Encadrement des loyers : Là où le droit est supplanté par le tordu

Pour des loyers loyaux et légaux

d'Lëtzebuerger Land vom 10.10.2025

À la lecture du rapport d’analyse « Estimations du taux de rendement d’un investissement locatif au Luxembourg » publié en février 2025 par l’Observatoire de l’habitat, il semble pour le moins paradoxal que le taux de rendement brut d’un investissement locatif soit systématiquement en dessous du plafond légal dans tous les – très nombreux – cas de figure considérés dans le rapport. (Pour rappel, la loi sur le bail à usage d’habitation veut que « la location d’un logement à usage d’habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de cinq pour cent du capital investi dans le logement »).

Le trouble est encore plus saisissant quand on sait que depuis « l’affaire du locataire du Limpertsberg » (d’Land, 10.07.2020 et 28.04.2023), les discussions (parlementaires, journalistiques, de comptoir) sont nombreuses concernant le non-respect de ce plafond. Ainsi, jusqu’au – pourtant placide – Conseil d’État s’est laissé aller à écrire en mai 2021 que « certains propriétaires n’hésitent pas à profiter de la surchauffe actuelle du marché de la location pour exiger des loyers dépassant le cadre fixé par la loi ».

Même si l’indiscutable réalité d’existence d’abus légaux ne transparait nulle part dans l’étude de l’Observatoire, les résultats qui s’y trouvent sont cependant robustes. La chose est que, bien qu’intégrée dans le cycle de réflexion sur les dysfonctionnements de l’encadrement des loyers au Luxembourg, cette étude n’apporte en réalité aucun éclairage pertinent sur le sujet des loyers excessifs au regard de la loi.

La méthodologie qui y est utilisée consiste à calculer des taux de rendement en rapportant le montant du loyer annuel demandé pour la nouvelle location d’un bien à la date « t » au prix d’achat du bien à la date « t ».

Or pour apprécier l’ampleur des déviations des annonces locatives au cadre légal, il conviendrait de calculer le taux de rendement en rapportant le loyer demandé pour la nouvelle location d’un bien à la date « t » au prix d’acquisition du bien à une date antérieure.

Par exemple, l’étude Deloitte Proprety index 2025, citée par de nombreux journaux luxembourgeois (RTL, Land, Virgule, Wort, Paperjam, Le Quotidien), rappelait que « la Ville de Luxembourg a enregistré en 2024 le loyer résidentiel moyen (43.4 €/m2) le plus élevé parmi 77 villes ».

Les journalistes auraient été bien inspirés de faire remarquer : Qu’en vertu de la loi sur le bail à usage d’habitation, un loyer mensuel de 43,4 €/m2 n’est légal que si le capital investi a été au minimum de 10 416 €/m2. Que d’après les chiffres publiés par l’Observatoire de l’habitat, le prix du mètre carré n’a dépassé les 10 000 euros sur le territoire de la Ville de Luxembourg qu’à partir de 2020 (9 029 €/m2 en 2019 pour les biens existants, 9 565 €/m2 en 2019 pour les Vefas). Qu’il existe – par conséquent – une présomption de dépassement du seuil légal pour de nombreuses nouvelles offres locatives qui concernent des logements situés à Luxembourg-Ville et qui auraient été acquis entre 2007 (prix de vente moyen de 4 300 €/m2, taux de rendement de douze pour cent pour un loyer mensuel de 43,4 €/m2) et 2017 (prix de vente moyen de 7 800 €/m2, taux de rendement de plus de six pour cent pour un loyer mensuel de 43,4 €/m2).

Certains théoriciens de l’immobilier, subitement pointilleux, ne manqueront pas d’objecter qu’il faudrait affiner les calculs. Ils diront qu’il y a lieu de tenir compte des investissements réalisés dans le logement depuis sa date d’acquisition, de pondérer par les caractéristiques différentes entre les biens vendus et les biens mis en location, de réévaluer les prix d’acquisition par les coefficients de l’article 102 alinéa 6 de la LIR, etc. Mais rien de tout cela ne change(rait) fondamentalement la pertinence d’une présomption de dépassement du seuil légal pour les nouvelles locations des biens achetés voilà plusieurs années.

Il est, dès lors, pour le moins curieux que le débat ne soit jamais abordé sous cet angle-là. D’autant plus curieux que plusieurs députés ont questionné différents ministres du Logement sur la proportion de logements locatifs qui rapportent à leurs propriétaires un rendement qui dépasse les cinq pour cent du capital investi.

