Féministe fatale promet le T-shirt à message, écrit en paillettes, que Sam Tanson porte sous le manteau vert qu’elle enlève en descendant de son cargo-bike – un de ces longs vélos avec lesquels on peut facilement transporter les enfants à l’école, tranquillement installés dans un coffre ouvert à l’avant du cycle. Donc plus besoin de poser une question sur le sujet du féminisme. D’autant plus que Sam Tanson a choisi les Verts comme parti lorsque la volonté de s’engager politiquement s’est faite sentir, il y a presque vingt ans – malgré des nombreuses amitiés proches au parti socialiste, notamment Sophie Delvaux, avec laquelle elle a fait Sciences Po à Paris. Les Verts sont le parti avec la politique d’égalité des chances la plus volontariste, imposant en premiers des doubles mandats hommes/femmes à la présidence du parti ou pour les têtes de listes lors de campagnes électorales.
« Lorsque Fränz [Bausch, ndlr.] m’a demandé de joindre le parti pour les élections communales de 2005, je n’ai pas hésité longtemps avant de dire oui, se souvient-elle. Tout au plus un jour... ». Elle a alors 28 ans et n’est pas élue, mais avec presque 3 500 voix, se classe en assez bonne huitième place sur la liste écolo (à partir de zéro). Cette année-là, le maire libéral Paul Helminger fait une coalition avec les Verts ; François Bausch, le mentor politique de Sam, devient premier échevin (ce qui importera pour la suite de l’histoire). Sam a alors un pied dans la porte et gravit peu à peu les échelons du parti : porte-parole des Jonk Gréng dès 2006 et jusqu’à atteindre la limite d’âge de trente ans, puis porte-parole et présidente du parti-mère, Déi Gréng, de 2009 à 2014. Aux législatives de 2009, elle est encore en queue de peloton, mais aux communales de 2011, elle se classe en bonne quatrième place – derrière les anciens Bausch, Viviane Loschetter et Carlo Back –, fait mille voix de plus qu’en 2005 et entre au conseil ; la coalition DP-Verts est reconduite. Mais ce furent les élections législatives anticipées de 2013 qui allaient tout changer, pour elle comme pour son parti – qui, pour la première fois de son histoire alors trentenaire, entre au gouvernement. François Bausch, premier élu devient ministre du Développement durable et des Infrastructures, Viviane Loschetter se classe deuxième et reste échevine responsable des affaires sociales, et Sam Tanson reprend les portefeuilles de François Bausch, soit la mobilité et les finances (et elle devient première échevine). « Je crois pouvoir dire que j’ai prouvé durant quatre ans que je suis tout à fait à même de gérer des dossiers ‘typiquement masculins’ », dit-elle dans un sourire.
Coups du destin Nous avons rendez-vous très tôt mardi matin au Indie’s, bar branché du boulevard Roosevelt, pour des raisons pratiques – il se trouve à deux pas de la fraction des Verts, où sera présenté le successeur du défunt Camille Gira au poste de secrétaire d’État au Développement durable et aux Infrastructures (voir page 5). « Mais je n’y serai pas, à cette conférence de presse, n’allez pas vous imaginer des choses », avait-elle mis en garde, elle avait juste un autre rendez-vous politique. Pourtant, son nom avait circulé en amont, depuis le décès inopiné de Camille Gira le 16 mai. Celle qui fut conseillère communale, conseillère d’État (entre 2015 et 2018), présidente du parti, et maintenant députée (depuis le 17 avril) n’était-elle pas la candidate idéale ? Étoile montante puis talent confirmé, d’abord journaliste (Libération en-ligne à Paris, RTL Radio Lëtzebuerg de 2002 à 2004), puis avocate au barreau de Luxembourg (elle a fait son droit à la Sorbonne), toujours engagée, elle semblait avoir tous les atouts pour le poste. Sauf qu’elle n’était pas encore prête à faire un tel saut. Et surtout que la politique a aussi ses propres logiques et qu’il fallait un homme (et oui, ça fait aussi parti d’une politique d’égalité) et surtout un homme du Nord, comme le fut Gira. L’eurodéputé Claude Turmes, originaire de Diekirch, retournera donc à ses sources.
L’Indie’s et ses bancs en bois spartiates est aussi un lieu chargé de souvenirs pour Sam Tanson : c’est là qu’elle fêta son entrée au conseil communal en 2011 et c’est là qu’elle apprit, en octobre 2017 avec stupéfaction, que Lydie Polfer (DP) allait prioritairement entamer des discussions de coalition avec le CSV et Serge Wilmes. Sam tomba des nues, surtout qu’elle avait presque doublé son score par rapport à 2011, avec 8 850 voix, qu’elle se classait première de son parti, « et qu’il ne nous manquait que 0,25 pour cent des suffrages pour décrocher un sixième mandat ». Elle était persuadée ne pas avoir perdu ces élections, malgré le départ des mammouths historiques, et s’était toujours très bien entendue avec Lydie Polfer durant les quatre ans de travail commun (ce que prouvait, dans le non-verbal, une photo de couverture de PaperJam). « C’était vraiment brutal, se souvient-elle, mais Lydie Polfer est une femme politique implacable. » Depuis l’automne, Sam Tanson est porte-parole de la fraction écolo au conseil communal de la capitale. Elle, qui est entrée par la grande porte de la majorité, découvre la dure vie de l’opposition, « beaucoup plus frustrante » parce qu’on ne peut pas décider, seulement discuter. « Pourtant, j’aime ma ville et j’aime m’investir pour y améliorer la qualité de vie ».
