Aide publique au développement

À la recherche d’un nouveau souffle

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2010

Apparemment, il s’agit d’une bonne nouvelle : selon l’OCDE, l’assistance apportée par les 22 États membres du Comité d’aide au développement (CAD) aura augmenté malgré la crise de 35 p.c. depuis 2004, atteignant en 2010 le niveau record d’environ 108 milliards de dollars.

L’engagement des quinze pays de l’UE, qui sont également membres du CAD, était d’arriver à consacrer à l’aide publique au développement 0,56 p.c. de leur revenu national brut en 2010, pour parvenir à 0,7 p.c. en 2015. Plusieurs pays ont déjà fait bien mieux, comme la Suède, où l’aide représente désormais 1,03 p.c. du RNB. Le Benelux occupe une excellente place, avec 0,7 p.c. en Belgique, 0,8 p.c. aux Pays-Bas et surtout 1 p.c. au Luxembourg, un des meilleurs taux du monde.

Le hic, selon le secrétaire général Angel Gurria, c’est que le résultat atteint reste 21 milliards en deçà des promesses faites par les pays riches en 2005. Et la contraction des économies du fait de la crise n’est pas une explication suffisante, car elle est évaluée à environ quatre milliards de dollars seulement.

Le principal problème, a-t-il déploré, est que « sept pays n’ont pas honoré leurs engagements, alors que certains d’entre eux sont de très gros bailleurs de fonds », dénonçant notamment l’Allemagne (0,4 p.c.), le Japon (0,35) et l’Italie (0,2), mais curieusement pas les États-Unis (0,24 p.c.) et le Canada (0,37 p.c.).

La France, volontiers donneuse de leçons dans ce domaine, est aussi montrée du doigt. « Des pays tels que la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni démontrent qu’il est possible, malgré les contraintes budgétaires, de tenir ses engagements de solidarité internationale », fait valoir l’organisation non gouvernementale Oxfam, stigmatisant la contre-performance de la France, « censée être un pays moteur en matière d’aide au développement ». En effet, alors que l’aide française n’a guère augmenté proportionnellement de 2004 à 2010, passant de 0,41 p.c. du RNB à 0,46 p.c., le Royaume-Uni, dont le déficit public s’est encore davantage creusé que celui de la France avec la crise, aura porté son aide de 0,36 p.c. à 0,56 p.c. de son RNB. De son côté, malgré des circonstances difficiles, l’effort espagnol est passé de 0,24 p.c. à 0,51 p.c.

L’identité des « mauvais élèves » a une conséquence directe : s’agissant de pays qui sont d’importants bailleurs de fonds pour l’Afrique, c’est le continent noir, déjà le plus pauvre de la planète, qui paie les pots cassés. Les Africains ne recevront donc « que 12 milliards de dollars sur les 25 milliards supplémentaires prévus », regrette l’OCDE, alors que leurs besoins n’ont jamais été aussi pressants.

L’universitaire français Philippe Hu­gon souligne que « l’Afrique a souffert d’une baisse des exportations, car les pays riches, en récession, importent moins de matières premières, mais aussi d’une diminution des transferts effectués par les migrants, qui occupent une place considérable dans les économies de pays comme le Mali, le Lesotho ou les Comores ». Il ajoute que « pour l’instant, le continent fait face en creusant ses déficits et grâce au soutien d’institutions régionales ou internationales, mais qu’il reste très vulnérable », la spéculation sur les marchés des matières premières risquant de provoquer des crises alimentaires, comme celle de 2008.

De toute manière on sait aujourd’hui que les huit Objectifs du Millénaire pour le Développement fixés par les Nations-Unies en 2000 pour réduire, à l’horizon 2015, l’extrême pauvreté, ne seront pas atteints et la gravité de la situation conduit à s’interroger sur la pertinence du dispositif actuel.

Interrogé par le quotidien économique La Tribune, Jean-Michel Séveri-no, directeur général de l’Agence Française de Développement (AFD) depuis 2001, a déclaré que « dans sa forme actuelle, l’aide publique au développement est morte ». Il existe pour lui trois raisons majeures.

