durcissement de la politique d’asile et d’immigration et donc la réforme ferroviaire, contre laquelle les syndicats de cheminots, unis cette fois, organisent actuellement une grève perlée de deux jours tous les cinq jours et espèrent faire « converger les luttes ». Il faut dire qu’il y a de quoi : cheminots, électriciens, étudiants, éboueurs, fonctionnaires, retraités, personnels des Ehpad (les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), salariés de Carrefour ou d’Air France, tous se sont mobilisés à un moment ou un autre en ce début d’année 2018, certaines universités étant même bloquées depuis plusieurs semaines.

Pourtant, la « convergence » ne se fait décidément pas et Emmanuel Macron tient bon le cap de ses réformes, en n’hésitant pas à avancer en force. Lors de l’interview télévisée du 15 avril au Palais de Chaillot, le président a assuré qu’il n’y avait pas tant de « coagulation entre les mécontentements » que ça. Et quelques jours plus tard, en pleine « concertations » avec la ministre des Transports, c’est par la presse que les syndicats ont appris qu’était entérinée la suppression du statut des cheminots pour le 1er janvier 2020, à la date de l’entrée en vigueur de la réforme ferroviaire. D’un parti se voulant « ni de droite ni de gauche », celui du président, la République en marche (LREM), apparaît de fait aujourd’hui comme un parti de droite classique, aussi libéral en économie que dur sur l’immigration, et autoritaire dans la pratique du pouvoir.

Reste que le chômage est toujours élevé (environ 9,5 pour cent de la population active), même s’il n’est plus au centre du débat politique comme lors du quinquennat de François Hollande. Et l’opinion est extrêmement clivée selon les classes sociales : selon le baromètre Elabe pour Les Échos, 65 pour cent des cadres accordent bien leur confiance au chef de l’État. Mais cette confiance descend à 41 pour cent chez les professions intermédiaires. Et seulement 27 pour cent chez les classes populaires (ouvriers et employés), qui représentent toujours la moitié de la population active du pays. Ce ne sont pas les déclarations d’Emmanuel Macron évoquant « ceux qui ne sont rien » qui ont dû changer cette perception.

Outre le chômage, l’autre front sur lequel le chef de l’État n’a guère avancé, c’est l’Europe. C’est-à-dire la longue liste de réformes pour l’Union européenne qu’il avait égrenée lors de son discours passionné de la Sorbonne le 26 septembre 2017 (d’Land du 6 octobre 2017). Le premier échec fut le refus tout net par le Parlement européen de listes transnationales pour les élections européennes de 2019.
Emmanuel Macron a bien obtenu une révision de la directive sur les travailleurs détachés, dont il s’était fait une priorité, mais les changements obtenus paraissent à la marge. Quant à l’examen de l’idée française de taxation des Gafa (les géants du numérique), il est bien en route, mais cette idée divise profondément et plusieurs pays comme Malte, Chypre, l’Irlande ou le Luxembourg y sont peu enclins.

Si l’on regarde le paysage de l’UE plus globalement, c’est en fait le rapport de forces qui ne paraît pas favorable aux idées françaises. Les Pays-Bas ont pris la tête d’une sorte de « ligue hanséatique » de petits pays du nord (avec la Suède, le Danemark, la Finlande, les trois pays baltes et l’Irlande), qui sont très opposés à la volonté de relance hexagonale. Avec vigueur, répondant directement aux propositions
d’Emmanuel Macron, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a ainsi déclaré que l’UE n’avait pas besoin de « vision » ni de plus de « fédéralisme » ou d’« intégration », mais de davantage de « pragmatisme ».

Même l’Allemagne, après avoir enfin réussi à former son gouvernement de coalition, n’a pas donné le moindre signe d’ouverture. Elle freine même, comme si Wolfgang Schäuble était toujours ministre des Finances. Angela Merkel ne veut décidément pas de budget de la zone euro, si c’est pour bâtir de la solidarité financière entre le Nord et le Sud du continent. Et encore moins de ministre des Finances ou même de Parlement de la zone euro, des idées qui sont au point mort. Le comble pour la France est qu’il semblerait même que les Allemands ne veulent plus entendre parler de renégociation de la dette de la Grèce…

Emmanuel Defouloy
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