Le ministre du Logement veut retravailler la loi sur les copropriétés. Mais qu’en est-il des syndics ?

Le bonheur de pondre des œufs en or

d'Lëtzebuerger Land vom 08.08.2025

La législation luxembourgeoise réglant le statut de la copropriété est, à part quelques menues retouches, restée la même depuis un demi-siècle. Cette longévité s’expliquerait-elle par la qualité des choix opérés par ses auteurs ou témoignerait-elle plutôt du désintérêt des milieux politiques, professionnels et privés intéressés ? L’application de la loi a, depuis son entrée en vigueur en 1975, été avantageusement balisée par la jurisprudence. Certains de ses passages gardent certainement leur valeur : la personnalité juridique de la copropriété, la distinction entre parties privatives et communes, les règles de vote dans les assemblées ou la manière pour assumer les charges, notamment en cas de changement de propriétaire.

Par contre, mainte assemblée est en peine de trouver les accords utiles pour assurer la viabilité de l’immeuble commun, lorsque la volonté de rénover des uns se heurte à l’opposition des autres d’en accepter le financement, même si la minorité doit se plier à la décision intervenue, et que l’obligation récente de constituer un fonds de travaux atténue d’éventuelles tensions en la matière.

Le talon d’Achille de la législation en question est plutôt à chercher du côté de la gestion des copropriétés. En effet, nombre de plaintes ont leur source dans le mode de gestion imposé par la loi qui demande à la copropriété de s’adjoindre les services d’un syndic, activité entre-temps largement professionnalisée, sans que ni l’accès à la profession ni son exercice ne soient convenablement réglés.

L’article 20 dispose de façon péremptoire que le syndic exécute les décisions de l’assemblée générale. L’AG désigne librement le syndic de son choix et, dans le cadre du contrat de mandat qu’elle lui confie. L’article 21 ajoute qu’indépendamment du mandat conventionnel, le syndic doit exécuter les dispositions du règlement de la copropriété et les décisions prises en assemblée générale et qu’il a l’obligation d’administrer l’immeuble en pourvoyant à sa conservation, à sa garde et à son entretien, avec l’obligation de procéder de sa propre initiative aux travaux requis en cas d’urgence. La loi distingue donc clairement entre une instance de décision, l’assemblée des copropriétaires, et un organe d’exécution, le syndic.

La copropriété peut en outre adjoindre au syndic un conseil syndical, composé de plusieurs copropriétaires « en vue d’assister le syndic et de contrôler sa gestion » (art 23). Le statut du conseil syndical n’est pas autrement précisé, son institution est facultative et son influence s’avère à la fin du compte dérisoire face à la position que les syndics ont pu se construire au fil du temps. Normalement, le syndic soumet à l’approbation des copropriétaires un projet de contrat de mandat préimprimé et il en attend l’approbation par l’assemblée. Ce contrat règle les tâches et le temps qu’il est disposé à consacrer à la gestion de l’immeuble contre une rémunération dont normalement lui seul connaît la façon d’appliquer les tarifs et qui comporte des surcharges plus ou moins déguisées permettant de facturer toute prestation qui dépasse ce qui est communément appelée gestion courante.

D’emblée, le syndic a tout intérêt à ne pas avoir en face de lui un conseil syndical aux compétences trop importantes. Un conseil syndical trop actif et doté de trop de pouvoirs est rapidement ressenti comme intrusion dans les compétences du syndic, synonyme d’un surplus de travail généré par les desiderata du conseil syndical et sa volonté de contrôle. Souvent les agents des grandes agences de gestion immobilière sont en charge de plus d’une trentaine de résidences, limitant leur disponibilité hebdomadaire moyenne à un peu plus d’une heure par résidence. Les menues interventions faciles à exécuter sont normalement privilégiées par rapport à celles demandant un suivi plus conséquent.

La copropriété se trouve désarmée devant l’opacité de la tarification et des clauses contractuelles qui permettent de facturer séparément chaque présence sur les lieux et chaque coup de téléphone qui n’est pas explicitement prévu dans le forfait convenu. En fin d’exercice, le copropriétaire n’aura d’autre choix que de payer la facture salée qui lui est présentée.

La mise en œuvre des résolutions prises par les AG de la copropriété ou par le conseil syndical, pour autant qu’il en ait été mandaté, dépend de la disponibilité des services du syndic, voire de leur bon vouloir. Il arrive que des décisions d’une assemblée attendent toujours un début d’exécution au moment où les copropriétaires se retrouvent pour leur prochain rendez-vous annuel. Or, la loi reste muette sur les moyens de la copropriété de réagir aux défaillances du syndic, sauf sa faculté de ne pas prolonger le mandat, voire de le résilier ou de réclamer des dommages-intérêts en justice.

