Le nombre impressionnant de saynètes écrites Georges Courteline (1858-1929) – il dit « un acte, un seul acte, voilà ma mesure au théâtre » – peut être vu comme une introduction à ses comédies. Il y illustre, souvent de façon exquise, la sottise et la méchanceté de l’homme, mais toujours avec une note touchante. C’est un peintre avisé de la médiocrité humaine, qui fait rire le spectateur qui se sait au théâtre, et souvent est dupe en ne réalisant pas sur le moment que le comédien s’inspire de la « vraie » vie.
Courteline se montre dans ses saynètes en fin observateur de la vie quotidienne et ainsi se situe dans la tradition naturaliste de Denis Diderot et d’Émile Zola, en rupture avec le théâtre de boulevard. Dans l’optique de l’incommunicabilité entre les hommes, qui restent coincés dans leur point de vue, presque incapables de voir l’autre, Courteline, par ses observations, est en ce sens un précurseur de l’absurde.
Saynètes, un ensemble de douze petites scènes, choisies par v, metteur en scène, scénographe et costumier du spectacle, met le public dès le début de la soirée face à un décor dépouillé, genre 19e siècle : une grande pièce tapissée de blanc cassé, avec en face un piano, des deux côtés une armoire intégrée, dont l’une, côté cour, sert d’entrée et de sortie à un pianiste majestueux, immuable et aveugle ; Jean Muller qui interprète du Johannes Brahms et signale un changement de scène.
L’autre armoire, côté jardin, sert en revanche en particulier de « boîte à trésors », dont sont lancés peu à peu, des vêtements et des accessoires de toutes les couleurs, servant aux comédiens, d’innombrables trouvailles provenant du fundus du Théâtre National, une possible allusion à l’univers de toutes les possibilités du théâtre.
Le choix des diverses petites scènes permet d’entrer dans l’univers quotidien des gens, illustre leurs vrais et leurs faux problèmes ainsi que leurs façons de tirer l’épingle du jeu. Certaines se prêtent bien à être adaptées à diverses époques et peuvent être qualifiées de tristes (quel triste sort que le leur), parfois de pitoyables. Certes on en rit mais le qualificatif se rapporte plutôt aux petitesses et maladresses des protagonistes, à leur « talent » de créer des problèmes, de se montrer désemparés, de faire basculer leur situation dans l’absurde. Dans cette optique les trouvailles du metteur en scène et le jeu des comédiens y sont pour beaucoup.
Parfois une drôle de situation est portée à son comble par le jeu. Citons l’homme désorienté par la description de ce qui s’avère le labyrinthe des transports en commun à Paris dans Rue de la Pompe. Prenons la saynète intitulée Monsieur Badin, où le fonctionnaire, un éternel absent, s’explique face au directeur : « Écoutez, Monsieur. Avez-vous jamais réfléchi au sort du pauvre fonctionnaire qui, systématiquement, opiniâtrement, ne veut pas aller au bureau et que la peur d’être mis à la porte, hante, poursuit, torture, martyrise, d’un bout de la journée à l’autre ? ».
Le jeu des comédiens, excellent dans diverses saynètes, comme Denis Jousselin en voyante ou Raoul Schlechter dans L’ours, permet de goûter davantage certaines scènes. De même que le choix varié des situations du metteur en scène qui visiblement prend plaisir à arranger certaines scènes et à en faire des tableaux qui, parfois par leur extravagance ou leur drôlerie provoquent le rire, même dans des situations plutôt tristes en elles-mêmes.
Saynètes de Georges Courteline fait rire, sourire, méditer et l’équipe Jean Flammang, Denis Jousselin, Raoul Schlechter, accompagnée au piano de Jean Muller, entraîne le public dans un bain théâtral aux accents absurdes.