La première est la multiplicité des acteurs qui assurent cette aide. Jusque dans les années 1980, elle était surtout le fait des états du Nord de la planète. On assiste progressivement à l’entrée en scène des pays émergents (surtout la Chine) et de ceux de l’ancien bloc de l’Est. Certains des nouveaux intervenants n’adhèrent pas à la déclaration de Paris de mars 2005 sur l’efficacité de l’aide et la transparence des ressources. Plu­sieurs d’entre eux n’ont pas même pas d’action directe sur le terrain, recherchant parfois un impact systémique et non local : Unitaid, créée en 2006 et financée par une taxe sur les billets d’avion, est en réalité une centrale d’achats de médicaments. Inexistante dans les années 70 et 80, l’aide privée monte en puissance avec un flux qui pèse désormais 40 milliards de dollars par an, presque autant que les décaissements publics.

La deuxième raison tient à la diversité des défis que la coopération internationale est désormais amenée à relever : la pauvreté, mais aussi les crises sanitaires, climatiques ou alimentaires.

Enfin le coût de l’aide publique paraît de moins en moins tolérable. Il est directement fonction de la démographie : or la Terre aura neuf milliards d’habitants d’ici à 2050. À cela s’ajoute le coût très important du changement climatique. Et les pays en développement sont très attentifs à ce que l’aide climatique s’ajoute à l’APD et ne se substitue pas à elle.

Au total, les pays donateurs devraient multiplier par deux, trois ou quatre leurs contributions, ce qui semble hors de portée puisqu’ils n’arrivent déjà pas à honorer leurs modestes engagements actuels. Jean-Michel Séverino considère donc que les ou­tils traditionnels de l’aide publique au développement sont dépassés à la fois par le montant des ressources à mobiliser, par les défis à relever et par la diversification accélérée du paysage de l’aide (au niveau des acteurs comme des objectifs). Il plaide pour de nouvelles politiques de soutien aux pays du Sud, en tenant compte du nouveau contexte.

Ainsi, les motivations de l’APD ont profondément évolué. Jusque dans les années 1980, le souci géopolitique était très présent, les démocraties occidentales cherchant à limiter l’influence de l’URSS. Dans les années 1990, les motivations humanitaires sont devenues dominantes et restent valables aujourd’hui. Mais la solidarité internationale et la compassion font aussi place à d’autres besoins.

Certains pays sont, pour des raisons sociétales ou géopolitiques, en situation de « décrochage » car ils restent en dehors des grands courants d’échanges mondiaux. L’APD peut les aider, en renforçant leurs capacités, à mieux s’intégrer à l’économie mondiale. Elle peut aussi travailler à réduire certaines inégalités, qui s’amplifient, par la fourniture de biens et de services essentiels.

C’est pourquoi les « Objectifs du Millénaire pour le Développement » doivent être révisés, car ils ont été conçus comme une mécanique de redistribution internationale indépendante de tout objectif de rattrapage de croissance.

Il faut aussi assurer l’accompagnement de la libéralisation du commerce international, dont on ne parlait pas il y a quinze ans, intensifier la coopération internationale contre la corruption et le terrorisme et unifier les règles contre le blanchiment d’argent.

Les pays en développement doivent mettre en place des réglementations douanières, tenir des statistiques économiques et commerciales.Certains pays ont besoin d’être aidés à surmonter des difficultés spécifiques telles que les pandémies ou les conséquences de catastrophes naturelles, comme on l’a vu récemment à Haïti ou au Bangladesh.

Enfin, la question de l’environnement est désormais cruciale, étant même devenue une composante des problématiques sociales. Des biens publics mondiaux comme la forêt doivent être protégés, qu’il s’agisse du climat ou de la biodiversité, ce qui implique de nombreux pays pourront recevoir des compensations au titre de sa protection.

Outre la remise en question du système même, reste la question de son application. « Nous à l’OCDE, nous surveillons les objectifs. Mais nous n’avons pas beaucoup de pouvoir politique. Nous ne pouvons qu’alerter sur la situation » concède Yasmin Ahmad, chef de l’unité de recueil des données de l’OCDE, ajoutant que « si un pays ne tient pas ses promesses, il n’aura pas d’amendes, ni de sanctions ». Seule l’opinion publique peut réellement faire pression sur un gouvernement pour lui rappeler ses engagements.

Georges Canto
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