Depuis près d’un mois, nous avons vu renaître ici et là, dans les parcs, bars, clubs et autres lieux de rassemblements, le retour de la fête, avec la levée des restrictions de rassemblements, même sous certaines conditions (nombre limité, CovidCheck, etc.). Que ce soit pour la Fête nationale, la fête de la musique ou encore l’Euro de football, les images de rassemblements joyeux et festifs se multiplient ces derniers jours dans la presse nationale et sur les réseaux sociaux, entraînant tous les excès et éclats. Et pourtant, il y a encore quelques semaines, les mêmes images de jeunes bravant les interdits pour se rassembler dans les parcs faisaient la une des journaux pour dénoncer leurs actes alors classifiés, si pas criminels, du moins subversifs.
Depuis mars 2020 et l’arrivée de la pandémie, la fête, la java, la bringue, la bamboche ont pris un sacré coup en devenant l’étendard de la diffusion sans précédent d’un virus mortel. La fête est, par principe, un moment de rassemblement, pour célébrer, partager ensemble, le temps suspendu, s’allonge parfois jusqu’au petit matin, un temps qui se termine inexorablement par une séparation, retournant chacun dans sa sphère privée, propageant ainsi la menace. Qu’elle fût religieuse, sportive, culturelle ou personnelle, la fête a incarné le point de départ d’une transmission incontrôlable d’un agent inconnu, menaçant nos sociétés. Si elle fût aussitôt bannie, exclue, prohibée (la Chine a pris comme première mesure hautement symbolique l’annulation des festivités liées au Nouvel An), elle est devenue, à travers le monde, à la fois menace, besoin non essentiel, mais aussi le symbole d’une liberté entravée. Qu’il n’en déplaise à certains, le confinement et la distanciation sociale imposés par la pandémie n’ont fait que redonner à la fête son caractère indispensable à la vie de chacun en société. Fêtes de village, carnavals, fêtes religieuses, fêtes nationales, fêtes d’anniversaire, autant d’événements qui permettent à l’individu d’appartenir, d’être au monde, de s’affirmer et de créer du lien, au-delà de son seul cercle familial et du politique.
L’anthropologue Jean Duvignaud, un des spécialistes de la question, écrit : la fête « détruit ou abolit, pour tout le temps qu’elle dure, les représentations, les codes, les règles par lesquels les sociétés se défendent contre l’agression naturelle. » Pour tous les anthropologues, la fête est bel et bien une nécessité universelle que connaissent toutes les sociétés, de socialisation mais aussi un outil fort de subversion et d’appartenance. Les carnavals sont, par exemple, l’occasion pour le peuple de railler ses personnages publics et tout particulièrement ses dirigeants, et ainsi prendre possession de l’espace public, tout comme les festivals traditionnels saisonniers, qui sont l’occasion de fêter une saison ou de la chasser, pour entrevoir des jours meilleurs. Quoi qu’en disent les politiques, les rassemblements festifs, figureraient donc dans la liste des besoins primaires, offrant le lieu et le moment de socialiser dans une temporalité propre, en dehors de la société et de ses codes établis. Pour preuve, on a vu ce besoin complètement réinventé dès les premiers jours du confinement, voyant apparaître les fameux apéros virtuels en ligne, mais aussi les rassemblements sur les balcons, partageant musique et applaudissements, ainsi que de nombreux regroupement clandestins. Tous les moyens furent bon pour maintenir ce être ensemble. La pandémie a ainsi réécrit les rites festifs tout comme ses espaces, le lieu de l’intime est devenu le lieu de partage, l’écran a joué le médiateur, les codes se sont adaptés à la distance physique. Malgré cela, la solitude et le vide se faisaient bien pesants une fois l’écran devenu muet.
Une éclaircie est enfin apparue il y a quelques semaines, un avant-goût d’un monde d’après qu’il nous reste à réinventer et ses rites à réécrire. Avec l’allègement des restrictions, et la mise en place du système CovidCheck, certains ont commencé à goûter à un retour presque normal aux festivités, au plaisir d’être enfin de nouveau ensemble. Mais la menace du Delta plane et la fête est de nouveau pointée du doigt… Viendra le temps où nous chanterons et danserons, en liberté !