Scène d’Histoire au Palais vendredi 3 octobre à 10 heures. Le Grand-Duc Henri signe l’acte d’abdication face au Premier ministre Luc Frieden (CSV). La complicité saute aux yeux. L’alternance de 2023 à l’Hôtel Saint-Maximin a posé les bases d’une nouvelle concorde entre les deux branches de l’exécutif. C’est dans ce contexte que le Grand-Duc Henri a cédé le pouvoir à « notre fils bien aimé », a-t-il dit en son nom et en celui de son épouse Maria Teresa.
Dans son discours de remerciement, Luc Frieden relève, les yeux humides (comme Henri lui-même), que l’Histoire est une affaire de personnes et que « le peuple n’aurait pu souhaiter meilleur souverain » pour le quart de siècle écoulé. « L’engagement exemplaire (de la Grande-Duchesse Maria Teresa) en faveur des causes humanitaires fait partie intégrante de cette histoire », conclut le Premier ministre pour la partie abdication. Au nouveau Grand-Duc, Guillaume, le Premier ministre assure son soutien pour affronter les « nombreux » défis qui se posent : « le contexte géopolitique, l’intelligence artificielle, le changement climatique, la compétition économique mondiale ». Ce ne serait néanmoins pas le temps de « l’incertitude », mais « un moment d’assurance ». « Nous vous connaissons », rassure Luc Frieden. Le parcours de ce dernier s’est régulièrement rapproché de celui du jeune Grand-Duc, 43 ans, notamment en tant que président de la Chambre de commerce puis Premier ministre : « Toutes celles et ceux que vous avez rencontrés ces dernières années, au fil de vos nombreuses visites et missions économiques, vous connaissent et vous estiment. » Sasha Baillie officie en maître de cérémonie. La maréchale et patronne de la Maison du Grand-Duc, anciennement diplomate et ambassadrice du Luxembourg de l’innovation, a souvent côtoyé l’héritier Guillaume assigné, plus d’une décennie durant, à la représentation commerciale du Grand-Duché.
« Vive le Luxembourg. Vive l’Europe », conclut le Premier ministre. La journée et le casting mettent l’Union européenne à l’honneur. Quand la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola (PPE) apparaît sur les télés de la Chambre, au balcon, la députée européenne Tilly Metz (écologiste) réagit par un « aaaaaaaah » d’exclamation. Lorsque Claude Wiseler (CSV) s’y présente à son tour, ce sont (presque) tous les Parlementaires luxembourgeois qui s’unissent dans la même intonation. Les parlementaires suivent la cérémonie d’abdication (au Palais) sur les écrans du Krautmaart dans un esprit de camaraderie.
À 11 heures, le Grand-Duc Henri, la Grande-Duchesse Maria Teresa et le Prince Charles entrent sous les applaudissements et les crépitements des appareils photos. S’ajoute la fanfare militaire quand Guillaume et Stéphanie franchissent la porte.
« Vous êtes né et vous avez grandi ici au Luxembourg. Vous connaissez notre pays et son peuple », souligne le président de la Chambre. « L’institution du Grand-Duc est garante de la stabilité. Le Luxembourg est synonyme de stabilité sociale, économique et de valeurs », poursuit Claude Wiseler avant de déclarer sa « confiance, au nom du Parlement luxembourgeois, mais aussi au nom du pays ». Le discours s’achève. La réalisation poursuit le plan-séquence sur les députés. Apparaissent les élus déi Lénk immobiles au milieu de leurs pairs applaudissant vivement. David Wagner et Marc Baum ne portent pas de costume trois pièces. Ils ne participeront pas au reste de la cérémonie. « J’ai accompagné le cortège jusqu’au Cercle en rigolant avec Barbara Agostino (DP) », raconte David Wagner au Land cette semaine. Mais il dit être ensuite rentré chez lui : « J’ai déjeuné avec ma femme, un peu télétravaillé puis je me suis occupé du repassage du linge qui s’était accumulé depuis des semaines ».
La présence du président du Conseil européen, Antonio Costa (PPE), et de Roberta Metsola attestent du lien à l’UE, comme celle, au balcon des députés européens, du commissaire luxembourgeois, Christophe Hansen, ainsi que Jacques Santer et Jean-Claude Juncker, deux anciens présidents de la Commission européenne qui se retrouveront bloqués dans l’ascenseur de la Chambre plusieurs minutes durant après la cérémonie.
