Concurrence dans la câblodistribution

Marché public ou concession ?

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2010

La commune de Mersch l’avait jouée très fine, sur le plan juridique, en mettant hors jeu en avril 2008 de son réseau de câblo­distribution l’entreprise Coditel, qui l’avait pourtant exploité pendant 25 ans. Le consortium Eltrona/Nokia Siemens avait pris la relève avec la plateforme Imagin – Le câble multimédia en signant un contrat de concession pour dix ans avec la commune. La décision est au cœur d’un litige opposant depuis l’été 2008 devant les juridictions administratives Coditel à l’administration communale de Mersch, le câblodistributeur éconduit (son contrat avec Mersch fut dénoncé à la fin mars 2007 avec effet au 15 avril 2008) cher­chant à faire annuler le contrat en raison de sa non-conformité avec la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics (le texte a été modifié depuis). Les juges administratifs n’ont décelé aucun vice, ni aucune violation dans le contrat de concession qui avait fait l’objet d’un appel d’offre, procédure peu ordinaire au grand-duché. Ce qui donne d’ailleurs un relief particulier au jugement du Tribunal administratif tombé le 25 février dernier.

Mars 2008 : un bureau d’ingénieurs-conseils mandaté par l’ad-ministration communale de Mersch lance un appel d’offre sur la base d’un cahier des charges pour l’attribution de la gestion du réseau communal de télédistribution. Quatre entreprises sont alors contactées. Deux seulement présentent une offre : Coditel, l’exploitant sortant et Eltrona/Nokia Siemens. Tout se joue dans un mouchoir de poche et très vite, le contrat avec les nouveaux partenaires est signé le 21 mars et dix jours plus tard, le conseil communal l’approuve. La valeur économique des deux offres est « sensiblement comparable », mais le « résultat de l’évaluation des critères sur base de la pondération fixée dans le cahier des charges » donne l’avantage à Eltrona/Nokia Siemens.

Les dirigeants de Coditel fustigent et saisissent le Tribunal administratif, compétent selon eux pour trancher le litige et dire si le refus de l’attribution en sa faveur du marché public de la gestion du réseau de télédistribution est légitime ou non. De leur côté, les responsables du consortium Eltrona/Nokia Siemens soutiennent l’inapplicabilité dans cette affaire de la lé-gislation sur les marchés publics, le contrat litigieux étant une « concession ». Il s’agit donc, soutiennent-ils d’un litige contractuel relevant de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires. La loi de 2003 sur les marchés publics définit un marché public comme un « contrat à titre onéreux ». Condition qui n’est pas remplie à Mersch, la convention de concession ne prévoyant pas le paiement d’une redevance par la concessionnaire à la commune (propriétaire du réseau) en contrepartie du droit d’exploiter le réseau. Sa gestion est gratuite. L’absence de redevance ne permet pas d’écarter la qualification de marché public et donc l’application de la loi de 2003, a rétorqué Coditel.

Pour le Tribunal, c’est fifty-fifty : l’administration communale en tant que collectivité territoriale doit être considérée comme « pouvoir adjudicateur » au sens de la loi du 30 juin 2003. Mais il faut encore une condition supplémentaire pour tomber dansle champ d’action de ce texte : le caractère « onéreux » de la prestation. « Force est de constater que le contrat de gestion en question ne prévoit pas qu’une contrepartie soit payée directement par la commune », indique le jugement. La commune reste propriétaire du réseau ainsi que des modernisations que le gestionnaire lui apporte. Ce dernier se voit attribuer le droit d’exploiter en vue de sa propre rétribution, sans payer de redevances, celles-ci étant payées par les abonnés du câble et des services d’Internet à large bande. « L’opération s’apparente donc plutôt à une concession de service public et en constitue même une au sens du droit communautaire », disent les juges.

En l’absence de dispositions nationales sur les contrats de concessions de services publics et de directives européennes en la matière, certains principes doivent néanmoins être respectés comme la non-discrimination ou l’obligation de transparence qui implique un « degré de publicité adéquat » permettant une ouverture des concessions de services publics à la concurrence. En lançant un appel d’offre avec un cahier des charges détaillé à quatre firmes, Mersch n’a pas trahi les grands principes communautaires. Le recours de Coditel a été rejeté au fond comme « non justifié ». Un appel devant la Cour administrative est toujours possible.

Véronique Poujol
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