Grande Région

Au cœur de la forêt, une Cité Radieuse

d'Lëtzebuerger Land du 11.09.2020

Prolonger l’été alors que le mercure affiche encore des températures clémentes en ce début septembre ? Tentant, surtout quand l’on peut découvrir ou redécouvrir des lieux près de chez soi. Si la crise du covid a eu pour conséquence de fermer bon nombre de frontières, elle donne vigueur au concept de « slow tourism », ce tourisme lent où flâner et expérimenter de nouvelles contrées sans exploser son bilan carbone se révèle plutôt appréciable. Au titre de ces découvertes, nichée en pleine forêt, la Cité Radieuse de Le Corbusier se laisse volontiers appréhender. L’architecte visionnaire avait décidé son érection qui s’est concrétisée entre 1959 et 1960. Revue de détails au moyen de trois U.

Unité d’habitation À l’image de l’unité d’habitation de Marseille, le bâtiment est construit pour l’Office départemental HLM et s’inscrit dans un projet plus important de quartier d’habitation en pleine forêt. En lien avec l’expansion des mines de fer et de l’industrie sidérurgique, l’objectif est de loger la population alors en pleine augmentation. Le bâtiment proposé fait 110 mètres de long, 56 mètres de haut et 19 mètres de large. Il comprend 339 logements en duplex répartis sur 17 étages. Une école est créée à proximité de l’unité. Comme le relève avec justesse Frédéric Sauser dans la citation en préambule du livre que François Chaslin consacre à Le Corbusier1 : « La mémoire des hommes est un vaudeville ou un cimetière éclairé à l’électricité. Je ne touche jamais aux légendes ». Et François Chaslin d’ajouter : « Et c’est la Cité radieuse, et ses querelles, et ses trois avatars dans d’autres climats, et leurs quatre destins. Puis c’est la mort du vieux, la fin des utopies, et c’est nous autres ». Car nous avons bien affaire aux deux, inextricablement liés lorsqu’on visite le lieu, la légende de Le Corbusier et la mémoire d’une utopie qui a failli tourner court.

Utopie Car si les premiers locataires arrivent en 1961, la décennie qui suit va voir la fermeture des mines de Briey et la récession économique s’étendre à toute la région. Le calme de Briey-en-Forêt, l’immense bâtiment blanc où percent de jolis balcons égayés de couleurs franches et ses habitants, toute cette harmonie se retrouve sérieusement menacée. Quand des malfaçons sont mises au jour, dans le même temps, les habitants ont de grandes difficultés financières consécutives à la perte de leur emploi. Et toute la gigantesque utopie corbuséenne – faire cohabiter des classes sociales variées et libérer les femmes d’un certain emprisonnement domestique au moyen d’innovations installées chaque appartement – menace de faire sécession devant certaines considérations politiques. En 1983, les derniers habitants sont évacués de l’unité et il faut compter toute la résolution de Guy Vattier, nouveau maire de Briey, pour s’opposer à la destruction programmée du bâtiment l’année suivante. Un comité de défense est mis en place. L’hôpital voisin devient propriétaire d’une partie de la Cité. En 1993, les façades, toitures et portiques ainsi que plusieurs appartements font l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques. La Cité radieuse est ainsi rattachée au label « Patrimoine du XXe siècle ». En 2010, après plusieurs années de travaux, l’unité d’habitation retrouve sa polychromie d’origine. D’utopie la Cité radieuse de Biey-la-Forêt reste aussi la possibilité du passage à l’uchronie.

Uchronie L’uchronie, cette réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé, de quelle manière l’utopie de l’architecte aurait-elle pu être davantage
investie ? Délicate question. Les unités d’habitation, Marseille, Rezé, Berlin, Briey-la-Forêt et Firminy, ont illustré une tentative d’architecture appliquée. Le Corbusier s’y s’est essayé à une nouvelle forme de cité privilégiant la verticalité en réaction à la ville horizontale qui dévore de l’espace. Restent pour son biographe François Chaslin des « expériences contrastées », des « aventures collectives à ce point dissemblables bien que s’étant déroulées dans la vaste structure d’immeubles aux fortes similitudes ». Vestiges d’un passé où l’on avait des utopies, l’unité d’habitation de Briey-la-Forêt est de nouveau habitée. Elle est aussi visitable. Véronique Léonard y réalise des visites guidées et l’association « La Première Rue » des manifestations artistiques en son sein. Une utopie résolument à découvrir, donc, et une uchronie, encore, en devenir.

Florence Lhote
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