Quand se loger devient trop cher. Constat et revue des dispositifs

Cher immobilier

Au Luxembourg, les loyers ont augmenté de trois à six pour cent par an selon les biens
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 10.10.2025

Depuis 2016, la banque suisse UBS publie un indice annuel des prix de l’immobilier résidentiel dans une sélection de grandes villes de la planète. La version 2025 du « Global Real Estate Bubble Index », publiée le 2 octobre, a porté sur 21 métropoles dont neuf en Europe et six en Amérique du nord. Plutôt rassurants quant à l’évolution générale des prix, les résultats restent néanmoins inquiétants au regard des niveaux atteints, devenus inaccessibles à l’écrasante majorité de la population et poussant les autorités à intervenir. Mais le phénomène déborde largement du cadre des grandes agglomérations.

En Europe, l’indice UBS affiche des résultats favorables, six villes sur neuf présentant un risque faible (Londres, Milan, Paris) ou modéré (Francfort, Madrid, Munich) de formation d’une bulle immobilière. Francfort et Paris, considérées comme « à risque élevé » en 2021 sont rentrées dans le rang avec une baisse moyenne des prix réels de près de vingt pour cent depuis leur sommet, une évolution également connue à Hong Kong, Toronto ou Vancouver. En moyenne, les marchés mondiaux du logement ont continué de se refroidir, selon Matthias Holzhey, auteur principal de l’étude, qui estime que « l’exubérance généralisée s’est estompée, le risque moyen de bulle dans les grandes villes ayant diminué pour la troisième année consécutive ».

En revanche, un risque élevé persiste dans trois villes européennes, Amsterdam, Genève et surtout Zürich, qui monte sur la troisième marche du podium mondial du risque de bulle, derrière Miami et Tokyo. Autre constat : Madrid, bien qu’étant classée « à risque modéré », connaît une dérive préoccupante, ayant connu sur la dernière année la plus forte croissance des prix parmi toutes les villes analysées, avec une augmentation de quatorze pour cent. Mais le principal bémol tient au niveau toujours très élevé des prix réels, c’est-à-dire exprimés par référence aux revenus des acheteurs, dans plus de la moitié des villes étudiées.

À Hong Kong, le prix d'un appartement de 60 mètres carrés équivaut à quatorze années du revenu moyen d'un salarié qualifié. La métropole chinoise est suivie d’assez près par deux villes européennes, Paris (12,5 années) et Londres (douze années) tandis que les prix dépassent les dix années de revenus dans deux autres grandes villes, Tokyo et Singapour (respectivement 11,5 et 10,5 années). Dans six autres villes (Zürich, São Paulo, Münich, Genève, Sydney et Dubaï) l’effort est compris entre huit et neuf années de revenus. UBS considère qu’au-delà d’une valeur de dix années, il existe un « découplage » avec les revenus locaux, ce qui signifie que les biens immobiliers deviennent inabordables pour les habitants du pays. Qui plus est, l’évolution récente leur est très défavorable car globalement, pour un salarié qualifié, la surface d’un logement financièrement accessible était en moyenne trente pour cent plus petite en 2024 qu’en 2021.

Les causes de cette situation sont bien connues. Les grandes cités sont des centres économiques majeurs, attirant les entreprises locales et étrangères qui ont besoin d’y loger leurs collaborateurs. Les personnes fortunées s’y pressent également, pas seulement pour des raisons liées à leur business, mais également attirées par une fiscalité douce, un mode de vie agréable ou par le climat, ce qui explique la présence dans le palmarès de villes comme Miami, Los Angeles, Genève ou Dubaï. S’ajoutent les investisseurs internationaux. Des réglementations spécifiques apparaissent quand l’immobilier devient trop cher pour les résidents. Selon Maciej Skoczek, co-auteur de l’étude, « des règles plus strictes, allant de nouvelles taxes à des interdictions d’achat ou des mesures de contrôle des loyers, ont réduit l’attrait de marchés autrefois très prisés comme Vancouver, Sydney, Amsterdam, Paris, New York, Singapour et Londres ».

Cependant la focalisation sur quelques grandes villes ne doit pas faire oublier que la hausse des prix des biens immobiliers est un phénomène beaucoup plus large. En moins de dix ans, de 2015 à 2023, les prix des logements dans l'UE ont crû de 47 pour cent, avec des écarts importants selon les pays (de cinq pour cent en Finlande à 173 pour cent en Hongrie). Au Luxembourg, avant le décrochage de 2023 (-14,4 pour cent), la hausse avait été proche de 83 pour cent de 2015 à 2022. Elle s’explique principalement, dans cette période, par une demande toujours soutenue (pour l’habitat ou l’investissement) favorisée par des taux d’intérêt très bas alors même que le rythme de construction baissait, restreignant l’offre dans le neuf.

Parallèlement aux prix d’achat, les loyers ont aussi augmenté, en moyenne de 25 pour cent entre 2015 et 2024, avec des hausses spectaculaires dans certains pays : doublement en Irlande, plus que triplement en Estonie. Seule la Grèce a enregistré une baisse (-20 pour cent). Au Luxembourg la hausse annuelle a été comprise entre trois et six pour cent selon les biens. Luxembourg-Ville est devenue la deuxième capitale la plus chère de l’UE pour la location d’un deux-pièces (1 850 euros par mois) derrière Dublin (2 050 euros). Dans dix autres capitales il faut débourser plus de 1 100 euros.

