À l’origine, la création d’une Maison de retour, est une revendication de longue date du Collectif réfugiés (LFR). Elle devait constituer une alternative à la détention dans le Centre de rétention et permettre de préparer dignement au retour dans leur pays d’origine les personnes qui n’ont aucune chance d’obtenir l’asile au Luxembourg (des personnes en séjour irrégulier ainsi que celles qui tombent sous le champ d’application du règlement dit « Dublin III »). L’objectif était notamment d’éviter que des familles avec enfants ou des mineurs non accompagnés ne soient incarcérés.
Cependant, l’installation de cette structure en lieu et place de la Shuk (Structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg) dans un hall de Luxexpo montre les limites du projet. Annoncée comme « provisoire » et « transitoire », la Maison de retour a été ouverte à la hâte, pour cocher une case de l’accord de coalition, et sans consultation de la société civile et des organisations d’aide aux réfugiés.
Environ un an après son ouverture, en septembre 2024, le provisoire dure et rien n’a changé. « L’endroit qui était une structure d’urgence pendant la crise des réfugiés de 2015 est devenue une solution permanente », dénonce la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) dans une prise de position publiée la semaine dernière. La note s’inquiète du respect des droits humains des personnes qui y sont hébergées, en particulier des familles avec enfants. Le terme de « maison » serait déjà trompeur puisqu’il s’agit « d’un hangar équipé de tentes, avec des installations minimales et un aménagement précaire. »
Selon la CCDH, les normes sanitaires et d’hygiène généralement applicables aux logements ne sont pas respectées dans la Maison de retour. La Shuk était déjà régulièrement critiquée pour son non-respect de la vie privée, ses restrictions de liberté, ses fouilles systématiques, son accès limité aux soins médicaux ou son ambiance pénitentiaire. Il semble que les conditions d’accueil n’ont connu aucune amélioration significative et l’arrivée de familles avec enfants rend la situation encore moins tolérable. « Les cloisons minces entraînent des nuisances sonores, ainsi que l’absence d’intimité, les pièces sans fenêtres et l’obscurité renforcent l’insécurité et les enfants ne disposent pas d’espace pour jouer ou se concentrer », détaille le texte.
Le député vert Meris Sehovic, qui a visité les lieux avec une délégation parlementaire en mars dernier, abonde : « Les sols en béton, les sanitaires communs à l’extérieur, l’absence de chambre séparée… ce n’est vraiment pas digne. C’est déjà scandaleux comme conditions de vie, mais c’est carrément dramatique pour des enfants », détaille-t-il au Land. De son côté, Stéphanie Weydert (CSV), qui a participé à la même visite, reconnaît que « ce n’est pas un cadre idéal pour des familles » mais elle limite son constat au fait que « c’est propre et les repas respectent les contraintes liées aux religions ».
Sehovic pointe la logique sécuritaire où même les enfants doivent passer par des portiques, « une situation assez traumatisante ». Ce que souligne également le CCDH : Jusqu’à treize agents de sécurité seraient en poste, contre seulement cinq accompagnateurs psychosociaux. Ce dernier chiffre a été confirmé au Land par les services du ministère des Affaires intérieures. Un ratio qui n’a guère évolué depuis le changement de nom. « Le personnel de la Shuk est intégralement réaffecté à la Maison retour et continuera à y encadrer les personnes y assignées », répondait le ministre Léon Gloden (CSV) à une question parlementaire de plusieurs députés socialistes il y a un an.