Il est par ailleurs regrettable que certains aient réussi à imposer le narratif selon lequel déterminer le capital investi dans un logement en location serait un travail encore plus fastidieux que de nettoyer les écuries d’Augias. Pourtant, à l’instar d’un conducteur qui est censé savoir combien d’alcool il a dans le sang au moment de prendre le volant, le vademecum du ministère du Logement sur « le plafond légal du loyer » affirme que « le bailleur – propriétaire du logement – est censé pouvoir établir le capital investi sur base des documents, pièces et informations qu’il a à sa disposition ». De plus, le Luxembourg n’a aucun mal à calculer les plus-values immobilières qui supposent de connaître le coût de revient engagé pour mettre le bien dans son état au moment de la vente… et ce coût de revient est un parent (très) proche du capital investi.

Aussi, il n’est pas immédiatement évident de comprendre pourquoi la mise en place d’un cadastre des loyers permettra de remédier au constat d’un « décalage entre la loi en vigueur et les mœurs sur le marché locatif » selon la litote utilisée par le coordinateur de l’Observatoire de l’habitat pour qualifier les abus légaux de certains bailleurs. Hélas, la question de savoir en quoi le fait de pouvoir comparer son loyer aux loyers « médians », « moyens », ou « de référence » de son quartier sera utile pour savoir si le logement qu’on loue rapporte au bailleur plus ou moins que le rendement maximal autorisé par la loi n’est jamais posée.

Enfin, il est insupportable de constater la désinvolture avec laquelle certains reconnaissent que le plafonnement des loyers en vigueur n’est pas appliqué, voire n’est de toute façon pas applicable. C’est à croire que les bailleurs ne sont pas tenus de respecter la loi s’il n’est pas indiqué dans le contrat de bail qu’ils la respectent, c’est à croire que l’article 2 de la Constitution ne stipule pas que « le Grand-Duché de Luxembourg est fondé sur les principes d’un État de droit », c’est à croire que le juge constitutionnel n’a pas reconnu – depuis 2021 – que la « sécurité juridique » est un principe général de droit à valeur constitutionnelle !

Les études scientifiques et les motions qui s’évertuent à réinventer la machine à courber les bananes, c’est sans doute très bien. Imposer que la loi soit respectée, ou avoir la rigueur d’abroger les articles de la loi dont on ne veut pas qu’ils soient appliqués, serait tellement mieux…

Le plafonnement des loyers, cet allié objectif des VEFA

Dans une (très discutable) étude (« Propositions pour le mode de calcul du capital investi dans la loi sur le bail à loyer ») publiée en 2022, l’Observatoire de l’habitat écrivait qu’« une des limites actuelles du fonctionnement du seuil de cinq pour cent du capital investi est la difficulté à le faire fonctionner pour des logements acquis depuis plusieurs dizaines d’années par un bailleur » et que « le dispositif actuel conduit à une très grande différence entre le loyer exigible par un bailleur ayant acquis un bien récemment et un autre bailleur ayant acquis le même bien immobilier depuis plusieurs dizaines d’années ». Et de conclure : « Ceci offre des opportunités de transactions immobilières sur des biens locatifs dans le but unique de réévaluer le capital investi ». Au-delà du fait que cette analyse soit une – douteuse – négation de l’intention initiale du législateur de rendre abordables les logements locatifs acquis depuis plusieurs années et dotés de plus-values latentes conséquentes, elle confirme, fortuitement, que les bailleurs abuseurs de loi pourraient être mobilisés pour relancer le marché des ventes en l’état futur d’achèvement (Vefa).

Puisque l’obligation de respect du plafonnement des loyers risque de les inciter à vendre leurs logements, il est possible d’imaginer une politique d’orientation du produit de ces cessions vers le segment des Vefa. Le ministre des Finances, se comportant en magnanime fidéiste du « socialisme immobilier », pourrait par exemple décider d’exonérer d’impôt les ventes – forcées par le respect de la loi sur le bail – de logements acquis il y a plusieurs décennies, à condition que les plus-values réalisées soient majoritairement réinvesties dans l’acquisition de logements neufs… (À mettre en gestion locative sociale durant une période minimum de quatre ans ?)

À titre d’exemple, le loyer maximal autorisé pour un logement de 90 mètres carrés acquis en 1958 au Limpertsberg au prix de 125 000 francs (3 100 euros) pour le terrain et de 470 000 francs (11 650 euros) pour la construction, dans lequel auraient été investis 20 000 francs (495 euros) en 1968, 100 000 francs (2 478 euros) en 1980, 250 000 francs (6 197 euros) en 1998 et 20 000 euros en 2010 est de 449 euros par mois. Un tel logement est pourtant proposé à la location aux alentours de 2 300 euros. Si le propriétaire, contraint de respecter la loi, faisait le choix de vendre le logement (900 000 euros) plutôt que de le louer à 449 euros, il devrait en principe payer de l’impôt sur environ 696 000 euros de bénéfice de cession.

Samuel Ruben
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