Pour ses vingt ans, la Rockhal a réveillé des fantômes des groupes ayant écrit l’histoire musicale récente du Luxembourg. Épisode six : Metro

We Were Exploding Anyways

Yves Stephany, Olivier Treinen, et Mike Tock
Foto: Laura Poggi
d'Lëtzebuerger Land vom 17.10.2025

Parmi les groupes rencontrés pour cette série, il y a ceux qui ont décidé de garder, pour des raisons d’archivage, tous leurs albums sur les plateformes de streaming, malgré leur désaccord avec le système de (non-)rémunération qui y règne. D’autres n’y figurent pas du tout, alors que pour certains, la disponibilité de leur discographie y est fragmentaire et arbitraire, soumise à des deals contractés par des labels et autres diffuseurs.

Et puis il y a Metro, dont on finit bien par dégoter un E.P., un seul, après avoir fait défiler, sur une plateforme de streaming quelconque, une infinitude d’homonymes. Car avant (ou après) avoir été un groupe de rock indé luxembourgeois, Metro est ou était aussi : un groupe de post-punk de Varsovie, de rock classique hongrois, de heavy metal serbe, de pop-rock indonésien, de soft rock américain, de glam rock britannique des années 1970 dont un des tubes sera repris par David Bowie sur son fameux Let’s Dance et j’en passe.

Alors d’aborder l’avant-dernier épisode de cette série, on commence à prendre la mesure des dénominateurs communs qui l’ont ponctuée. Il en va notamment de certains side-kicks récurrents, dont l’omniprésence questionne leur statut même d’acolytes, et dont l’apport a été déterminant pour la carrière de nombre de musiciens de l’époque, comme Flappi et son studio dans une des salles de répétitions de la Kulturfabrik.

C’est là que Metro enregistre son premier disque, alors que son futur bassiste Yves Stephany fait encore partie de John Mac Asskill. « Je connaissais déjà les gars de Metro, parce qu’on se partageait un lieu de répétition, dans une porcherie quelque part vers Syren ou Moutfort. Il y avait de l’électricité et, parfois, des radiateurs, pour qu’on n’ait pas trop froid. » De la porcherie à l’ancien abattoir, il n’y a qu’un pas, qui est vite franchi. À la suite du départ du deuxième guitariste Christian Clement, peu après l’enregistrement de l’album pour lequel Stephany figurait déjà en tant qu’œil ou, plutôt, oreille extérieure, ce dernier intègre le groupe. Dans un de ces jeux de chaises musicales dont la scène luxembourgeoise regorge, David André, alors bassiste de Metro, passe à la guitare, laissant vacante une position dont Stephany s’emparera.

Ce qui l’a fasciné chez Metro ? Leur ambition d’aller à rebrousse-poil d’une scène underground alors florissante en écrivant… des chansons pop. Ou du moins quelque chose d’assez catchy pour avoir la chance de passer sur d’autres ondes que celles de radios, elles aussi underground. « Avec John Mac Asskill, tout était plus punk, plus sauvage. À l’époque, tout le monde s’efforçait de faire de la musique qui ne devait surtout pas plaire à nos parents. Si trop de monde aimait ce qu’on faisait, c’est qu’on s’y prenait de travers. De sorte qu’on faisait du punk, du métal, du mathrock, du hardcore, des genres musicaux un peu extrêmes qui devaient être incroyablement rapides, ou alors extrêmement bruyants, ou encore horriblement laids, ou enfin superbement alambiqués. Metro, pour moi, était un des tout premiers groupes qui osait s’essayer à de la pop ou du rock indé tel qu’on en entendait à la radio, à un moment où des groupes de rock indé envahissaient lentement le mainstream. » Et c’est du côté de ce genre de son que Stephany et cie lorgnent, avec un tube comme She Went Under qui finira, en effet, par connaître pas mal d’airplay.

Le son indé de Metro évoluera avec la fin de cet âge d’or du rock indé à guitares, qui avait atteint son apogée vers 2005 et auquel se substitueront des paysages sonores plus électro. Une tendance que Metro suivra, au détriment d’un David André plus tourné vers les guitares saturées, qui quittera le groupe, faisant de la dernière configuration de Metro un trio, constitué du chanteur-guitariste Olivier Treinen, du batteur Mike Tock et du bassiste-claviériste Yves Stephany. Celui qui a eu l’occasion de rencontrer les trois membres du groupe sait à quel point est précaire l’équilibre entre des personnalités contradictoires. Ce qu’Yves Stephany est le premier à admettre, avouant qu’ils se sont, surtout vers la fin, souvent pris la tête au cours du processus d’écriture.