Sur l’estrade à droite, siègent les couples monarchiques belge et néerlandais, « liens dynastiques » du Grand-Duché. À gauche, la génération précédemment au pouvoir baby-sitte la suivante, Charles, 5 ans, le plus jeune héritier d’Europe (qui, si Guillaume est empêché avant que son fils ainé n’atteigne la majorité, sera momentanément remplacé par tonton Félix). Au centre, le Grand-Duc introduit son discours par des mots prononcés par son arrière-grand-mère Charlotte le 18 janvier 1919 : « Ech wäert d'Liewe vu mengem Vollek liewen, vun deem ech duerch keng Barrière wëll getrennt sinn. Ech wäert seng Freed a säi Leed deelen. » Le Grand-Duc rappelle que cet engagement a é té formulé alors que l’Europe venait de se déchirer dans le premier conflit mondial (mais omet de préciser que la monarchie luxembourgeoise vacillait alors).
Il reprend la promesse à son compte dans un contexte guère plus amène : « des tensions géopolitiques croissantes, une économie mondiale redevenue imprévisible, une spirale de désinformation qui menace nos démocraties et les effets du changement climatique toujours plus tangibles ». Dans un discours volontaire et inclusif, Guillaume se place en rassembleur des forces vives (frontaliers y compris) d’un Luxembourg « multiculturel et multinational »… tout en insistant sur la quête de prospérité (le mot « économie » revient six fois).
Pour clore la boucle de son serment, il reprend la promesse de son aïeule, la Grande-Duchesse Charlotte, formulée en introduction. Il tentera de la mettre en scène le lendemain sur le pont qui en porte le nom. Le soir même, les présidents français et allemand, Emmanuel Macron et Frank-Walter Steinmeier, rejoignent les festivités (accompagnés de leurs épouses). Ils ont été occupés le jour durant à célébrer le 35e anniversaire de la réunification allemande à Sarrebruck. Ils sont reçus au Palais à 18h par Sasha Baillie, épaules nues dans le froid et la pluie. Le dîner de gala les attend à l’intérieur. Pas de prince Robert (cousin de Henri) parmi les invités, pas de Haut-Brion, grand cru bordelais qu’il dirige. À table, est servi un autre de ses vins, de Saint-Émilion, Quintus, un breuvage plus démocratique (140 euros le flacon quand même).
La presse a accueilli chaleureusement cet événement historique. Le jour de la passation, L’Essentiel a publié un supplément de 72 pages, dont 34 de publicité thématique. Vendredi matin, Le Quotidien titre en une « Merci Monseigneur », en hommage au Grand-Duc Henri. L’article remercie surtout le souverain sortant et conclut par un « Vive Guillaume ! ». Ce sera le titre de la une le lendemain, samedi. L’autre publication d’Editpress, le Tageblatt parle de « turbulente Regenschaft ». En guise de bilan de l’ère Henri-Maria Teresa, le quotidien de gauche recense, sur une double page, sept polémiques : Maria Teresa qui se plaint de sa belle-mère auprès de la presse (2002), le projet de vente des bijoux de famille (2006), le refus de signer la loi sur l’euthanasie (2008), le décret sur la succession (2010), l’implication du Grand-Duc dans le scandale du Srel (2012), le rapport Waringo (2020) et la visite du Grand-Duc en Chine (2022). Lundi, Tageblatt titre en première page un factuel : « Der Antritt ».
Et le Wort ? La rédactrice-en-cheffe Ines Kurschat signe deux éditos sur le Trounwiessel dans deux éditions successives, dont celle de lundi, un toutes-boîtes bourré de publicité : « De Cactus gratuléiert häerzlech zum Trounwiessel a wënscht nëmmen dat bescht » ; « Fir saï Schutz huet Lëtzebuerg de Guillaume, dir, dir hutt Lalux ». Le Leitartikel de samedi salue la compréhension du monde de Guillaume et notamment l’importance de bâtir des ponts entre les époques et les communautés pour faciliter le vivre-ensemble, reprenant ses propos de la veille. Dans l’éditorial de lundi, tiré à 280 000 exemplaires, le Wort met en avant la place de l’épouse dans le couple grand-ducal. Fidèle à sa ligne, la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek ouvre samedi sur un « Nun ist er Großherzog statt Koch ».