Devant la vitre, cette matinée de grand soleil, les vélos et les trottinettes sont très nombreuses sur les pistes cyclables et les trottoirs, les gens empruntent de plus en plus les moyens de mobilité douce en ville et Sam s’en réjouit. D’ailleurs si elle a un grand regret de ne plus y être au pouvoir, c’est de n’avoir pu terminer le travail sur le réseau des pistes cyclables. « On me dit parfois fanatique, mais le vélo fait partie de l’urbanisme d’une ville, les gens ont recours au vélo si les conditions sont bonnes, et cela a des implications sur le bien-être global, la qualité de l’air, l’ambiance etcetera. » Sam Tanson est persuadée qu’il est impossible de promouvoir en même temps toutes les mobilités – individuelle, en voiture, commune, en bus ou tram, et douce, en vélo ou à pied – ce que promet pourtant la nouvelle majorité.
Son mandat de conseillère d’État s’est lui aussi soldé par une déception, un arrière-goût désagréable. Alors que Sam Tanson affirme avoir adoré y siéger et travailler d’arrache-pied mais en toute collégialité avec des gens très érudits et intelligents à l’amélioration des projets de loi, le vote de la majorité des sages contre la candidate écolo, Joëlle Christen, l’a déçue. Elle a abandonné le conseil d’État pour la Chambre des députés, où elle a repris le mandat de Claude Adam, qui voulait quitter la politique. Et en un mois, elle y a déjà mis les bouchées doubles, fait partie de six commissions parlementaires, dont la commission juridique, qu’elle préside.
Le droit, les enfants, la campagne Sam Tanson a deux enfants, dont la naissance fut liée aux campagnes électorales : son fils est né durant celle de 2011, puis on se souvient l’avoir vue distribuer des flyers enceinte de sa fille, en 2013. Cette fois, les choses devaient être plus calmes, plus planifiables – jusqu’à la mort tragique de Camille Gira, « un mec formidable, qui laisse un vide énorme » selon Sam. « On est tous encore sous le choc, concède-t-elle. Sonnés et en deuil. L’ambiance n’est vraiment pas encore à l’enthousiasme d’une campagne. » Mais ça viendra : dès le congrès extraordinaire pour avaliser la nomination de Claude Turmes, mardi, les événements vont reprendre leur cours : fête des 35 ans des Verts, puis seront présentés les candidats (elle sera co-tête de liste avec François Bausch au centre), le programme, la campagne...
« Je crois pouvoir dire que j’ai un sens aigu de la justice », avance Sam Tanson. C’est une des raisons pour lesquelles elle n’a jamais vraiment arrêté d’exercer le droit et continue à travailler à l’étude d’Alain Rukavina, où elle s’est spécialisée en droit du travail, commercial et administratif. Puis il y a encore cette histoire familiale qu’elle aimerait sonder davantage : son grand-père maternel fut Roger Schleimer, déporté à Hinzert, conseiller communal à Esch-sur-Alzette et député de 1968 à 1979, d’abord pour les socialistes, puis pour le parti dissident d’Astrid Lulling, la SdP (Sozialdemokratesch Partei, fondée en 1970 et dissoute en 1984). Sam l’a connu, « c’était un homme vraiment droit », mais qui ne parlait pas beaucoup. Un jour, elle ira dans les archives pour retracer son parcours au-delà de l’histoire familiale.
Coups de gueule Sam Tanson est aussi une cultureuse, fréquente concerts rock, théâtres, musées. Ce fut donc tout naturellement qu’elle choisit de siéger dans la commission parlementaire de la Culture – où une des premières réunions auxquelles elle assista, fin avril, fut celle où la nouvelle directrice du Mudam, Suzanne Cotter, fut invitée à présenter son programme pour le musée. Il y a quinze ans, elle écrivait aussi des critiques de théâtre pour ce journal, ses opinions tranchées lui valurent quelques volées de bois vert sur notre page de commentaires par des supposées coryphées du microcosme culturel luxembourgeois.
Aujourd’hui, elle ne s’est pas vraiment assagie. Même si, sur les réseaux sociaux – Twitter, Facebook, Instagram, son propre blog (https://samtanson.com), elle est partout –, elle promeut son activité politique et un style de vie sain fait de sport et de famille. Elle a toujours cette « frech Kuck », ce regard d’effrontée qui indique qu’elle va sortir une vanne ou s’énerver bientôt. Les cheveux courts type garçon manqué y aident certainement. Mais elle choisit mieux les causes pour lesquelles elle s’engage ou les raisons de s’énerver : en commission juridique par exemple, elle s’est donné comme priorité de faire passer les projets les plus importants du ministre écolo de la Justice Felix Braz avant l’été encore : le juge des affaires familiales, la réforme de l’exécution des peines et de la prison... Parce qu’après les vacances, ce sera râpé : les partis seront en mode campagne électorale. Tous.