Les jeunes à la traîne selon l’OCDE

L’éducation financière en question

d'Lëtzebuerger Land du 25.09.2020

Dans de nombreux pays du monde, l’éducation financière du public (« financial literacy » en anglais) a été quasiment érigée en grande cause nationale : selon l’OCDE, très impliquée dans sa promotion, elle fait l’objet d’une stratégie publique dans environ 70 pays.

Presque toutes les enquêtes sur ce thème, quelle que soit la région du monde concernée, révèlent chez les personnes interrogées des lacunes criantes en matière de connaissance des concepts et des mécanismes économiques et financiers, voire de maîtrise de calculs arithmétiques simples. Cette ignorance, gros facteur de vulnérabilité, est aussi rendue responsable de choix inappropriés dans la gestion de l’épargne et des placements, marquée par une prédilection excessive pour la sécurité et la liquidité.

Fin juin, l’OCDE a publié les résultats de son enquête récurrente réalisée dans le cadre de l’International Network on Financial Education (INFE). 26 pays et économies de trois continents (Asie, Europe et Amérique latine), dont douze pays membres de l’OCDE, y ont participé. Pour calculer un « score d’éducation financière » l’OCDE-INFE prend en compte à la fois des éléments de connaissances, de comportements et d’attitudes en matière financière.

La note maximum, qui est de 21, correspondant au nombre de questions posées, signifie qu’une personne a acquis un niveau de compréhension de base des concepts financiers et applique certains principes prudents dans ses transactions financières. En moyenne les sondés ont obtenu un score de 12,7 soit un peu moins de 61 pour cent du score maximal. La moyenne des membres de l’OCDE n’est que légèrement plus élevée avec 13,1. Le score le plus élevé a été obtenu à Hong Kong (14,8) et le plus bas en Italie (11,1). La majorité des pays (quinze sur 26) ont obtenu un score compris entre 12 et 14.

La partie « Connaissances » comprenait sept questions. L’échantillon a obtenu une note moyenne de 4,3 soit 62 pour cent du maximum, avec 4,6 dans les onze pays de l’OCDE. Derrière Hong-Kong (6,2) le haut du classement est occupé par des pays d’Europe centrale et de l’est, comme l’Autriche (5,3) l’Allemagne (5,2) et la Pologne (5). Pour les auteurs du rapport, les résultats globaux ne sont pas satisfaisants, car seuls 53 pour cent des adultes interrogés (57 pour cent dans l’OCDE) ont atteint ou dépassé le score-cible de cinq bonnes réponses sur sept. Surtout, à peine 26 pour cent ont répondu correctement aux questions sur les intérêts simples et composés, qui sont pourtant des « concepts cruciaux qui affectent la gestion de base de l’argent et l’accumulation d’épargne ».

Le score de comportement a été calculé à partir de neuf questions sur l’épargne, la planification à long terme, la surveillance et le contrôle de ses finances. La moyenne a été de 5,3 sur neuf sur l’ensemble de l’échantillon comme dans les pays membres de l’OCDE, soit 59 pour cent du maximum possible. Moins de la moitié des adultes interrogés (49 pour cent) ont pu obtenir la note-cible minimale qui était de six.

Quant au score d’attitude moyen, il s’est élevé à trois sur cinq pour tous les individus et de 3,1 parmi les adultes des pays membres de l’OCDE soit respectivement 59 et 62 pour cent du maximum possible. À peine 43 pour cent ont atteint ou dépassé la note de trois (47 pour cent dans l’OCDE).

Les jeunes de 18 à 29 ans obtiennent de moins bonnes notes en « financial literacy », avec une note moyenne de 12,2 dans l’échantillon et de 12,6 dans les pays de l’OCDE soit dans les deux cas 0,4 point de moins que la population totale. L’écart est même de 1,3 en Italie dont les jeunes arrivent bons derniers. Il est élevé en Bulgarie (1,1), en Tchéquie (1) et en Autriche (0,8). Sur 24 pays étudiés, les jeunes n’obtiennent que six fois un score d’éducation égal ou supérieur à la moyenne générale. Un résultat très décevant car, de longue date, les jeunes sont le public-cible des actions dédiées à l’amélioration de l’éducation financière du public.

Alors même qu’un grand nombre détiennent et utilisent déjà des moyens de paiement, des comptes-courants et des produits d’épargne, ils sont très peu au fait des questions financières, selon la dernière enquête Pisa (lire encadré). En même temps, ce sont les consommateurs, épargnants et investisseurs de demain qu’il convient d’éclairer sur les choix qu’ils auront à opérer dans un avenir assez proche.

Les actions de sensibilisation ou de formation à leur égard sont plus faciles à mettre en place que pour les adultes car elles peuvent être intégrées au cursus scolaire normal et être relayées dans les cours de mathématiques et d’économie. De plus, elles rencontrent une large adhésion du public.