L’ignorance des procédures communales ou fiscales fait perdre du temps pour exécuter des travaux, pour obtenir les subsides légaux, pour récupérer une partie de la TVA payée au cas où le propriétaire peut prétendre au taux réduit, ... La tendance à la concentration de l’activité de syndic dans des entités toujours plus grandes assurant, avec un effectif réduit, la gestion d’un nombre toujours plus élevé de résidences, ne contribue pas à la solution des problèmes décrits.

Comment dès lors réagir à la placidité d’un groupe de professionnels, bien connectés entre eux et conscients de leur position dominante face à des copropriétés forcément condamnées à agir individuellement et en ordre dispersé où le chacun pour soi est trop souvent la règle ? Quelles conclusions est censé accoucher le groupe de travail que vient de créer le ministre du Logement et qui est composé de représentants de l’administration, du groupement professionnel des syndics ainsi que, comme l’écrit le ministère, d’« acteurs qui ont un lien direct ou indirect avec les copropriétés » ?

Essayons d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur un réagencement de la loi de 1975 dans l’intérêt d’une meilleure gestion des copropriétés pour compte des principaux concernés, les propriétaires. La copropriété a une personnalité juridique et a comme organe de décision une assemblée qui réunit l’ensemble des copropriétaires. Or, elle n’a pas d’organe d’administration propre, doté des compétences utiles pour représenter ses intérêts communs entre deux assemblées. Le conseil syndical devrait être doté d’une réelle autorité d’injonction vis-à-vis du syndic. Il devrait voir ses pouvoirs étendus à l’administration de la copropriété, à l’exception de ce qui relève de l’assemblée. Ces pouvoirs seraient comparables à ceux du conseil d’administration d’une société commerciale. Le rôle du conseil s’en trouverait renforcé face au syndic. La responsabilité accrue qu’en endosseraient ses membres pourrait être réglée par analogie à celles des administrateurs des fondations et Asbl qui exercent leur mandat également à titre bénévole.

En cas d’exécution défaillante du mandat du syndic, la copropriété n’est certes pas impuissante. Elle peut décider de ne pas reconduire un syndic ou en résilier le mandat, voire intenter action en réparation devant les tribunaux. Or, le prochain syndic ne fera-t-il pas bien vite preuve de la même gestion ataraxique que le syndic évincé ? Quant à une éventuelle action en justice, le risque du syndic d’être sanctionné pour sa gestion insatisfaisante est finalement minime, si les faits ne dépassent pas un certain seuil de gravité. Un relevé légal de sanctions surtout pécuniaires que les copropriétés seraient en droit d’appliquer pourrait-il y remédier ? L’institution d’un guichet administratif conseillant les copropriétés en cas de problèmes avec leur syndic ne pourrait-elle pas être envisagée ? Ne faudrait-il pas en plus créer une instance d’arbitrage devant laquelle porter les contentieux générés par une gestion insatisfaisante ?

La loi ne pourrait-elle pas prescrire un minimum de temps que le syndic devra réserver à la gestion d’une résidence, tenant compte des dimensions et de l’âge du bâtiment ? Les exigences légales d’accès à la profession de syndic et son exercice, à savoir les qualités morales requises, la capacité financière pour protéger les clients contre une éventuelle déconfiture et notamment la qualification professionnelle devraient être plus strictement réglées. Qu’en est-il par ailleurs de l’obligation de n’engager que du personnel formé pour les tâches qui l’attendent ? Et qu’en est-il d’un devoir des syndics d’avertir les copropriétés de l’usage prioritaire du fonds de travaux à des fins d’amélioration énergétique et de l’existence du subventionnement public très généreux pour ce genre de rénovations ?

Le projet d’innovation auquel le ministre du Logement se propose de soumettre la loi de 1975 intégrera certainement des éléments chers à l’administration. Une juste prise en compte des intérêts de la profession des syndics ne semble pas non plus faire de doute au vu de la présence de ses représentants dans l’enceinte consultative appelée à cogiter sur le contenu et la forme de la modification légale en préparation. Espérons que les intérêts des copropriétaires, principaux intéressés au résultat du travail engagé, ne se retrouveront pas broyés entre le marteau des revendications des professionnels de la gestion immobilière et l’enclume des vues du ministère.

Paul Schmit est ancien commissaire du gouvernement. Il a été vice-président du Conseil d’État

Paul Schmit
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