De qui se moque-t-on ? En 2004, le gouvernement CSV/LSAP donnait mandat au ministre de l’Économie et du Commerce extérieur de relancer l’activité de la plaisance commerciale, appellation politiquement correcte du yachting qui n’a jamais pu trouver ses marques sur la place financière. Cinq ans plus tard, quelques jours avant la dissolution du gouvernement, Jean-Claude Juncker, alors encore ministre des Finances, donne des gages à la Commission européenne pour éviter que ne s’envenime une procédure d’infraction sur la conformité d’une réglementation accordant l’exonération de TVA aux grands yachts. Le règlement serait trop général, avance Bruxelles dans une mise en demeure adressée le 14 mai dernier au ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn et dont le Land s’est procuré une copie.
Marche arrière pour le gouvernement, qui s’est de toute façon montré ambigu dans son soutien à l’industrie maritime. Sans être enterré, le secteur du yachting accuse un nouveau coup dur, moins de trois ans après son semblant de redémarrage. Le projet de budget 2010 présenté la semaine dernière (d'Land, 02.10.09) tente de justifier le changement de cap à 180 degrés en jetant la responsabilité sur la seule Commission européenne. On s’explique mal cependant la lenteur avec laquelle Bruxelles a réagi. Doit-on y voir la main malveillante des détracteurs du pavillon maritime ici même au pays ?
Certains le pensent très fort. Interrogé par le Land sur la procédure d’infraction, Guy Heinen, le directeur de l’Administration de l’enregistrement et des domaines dit en avoir été surpris lui-même : « J’étais étonné, mais tant pis », explique-t-il, en reconnaissant que cette plainte faisait revenir le Luxembourg trois ans en arrière. Il avait fallu plus de deux ans au socialiste Jeannot Krecké, un nombre impressionnant de réunions et de tables rondes et beaucoup de bagou pour imposer le 22 décembre 2006 un règlement grand-ducal censé mettre sur de nouveaux rails l’immatriculation de navires de passagers – pas plus de douze personnes – qui avait été laissée à vau l’eau par son prédécesseur libéral, Henri Grethen.
Le gouvernement d’alors donnait en apparence des signes de bonne volonté. D’abord et surtout en sortant le pavillon du placard du ministère des Transports – où il n’aurait jamais dû être – pour le transférer dans les compétences du ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, où il avait d’ailleurs toujours été placé depuis sa création en 1989, avant que les libéraux au gouvernement avec le CSV entre 1999 et 2004 ne se l’accaparent pour le laisser à peine vivoter. Même après l’intermède libéral, le commissariat aux affaires maritimes n’a jamais été doté des moyens humains et d’infrastructure suffisants pour permettre au secteur maritime de se déployer, alors même qu’en Europe, la demande explosait d’exploitants de yachts soucieux de faire accueillir leurs bateaux dans un registre commercial présentant des gages de sérieux.
En arrivant à l’Économie, Krecké fera le ménage parmi les opérateurs de sociétés maritimes. Il aurait sans doute dû faire davantage son « chien méchant », car s’il a bien retiré des agréments, les retraits sont le plus souvent intervenus alors que les sociétés exploitantes de yachts étaient déjà en faillite.
En bon VRP, Jeannot Krecké a aussi multiplié les déplacements pour vendre la grande plaisance commerciale made in Luxembourg. On le verra en janvier 2006 à la Boot Messe de Düsseldorf sur le stand d’un des plus gros yachts (41 mètres) jamais exposés dans un hall couvert. Il va aussi à Hambourg et il ne rate évidemment pas le rendez-vous annuel du Monaco Yacht Show en septembre. Le ministre décrochera même les crédits nécessaires pour monter en 2006 un stand commun du grand-duché à cet événement phare du yachting. Depuis lors, le Luxembourg y expose son expertise tous les ans. « Nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons », affirmait Jeannot Krecké au Land en 2006.
Les 23 et 26 septembre dernier, l’agence de promotion non-financière luxembourgforbusiness y avait encore convié une dizaine d’exposants, qui allaient de la société de location-vente de navire à la fiduciaire, en passant par la banque privée et même l’entreprise de menuiserie spécialisée dans l’aménagement intérieur cosy des yachts.
