Pique et pique et colégram

d'Lëtzebuerger Land du 04.06.2021

L’année dernière, nous pouvions devenir des héros du quotidien en restant cloîtrés à la maison. C’était un niveau d’effort qui semblait à la portée des moins motivés. Le seul obstacle entre chacun d’entre nous et un niveau « ceinture noire » en Netflix consistait à trouver un endroit où commander sa pizza douze fromages et la nécessité, quand même, pour les parents, de se transformer en professeurs et, pour les actifs, d’assurer une activité professionnelle dans des conditions inédites. Maintenant, voilà que l’on nous demande de retrousser nos manches. Non pas pour mettre la main à la pâte, mais juste pour offrir nos bras à une petite injection et contribuer, ainsi, à augmenter l’immunité collective. Si vous n’avez pas assisté à des cours de « vie et société » depuis plusieurs années, ce ne sera pas évident de vous souvenir de la dernière fois où l’on s’était adressé à vous en tant que citoyen, capable de faire un effort pour la communauté, et pas simplement en tant que consommateur, électeur ou collaborateur. Alors on y va, même si l’on n’en meurt pas d’envie.

Face aux perspectives de retrouver une vie sociale, culturelle et professionnelle, de partir en vacances ou simplement de profiter des beaux jours sans devoir considérer son prochain comme un danger potentiel, le vaccin représente un prix à payer plutôt dérisoire. D’ailleurs, c’est moins cher qu’un verre de bière, et la liste d’attente n’est pas beaucoup plus longue que pour obtenir une place sur la terrasse du Gudde Wëllen un samedi après-midi. Bravo aux chercheurs pour avoir travaillé aussi vite – moins d’un an pour un vaccin contre le Covid-19, et toujours rien contre la calvitie, la gueule de bois ou la bêtise humaine. Pourtant, les craintes demeurent. Tout le monde a entendu parler des cas de thromboses, ou autres effets indésirables, et même si les risques sont, d’après les experts, plus faibles qu’en restant immobilisé lors d’un vol long-courrier, ou qu’en prenant la pilule contraceptive, il faut reconnaître qu’on a connu des arguments plus vendeurs pour attirer le chaland. On aurait dû confier la communication pour la campagne de vaccination aux chaînes de fast-food. Voilà des gens qui ne s’embarrassent pas de la différence entre le hamburger pris en photographie, confortablement installé sur son lit de salade verte, devant un verre de soda ruisselant de fraîcheur et l’éponge informe, bancale et tiède, à moitié explosée dans son emballage en carton, calée au fond du sac en papier par des frites sorties du sachet et un gobelet bien triste. Alors que le scientifique, est-ce qu’il nous vend du rêve avec sa couverture vaccinale, son taux d’efficacité et son rapport bénéfice/risque ?

Une probabilité de quatre sur un million de ressortir d’un vaccinodrome en moins bon état qu’on y est entré, c’est évidemment très faible si l’on réfléchit bien, et il est probable que le risque le plus grand se situe dans le fait de prendre sa voiture jusqu’au lieu de rendez-vous. Mais il est plutôt question de psychologie que de mathématiques. D’ailleurs, les chances de remporter le gros lot à l’EuroMillions sont environ 35 fois plus faibles. En toute logique, personne ne devrait croire pouvoir réussir à un jeu de hasard dans lequel il faut jouer environ 2 673 ans pour être à peu près certain de remporter le gros lot. Pourtant, nous sommes nombreux à espérer devenir millionnaires et à consacrer nos 2,50 euros hebdomadaires à un investissement à la rentabilité pour le moins incertaine. Les probabilités, tout le monde s’en fiche. On veut être séduits, pas convaincus. Ce n’est pas une boîte de cinquante masques qu’il faut offrir après le rendez-vous, mais plutôt un catalogue Luxair ou des places pour un concert à l’Atelier.

Entre le jour où ces lignes ont été écrites et le jour de leur publication, j’aurai eu le temps de savoir si j’ai été frappé de malchance. Mais je suis plutôt optimiste, je ne gagne jamais à la loterie. Comme tout le monde, d’ailleurs, c’est le principe. Il y a sans doute des génies qui ont deviné qu’il fallait acheter des actions Apple en 1980, ou que c’était une excellente idée de convertir son assurance vie en bitcoins il y a deux ans. Investir toutes ses économies dans une valeur aussi volatile qu’un papillon devant une tempête tropicale, demande une certaine foi en sa bonne étoile, même si c’est contre la promesse de devenir aussi riches que si vous touchiez un euro à chaque fois que vous cliquez sur « j’accepte les cookies ».

Pour le commun des mortels, si l’on veut sauver l’humanité, et accessoirement nos vacances au soleil, il nous reste juste à faire confiance à la science plutôt qu’à la chance !

Cyril B.
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