Si l’on ajoute aux remboursements d’emprunts ou aux loyers, les impôts, taxes et charges énergétiques, le poids moyen du logement dans les dépenses des ménages de l’UE est proche de vingt pour cent, une proportion qui atteint plus du quart au Luxembourg (27,6 pour cent) et au Danemark (25,9 pour cent) et dépasse le tiers en Grèce (35,2 pour cent). Chez les ménages à faibles revenus, elle grimpe en moyenne à 38,2 pour cent. Selon le Parlement européen, près d’un ménage sur dix doit même consacrer plus de quarante pour cent de ses revenus à son logement, un niveau d’autant plus critique qu’il s’agit très souvent de jeunes de moins de 25 ans. D’après une étude d’Eurofound, l'agence de l'UE chargée d'améliorer les conditions de vie et de travail, parue en mai 2023, les locataires du marché privé se trouvent dans une situation particulièrement précaire. Ainsi, « 46 pour cent d’entre eux se sentent menacés de devoir quitter leur logement dans les trois prochains mois parce qu'ils n'ont plus les moyens de le payer », révèle ce rapport.

Bien que l'UE n'ait pas de compétence particulière dans le domaine du logement, qui relève des prérogatives des États membres, les institutions européennes semblent décidées à s’emparer du problème. Ainsi la Commission européenne a érigé la question du logement au rang de priorité. En septembre 2024, le commissaire européen à l’énergie, le danois Dan Jørgensen, s’est vu également confier le nouveau portefeuille du logement. Dans sa lettre de mission, la Commission annonçait la présentation au premier semestre 2026 d’un « plan européen pour le logement abordable ». Le 24 mars 2025, était lancée dans ce cadre, en association avec la Banque européenne d'investissement (BEI), une plateforme paneuropéenne d'investissement pour le logement abordable et durable prévoyant 10 milliards d'euros d'investissement sur deux ans, en faveur de la construction, de la rénovation énergétique et de l'innovation dans le secteur du logement. Et le 10 septembre 2025, lors de son discours sur l'état de l'Union, Ursula von der Leyen a indiqué qu'une initiative juridique sur les locations de courte durée sera prochainement présentée, afin de mieux réguler une activité accusée d'aggraver la crise du logement dans plusieurs grandes villes européennes en restreignant l’offre locative classique.

De son côté, le Parlement européen a voté en décembre 2024 la création d’une commission spéciale sur la crise du logement (HOUS), initialement chargée pendant un an de cartographier les besoins, d'analyser les politiques nationales et de proposer des réformes, notamment afin de renforcer le poids du logement dans les programmes de la « politique de cohésion 2021-2027 » de l’UE (7,5 milliards d'euros de son budget ont été alloués spécifiquement au logement dans ces programmes fin 2024). Face à l'ampleur des défis identifiés, le mandat de la HOUS a été prolongé d'un an.Par ailleurs en décembre 2024 a vu le jour l'initiative « Mayors for Housing Alliance » qui regroupe les maires d’une quinzaine de grandes villes européennes, parmi lesquelles Paris, Barcelone, Rome, Athènes et Amsterdam, pour organiser une réponse structurée à la crise du logement. Dans ces métropoles « les loyers ont augmenté en moyenne de soixante pour cent au cours des dix dernières années, tandis que les prix de l’immobilier ont grimpé de 78 pour cent », déplorait le maire de Barcelone, Jaume Collboni. En mai 2025, l’alliance a présenté à la Commission européenne un plan d’action de 80 milliards d’euros, pour accroître l'offre de logements sociaux et abordables, tout en favorisant la rénovation énergétique.

Gentrification

Dans les grandes villes frappées ou menacées par une bulle immobilière, le paysage urbain évolue dans le sens d’une plus grande densité de l’habitat (pour rentabiliser un foncier très coûteux) tandis que la composition sociale et culturelle est marquée par la « gentrification », c’est-à-dire par l’éviction progressive des catégories populaires au profit des classes moyennes et supérieures, seules capables d’acheter ou de louer à des prix élevés. Les nouveaux habitants sont plus souvent des personnes seules ou des couples sans enfants, vivant sur des petites surfaces. La proportion de personnes âgées de 30 à 40 ans augmente, comme celle d’étrangers issus de pays développés. La carte électorale s’en trouve profondément modifiée avec la montée en puissance des partis socio-libéraux, écologistes ou centristes, souvent à rebours des tendances observées au niveau national. Sur les neuf villes européennes étudiées par UBS, seule Madrid est gérée par un parti de droite conservatrice. Le phénomène s’étend au-delà des capitales politiques ou économiques : sur les dix plus grandes villes françaises, seules Toulouse et Nice n’ont pas de municipalité socialiste ou écologiste. La montée d’un électorat dit « bobo » redéfinit les priorités politiques locales, mettant en avant des thématiques comme l’environnement, les mobilités douces ou la mixité sociale. 

Georges Canto
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