Stil

Deux valent mieux qu’une

d'Lëtzebuerger Land du 18.06.2021

Un peu comme dans l’histoire du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide, on a trop souvent tendance à ne retenir que les conséquences néfastes des crises. Or, il serait bon de nous rappeler que parfois, celles-ci offrent aussi, en contrepartie, de belles opportunités. Et quand ces opportunités conduisent à la naissance de jolies choses, l’histoire mérite d’être racontée…

Au printemps 2020, en plein confinement, le Cercle Cité fait un pied de nez à la pandémie en lançant Design Decameron, une exposition en ligne donnant carte blanche à dix designers luxembourgeois pour créer une œuvre en rapport avec l’actualité. Le travail de Miriam Rosner, aka Monogram, fait mouche et sa création, une Toile de Jouy contemporaine, ne tarde pas à susciter les réactions. Il faut dire que l’idée est bien pensée : historiquement, les motifs des Toiles de Jouy, nées en France en 1760, servaient à propager des thèmes populaires, des idées politiques ou à ancrer des événements historiques. « J’ai choisi de reprendre ce procédé pour proposer une version julesvernesque de Luxembourg pendant la pandémie, en réalisant des collages de vieilles illustrations du 19e siècle, issues de ma collection personnelle. Puis j’y ai ajouté des masques, un pangolin, une chauve-souris et un rouleau de papier toilette, histoire de coller aux infos du moment », relate Miriam. À son travail, la designer appose le credo « Semper Fortis », l’équivalent de « Restons fort » en latin, un message qu’elle adresse tant à sa profession, mise à mal par le virus, qu’à la population toute entière.

À l’automne, Miriam se voit proposer de décliner son œuvre sur des masques en tissu, objets phares du moment, qu’elle choisit alors d’offrir à ses clients. « Très rapidement, les demandes ont afflué et j’ai fini par en réimprimer pour les vendre sur mon e-shop ». Et là, les choses s’enchaînent. Sa Toile de Jouy contemporaine intéresse RAK, le fabricant de porcelaine, et en quelques semaines, 120 boîtes d’assiettes de table destinées à la vente sont livrées au domicile de la designer. « J’avais proposé l’idée par mail et dix minutes plus tard, mon projet était validé. C’est comme ça qu’au lieu de faire des biscuits de Noël avec mon fils, j’ai passé la fin d’année à préparer et à emballer tous les paquets moi-même ». La vaisselle est rapidement éclusée, une partie des bénéfices reversée sous forme de don à l’asbl luxembourgeoise Catch a Smile et l’aventure Semper Fortis semble alors toucher à sa fin… Mais c’était sans compter l’intervention de Dorte Felgen. « Avec Miriam, nous sommes amies depuis 17 ans. J’ai acheté plusieurs boîtes de ses assiettes, je les utilisais tout le temps, je les ai même amenées au Danemark, d’où je suis originaire. Alors un soir, quand Miriam est venue dîner à la maison, je l’ai prise à part et je lui ai dit ‘Tu dois continuer, tu ne peux pas t’arrêter là’ ».

L’idée trotte dans la tête de la designer, qui avait toujours un peu caressé l’idée d’ouvrir un magasin d’objets de décoration. « J’avais même fait une formation à la Chambre de commerce pour cela. Mais là, continuer Semper Fortis en plus de mon travail, ça me paraissait beaucoup », confie-t-elle. La solution est alors toute trouvée : parce que deux valent mieux qu’une, Dorte et Miriam s’associent pour pérenniser et développer la marque. « Je me souviens qu’il y a longtemps, quand nos enfants étaient encore petits, on s’était dit que ce serait chouette d’avoir un magasin ensemble ou de se lancer un tel défi. Avec Semper Fortis, c’est chose faite », se réjouit Dorte. Diplômée en sciences des médias à l’Université de Trèves et experte en marketing, cette dernière s’occupe de diffuser la marque, de démarcher et de livrer les quatre points de vente du pays (Cereal Lovers, L’Epicerie, Pall Center-Oberpallen et l’épicerie Am Duerf à Schrondweiler), quand Miriam se charge de son côté du design et des réseaux sociaux.

À l’heure actuelle, la collection compte trois produits : un duo de mugs, un duo de torchons de cuisine imprimés en collaboration avec l’asbl Eilenger Konschtwierk et une bougie réalisée avec l’asbl Op der Schock. « Cette bougie au vétiver a une odeur fraîche et boisée que nous avons élaborée nous-même. On a passé des heures à tester les fragrances et à les faire brûler chez nous jusqu’à trouver la senteur parfaite. Le contenant peut aussi servir de mug ou de pot à crayons : on veut créer des produits qui peuvent avoir une double utilisation », souligne Dorte. En été, une bougie à la citronnelle viendra compléter la gamme et une collection capsule avec la marque de vêtements Vol(t)age est d’ores et déjà annoncée. Puis les deux amies réfléchiront ensemble à de nouvelles créations : « On ne veut pas faire de produits de masse mais plutôt des petits objets twistés, d’où le concept d’édition limitée. Notre emblème, un ange sans aile, sera toujours de la partie mais à l’avenir, on s’inspirera d’autre chose que du Covid-19. Le fil rouge restera cependant toujours le Luxembourg, sa culture, son patrimoine et son histoire ». Les idées ne manquent pas au duo. Vu l’enthousiasme et la créativité des deux amies, il y a fort à parier que de belles créations viendront prochainement enrichir la gamme, et par là même nos maisons ou celles des touristes de passage, la collection pouvant faire office de jolis souvenirs de voyage – l’habituel kitsch en moins.

Salomé Jeko
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