La CCDH critique encore le fait que la Maison de retour soit une structure semi-ouverte. Entre 23 heures et 8 heures du matin, les personnes ne sont pas autorisées à sortir. « Ce n’est donc pas une alternative à la privation de liberté, c’est une forme de restriction de liberté », déplore Charlotte Brouxel, juriste de la CCDH. C’est d’ailleurs le Centre de rétention et non l’Office national de l’accueil qui gère le lieu. Si des députés et des associations y ont bien eu accès, le service du Contrôle externe des lieux privatifs de liberté (CELPL, une mission de l’Ombudsman) n’est pas considéré comme compétent pour cet endroit. « Les personnes sont assignées à résidence, mais peuvent circuler la journée. On se situe dans un flou juridique qu’il conviendrait de lever », détaille Claudine Konsbruck, ombudsman depuis mars dernier. Une proposition de loi a été déposée par Dan Biancalana (LSAP) pour « élargir l’interprétation du mandat du CELPL et lui accorder le droit de visiter les institutions où il existe une privation de liberté de facto ». Elle est actuellement analysée par la commission de la Justice. Justifiant son refus de donner au Land l’accès aux infrastructures, le ministère des Affaires intérieures répond, avec une maîtrise de l’euphémisme, « préserver l’intimité de ses pensionnaires ». « Si le gouvernement était fier de sa politique, il n’aurait pas de problème à montrer les lieux. Là il s’agit de cacher cette situation désastreuse », tranche Meris Sehovic.
En octobre 2024, la Maison de retour hébergeait 33 hommes, douze femmes et quatre enfants. Selon les chiffres transmis par le ministère des Affaires intérieures, la durée moyenne de séjour s’établit à 44 jours. Actuellement, on y compte « 21 hommes, une femme, deux familles monoparentales avec à chaque fois deux enfants et une famille avec un seul enfant ». Pas moins de 18 nationalités sont représentées. L’âge moyen des enfants est de 7,8 ans. Il s’agit exclusivement de personnes « Dublin III », précisent les services.
La Maison de retour du Luxembourg est très éloignée de ses supposés modèles en Belgique (qui a ouvert la première dès 2008) et aux Pays-Bas. Des endroits visités par des députés, des agents de la direction de l’Immigration et des membres d’associations, en 2012 et 2017. En Belgique, les Maisons de retour sont organisées en appartements avec cuisine, salle de bains, salon et chambres séparées, offrant autonomie et continuité de vie familiale, sans surveillance constante. Aux Pays-Bas, les bâtiments sont dotés d’espaces verts et d’aires de jeux, les membres du personnel ont souvent vécu eux-mêmes la migration, facilitant ainsi la compréhension des besoins des résidents. « La structure mise en place ici se limite à reprendre un intitulé sans en refléter pleinement l’esprit », déplore la CCDH.
Le ministère argue que la Maison de retour telle qu’elle est actuellement configurée demeure une solution provisoire. « Les instances concernées n’ont de cesse de prospecter les communes en vue de la mise à disposition soit d’un terrain pour y ériger une structure durable, soit d’infrastructures préexistantes pouvant être transformées en une Maison de retour », nous écrit-on. Un argument que rejette la CCDH : « En recourant uniquement à des solutions d’urgence au lieu d’obliger les communes à mettre des logements à la disposition des réfugiés, le gouvernement se soustrait à ses responsabilités. »
La Commission critique également le concept de « retour volontaire ». Qualifier de volontaire le départ de personnes dont la demande d’asile a été rejetée serait « juridiquement et factuellement discutable ». Dans la plupart des cas, les personnes concernées se trouvent dans une impasse et n’ont pas d’autres choix : sans statut, elles sont menacées d’expulsion des foyers de l’ONA ou se voient refuser l’accès au logement. Ces pratiques, de plus en plus fréquentes, exerceraient une pression qui compromet le consentement et transforme ce retour en mesure coercitive. « La Maison de retour devient une alternative aux structures d’hébergement de l’ONA pour des gens que l’on ne veut pas voir et qu’on considère tout en bas de l’échelle humaine », s’emporte Sergio Ferreira de l’Asti, qui a visité les lieux juste après leur ouverture. Il considère que la structure actuelle est « un aveu d’échec de la politique du gouvernement », tout comme la CCDH parle d’un « manque de volonté politique et d’un désintérêt préoccupant du gouvernement pour la protection des personnes en quête d’asile et le respect des droits humains. »
Meris Sehovic plaide pour une « vraie politique de retour qui consisterait à préparer ce rapatriement dans des conditions dignes avec un suivi social et une vraie phase de préparation pour s’assurer d’un projet de vie dans le pays de destination ». De son côté Sergio Ferreira martèle : « Il y aura toujours des personnes qui voudront venir dans nos pays. Il faut le courage politique de mettre en place des voies légales d’immigration pour des personnes non-qualifiées. Nous en avons autant besoin qu’eux. »