Comme elles existent parfois depuis plus de vingt ans, on devrait en retrouver la trace, chez les personnes de moins de trente ans. Or ce n’est visiblement pas le cas. Exemple révélateur : en matière de connaissances, le pays où le score calculé par l’OCDE est le plus bas chez les jeunes par rapport à l’ensemble de la population est la France (4,1 contre 4,8), un pays où les initiatives associant le ministère de l’Éducation et les professionnels de la finance se sont multipliées au début des années 2000. Confirmation en a été donnée par une étude menée sous l’égide de la Banque de France et publiée le 20 juillet montrant que les sondés dans les tranches de 18-24 ans et 25-34 ans sont largement à la traîne du reste de la population !

L’OCDE-INFE s’est également intéressée à des concepts comme la « résilience financière », le « stress financier » et le « bien-être financier » (lire encadré). Sur ce dernier critère, les jeunes âgés de 18 à 29 ans obtiennent la même note que l’échantillon général dans les pays de l’OCDE, soit 9,9 sur 20 mais ils font moins bien en Autriche, en Allemagne, en Corée, en Tchéquie et surtout en Italie (dernière de tout l’échantillon avec huit sur vingt). Dans des pays moins riches, leur bien-être est le plus souvent supérieur à la moyenne générale.

En raison des moins bonnes notes obtenues en éducation financière (au sens large), de leurs scores décevants en bien-être financier, sans parler d’une moindre résilience, les jeunes âgés de 18 à 29 ans se voient désormais classés comme « groupe vulnérable potentiel » par l’OCDE. C’est à la fois un constat d’échec des politiques déjà mises en œuvre à leur intention et une incitation à redoubler d’efforts dans leur direction.

Résilience et bien-être

La résilience financière est notamment mesurée par l’épargne disponible pour faire face à un choc financier. L’enquête suggère que quelque 28 pour cent des adultes de l’ensemble de l’échantillon déclarent n’avoir qu’un coussin financier d’environ une semaine, s’ils perdent leur revenu principal. Environ 25 pour cent déclarent pouvoir subvenir à leurs besoins pendant environ un mois, quinze pour cent entre trois et six mois et 18 pour cent pendant plus de six mois. Un peu plus de quatorze pour cent répondent ne pas savoir, ce qui révèle soit une absence de préparation à une telle éventualité, soit un manque de ressources.

L’OCDE-INFE a calculé un score de « bien-être financier » fondé sur cinq questions : les participants de l’échantillon total obtiennent la note de 9,5 sur 20. Ceux des pays de l’OCDE arrivent à 9,9. Les sondés ne considèrent donc pas que leur situation financière contribue positivement à leur bien-être, mais ajoute plutôt du stress et de l’inquiétude. Ils sont « plus incertains quant au contrôle de leurs finances, se sentent moins confiants quant à leur capacité à absorber les chocs financiers à l’avenir, sont plus enclins à admettre que leurs finances limitent leurs choix de vie et leurs plans financiers à long terme ».

Sur le plan géographique trois pays sur les 21 étudiés dépassent la note de onze sur vingt : l’Autriche et la République tchèque ex-aequo à 11,4 précèdent Hong-Kong (11,1) et sont suivies de près par l’Allemagne et la Hongrie qui obtiennent 10,8. Sept pays, soit le tiers de l’échantillon, sont en situation de « mal-être » (note inférieure à 9) avec parmi eux trois pays de l’U.E : la Croatie, le Portugal et l’Italie. GC

Le rapport Pisa 2018

Publié le 7 mai 2020, le dernier rapport PISA* a été réalisé sur un échantillon 117 000 de jeunes de quinze ans vivant dans vingt pays et économies, dont treize sont membres de l’OCDE. Un élève sur quatre (un sur sept dans les pays de l’OCDE) s’avère « incapable de prendre des décisions même simples sur les dépenses quotidiennes ». A peine dix pour cent atteignent le plus haut niveau de financial literacy, en moyenne dans les pays de l’OCDE. Les pays du nord de l’Europe (Estonie, première du classement, Finlande et Pologne) et du continent américain (les sept provinces canadiennes participantes) obtiennent les meilleures notes, suivis de l’Australie. Il n’y a qu’un faible écart entre les sexes en termes de connaissances, mais des différences plus nettes sur les attitudes et les comportements ; et plus un étudiant est favorisé sur le plan socio-économique, plus il est susceptible d’obtenir une bonne note. L’intérêt d’une meilleure éducation financière de ces jeunes est illustré par le décalage suivant : en moyenne dans l’OCDE, environ un adolescent sur deux détient un compte dans une institution financière et/ou une carte de paiement ; cependant, seulement un sur trois environ possède les compétences nécessaires pour interpréter un relevé bancaire ! À noter que les notes médiocres obtenues dans la réalisation de calculs financiers simples est à mettre en rapport avec le piètre niveau général des élèves en mathématiques, tel que mesuré dans l’étude PISA. GC

Georges Canto
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