« Luxemboug, on top of the wave », vantait, il y a deux semaines encore, la brochure du ministère de l’Économie et du Commerce extérieur. Aujourd’hui, c’est plutôt le creux de la vague et la déprime. Et il y avait plutôt de quoi faire la gueule pour les exposants luxembourgeois : les derniers arbitrages budgétaires étaient faits et plus rien ne ferait revenir le ministère des Finances sur un amendement de l’article 43 de la loi du 12 février 1972 sur la taxe sur la valeur ajoutée, exonérant les prestations de services sur les bateaux affectés à la navigation en haute mer. Jeannot Krecké ne s’est pas dérobé à Monaco. On ne l’a pas aperçu en revanche à la présentation du projet de budget la semaine dernière. Le ministre LSAP devrait bientôt, dit-on, aborder la question avec le Premier ministre Jean-Claude Juncker. Que peut-il espérer, lui qui n’a peut-être pas tapé assez fort au gouvernement pour imposer ses plans de développement de la grande plaisance commerciale ?
Cela dit, rien ne laisse penser que luxembourgforbusiness remettra en cause sa présence à l’édition 2010 (si la demande des entreprises est là, nous y serons, assure-t-on). Ce n’est d’ailleurs pas – plus – sur des critères de fiscalité que les promoteurs de la grande plaisance commerciale pourront se positionner, compte tenu des modifications qui interviendront à partir du 1er janvier prochain au niveau européen sur la localisation des services. À partir de 2010 en effet, un service sera présumé être presté dans le pays du preneur de service dès que le preneur a la qualité d’assujetti à la TVA.
Ce paramètre fait relativiser aux professionnels la portée de la décision du gouvernement de revenir sur ses engagements de 2004. Il n’empêche que cette marche arrière des autorités met à mal un des arguments qu’avancent régulièrement les milieux d’affaires et les autorités elles-mêmes pour promouvoir les localisations au grand-duché : la stabilité de la fiscalité. La manière dont le dossier du régime fiscal de la grande plaisance commerciale a été traité depuis dix ans prouve le contraire. Plus grave encore, il fait la démonstration du peu de contrôle qu’a le ministre des Finances sur les administrations fiscales fonctionnant tels des électrons libres.
Retour à la case départ
La mise en demeure de la Commission européenne oblige le gouvernement à revenir à la situation d’avant 2006, au plus fort de la guerre que se sont livrée les opérateurs du secteur maritime à l’Administration de l’enregistrement sur l’exonération des prestations à bord des grands yachts. Les procès se comptaient par dizaine (l’une des affaires phare, perdue par le fisc, est actuellement en cassation, mais l’arrêt pourrait faire l’effet de la moutarde après dîner, vu les modifications qui seront apportées à la réglementation TVA). Les ingrédients étaient pratiquement les mêmes d’une affaire à l’autre : l’AED procédait à un redressement fiscal, taxant les prestations à bord au taux de 15 pour cent, sous prétexte que les exploitants de navires à passagers ne fournissaient pas la preuve suffisante d’une navigation en haute mer. En 2005, le directeur de l’enregistrement se fendait d’une circulaire en avançant des exigences techniques rendant presque impossible l’exonération des yachts.
« Il est prévu de tenir compte d’un reproche de la Commission concernant l’exonération en faveur de la navigation maritime », souligne le projet de loi budgétaire. Le gouvernement se résigne sans même défendre ses vues, alors que l’affaire était défendable. Car à lire la lettre de mise en demeure de la Commission, ce n’est pas le principe de l’exonération de la TVA sur les prestations à bord des yachts qui est en cause, mais le caractère trop vague du règlement grand-ducal de décembre 2006, qui parle de navigation maritime alors qu’il devrait s’en tenir à la navigation en haute mer.
À regarder de plus près, Bruxelles épingle davantage une circulaire du 9 janvier 2007 de l’AED, qui est venue faire l’exégèse du règlement de 2006, que le règlement lui-même. Avec le recul de près de trois ans, on peut d’ailleurs se poser la question de l’utilité de cette circulaire qui avait alors introduit une « fiction » de navigation en haute mer permettant à la TVA d’accorder l’exonération. Le milieu maritime avait fortement critiqué le texte. Les juristes aussi. Comme si, en donnant d’une main, le gouvernement avait repris de l’autre.La grande plaisance commerciale a-t-elle un avenir, à quelques mois du changement de paradigme dans la perception de la TVA ? On le prétend. En tout cas, des sociétés maritimes spécialisées ont fait leur entrée en juillet dans le cluster maritime luxembourgeois, preuve d’une certaine « normalisation ». « Nous nous occupons d’eux », assurent les dirigeants du cluster. Il est peut-être trop tard.