Le quatrième album de 65daysofstatic s’intitule We Were Exploding Anyways, et c’est un peu ce qu’on ressent quand Stephany décrit les concerts que Metro, réduit à un trio, a joués à l’étranger, concerts organisés via leur label allemand, sans l’aide de music:LX, dont la naissance se recoupera, comme pour Eternal Tango, plus ou moins avec leur implosion. « On avait évidemment l’ambition de faire entendre notre musique au-delà des frontières. Mais on n’était pas aussi bien organisés qu’on aurait pu ou dû l’être, qu’on n’a pas envoyé les centaines de mails qu’on aurait dû envoyer », non par manque de ténacité donc, mais plutôt par excès de chaos, d’entropie, comme Stephany l’avoue. Il se souvient d’un avant-dernier concert, quelque part en Allemagne du Nord, où le groupe joue devant un public constitué d’une seule et unique personne, remportant le record tenu jusqu’ici par Monophona, qui avait joué devant trois personnes aux Pays-Bas.

C’était dans un bar, il y avait la fille qui officiait à la billetterie (en chômage technique, donc), le barman et cet homme qui a dansé tout seul tout au long du concert et qui devait être aux anges, cinq personnes s’employant à lui rendre agréable sa soirée. « Le lendemain au réveil, on a trouvé un billet de cinq euros et une note qui disait : ‘Désolé, on n’a pas pu vous payer plus’. On a empoché l’argent, et on est partis pour Prague, où on a joué notre tout denier concert devant un millier personnes : c’était au festival United Islands et après nous, jouait le pendant tchèque de De Läb. »

Quant à savoir si une vie sur la route, une vie de musiciens professionnels, lui aurait plu, Stephany répond par la bande : « Récemment, avec Cosmokramer [groupe qui réunit, avec Olivier Treinen et Yves Stephany, les deux tiers de la dernière constellation de Metro], on a joué au Rocas, avec un groupe américain qui s’appelle System Exclusive. C’était un duo qui tourne depuis environ quatre ans. Ce concert était le dernier du volet européen d’une tournée sans fin. Ils nous ont raconté à quel point ils étaient lessivés de passer ainsi leur vie sur la route. Le lendemain, ils étaient censés rentrer à Londres. Ils avaient hâte de retourner chez eux, et de trouver un boulot. »

Stephany est peu convaincu que le rêve de l’artiste indépendant vaille tellement la peine d’être vécu, ou tout du moins que, la faute à une industrie musicale en ruines, un tel mode de vie, perclus de peurs matérielles, soit véritablement un moteur de créativité. « J’ai l’impression que le fameux clivage entre les riches et les pauvres est devenu transposable en musique », où il y aurait d’un côté les Taylor Swift et autres Chris Martin et, de l’autre, quasiment tout le reste, peu importe qu’on soit un groupe indé sur qui jure un nombre sélect de mélomanes ou le petit groupe du coin qui essaie de percer.

Pour toutes ces raisons, alors que la question de vivre de sa musique ne semble pas vraiment s’être posée pour Metro, Stephany, se demande si la ligne de partage tant opérée entre artistes professionnels et artistes amateurs est encore opératoire aujourd’hui. « Bien que je salue le courage de ceux et de celles qui se lancent dans le monde de l’indépendance artistique et qu’il est normal que les subventions s’adressent en premier lieu à ceux et celles qui essaient d’en vivre, je ne suis pas certain que les contraintes qu’un tel parcours impose soient toujours fructueuses pour la créativité. » Ces aléas incluant les interminables dossiers à monter, les réseaux sociaux à gérer, les communiqués de presse à rédiger et envoyer, les factures à payer et celles à envoyer, toutes contraintes auxquelles s’adjoint la nécessité de rester au centre de l’attention en publiant quasiment sans cesse, de la musique, des posts et, pour certains, des provocations montrant qu’on existe encore. Parfois, pouvoir écrire de la musique uniquement quand ça vous chante, c’est mieux, suggère Stephany.

Et d’une manière étrangement prophétique, le nom du groupe, malgré les difficultés qu’on encourt aujourd’hui à retrouver sa musique, finit par faire sens : si l’on entreprenait de dessiner un schéma où l’on traçait les parcours des musiciens qui ont fait partie de Metro, y incluant les formations en amont (L’Ego, Balboa, Zap Zoo, Clark Kent, John Mac Asskill) et en aval (Cosmokramer, Ice In My Eyes, Traumkapitän) il résulterait, d’un tel schéma, dans lequel on pourrait ensuite inclure chacun des groupes ayant fait partie de cette série qui se clôturera vendredi prochain, quelque chose comme un plan de métro, une carte un peu brouillonne qui témoignerait de la richesse, de la complexité, du chaos et de la diversité de la petite scène musicale du grand-duché aux tout derniers temps de l’innocence.

Jeff Schinker
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