лицемерие Ça bouge chez Gazprombank à Luxembourg. Mardi, les démissions des trois administrateurs non-russes ont été déposées au Registre du commerce. Restent au conseil de surveillance du siège européen de la troisième banque russe, bras financier du fournisseur de gaz, Alexey Matveev, son président, ou encore Alexander Sobol et Alexey Belous. Ces hauts-cadres de l’établissement moscovite, mais aussi administrateurs de sa filiale luxembourgeoise, ont été ajoutés dimanche à la liste des personnes sanctionnées par l’Oncle Sam à la suite de l’invasion de la Russie en Ukraine. À la gesticulation nucléaire de Vladimir Poutine, Joe Biden oppose la menace d’assécher le paiement des factures de gaz. Dans l’escalade des sanctions occidentales, geler les avoirs des responsables est un pas de plus vers l’interdiction des transactions via Gazprombank pour régler les factures de gaz. Depuis l’agression russe le 24 février dernier, les pays européens ont versé 800 millions d’euros par jour à la Russie au titre des importations d’énergie selon le haut-représentant de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell. Trente fois plus que l’aide militaire apportée par le Vieux Continent aux Ukrainiens, avait souligné l’Espagnol au début du mois d’avril.
Depuis le début du conflit, le Conseil européen a pris un tas de mesures économiques en représailles. Les personnes et entités européennes ne doivent ni financer le gouvernement russe ni sa banque centrale. Les transactions liées aux réserves de monnaie russe sont prohibées. Plusieurs banques ont été exclues du système de messagerie bancaire Swift, comme Sberbank ou VTB, les deux principales. Mais la troisième, Gazprombank, banque du géant gazier partiellement visée depuis 2014, peut opérer une filiale au Luxembourg, en plein cœur de l’UE. Pis encore, depuis que Vladimir Poutine a obligé le paiement des factures de gaz en roubles (ce qui empêche l’effondrement de la monnaie russe), ouvrir un compte chez Gazprombank au Luxembourg est devenu un impératif pour les importateurs de gaz. Il faut donc s’imaginer un tuyau dans lequel les chefs d’États européens (qui comme ici sponsorisent l’achat d’énergie) jetteraient des liasses de billets pour chauffer leurs populations et faire tourner l’industrie. À l’autre bout, au Kremlin, on compte les biftons. Cet argent versé à la banque publique est l’une des principales sources de revenus de la Russie, du financement de son attaque militaire et de l’écrasement de la population civile ukrainienne. L’entrée de ce conduit se trouve au 15 rue Bender dans le quartier Gare. Bank GPB International est la seule banque de Gazprom en Union européenne. Elle complète l’offre en Occident avec une entité suisse. Le groupe exploite en outre des sociétés financières à Chypre. En Orient, Gazprombank a des représentations à Astana (Kazakhstan), Pékin, Oulan-Bator (Mongolie), New Delhi et Hong Kong. Un axe qui révèle à qui le Kremlin accorde sa confiance.
Dans ce contexte, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) est dans ses petits souliers. Elle veille à ce que ses ouailles appliquent bien les sanctions. Interrogé sur d’éventuelles visites en les bureaux de GPB, le régulateur indique avoir renforcé la surveillance sur « les entités les plus exposées ». « Nous sommes en contact étroit (…). Nous avons, par exemple, rétabli un reporting/monitoring de crise (…). Nous suivons ainsi la situation sur une base quotidienne, y compris les informations concernant les actionnaires ou clients exposés. Par ailleurs, nous entreprenons des contrôles sur place de manière sélective et avec une approche basée sur les risques, afin de vérifier que les dispositifs de sanctions screening mis en place au sein des entités fonctionnent de manière adéquate et soient utilisés à bon escient », lit-on dans les réponses aux questions fréquemment posées. La CSSF informe en outre disposer du pouvoir d’enquête (qui implique l’accès à tout document ou le recours à des inspections), du pouvoir d’interdiction temporaire d’activités professionnelles ou encore du pouvoir d’infliger des sanctions et autres mesures administratives.
Glasnost Des médias s’étaient émus du fait que Gazprombank Luxembourg n’a pas produit ses comptes annuels au Registre de commerce depuis 2018. L’erreur est réparée. La banque a même publié ceux de 2021, signés en avril 2022. Les stigmates financiers du conflit y apparaissent. Le conseil de surveillance de l’établissement assure une totale conformité avec les sanctions de l’Union européenne. C’est plus mitigé pour les sanctions américaines. « On the other hand, we are not a US person and, accordingly, we have no general obligation under the applicable US law to comply with the US sanctions regime. We do, however, take into account an ever-expanding extra-territorial reach of the US sanctions and any spill-over risks which the existing sanctions environment may have on our business. » Dimanche, le directeur général de Gazprombank (depuis vingt ans), Andrey Akimov, a été une nouvelle fois ajouté à la liste des personnes interdites de pénétrer le territoire américain et d’y détenir des actifs. Le président, Andrey Akimov, a quitté le conseil d’administration de Bank GPB International le 20 avril 2018, deux semaines après que les premières sanctions américaines le visant ont été prononcées. Il y a fort à parier qu’Alexey Matveev, Alexander Sobol et Alexey Belous quittent le navire dans les prochains jours.
Le ministre de l’Économie, Jeannot Krecké (LSAP), avait rencontré Andrey Akimov en mai 2010 lors d’une mission promotion à Moscou. Celle-ci a été l’un des épisodes les plus marquants de la russophilie gouvernementale, ou plutôt de l’attrait porté aux fortunes locales, y compris au pactole lié au gaz. Dès 2005, le gouvernement avait utilisé la présidence de l’UE comme levier pour amadouer Vladimir Poutine. En mai 2007, le président russe s’est déplacé à Luxembourg. A été signé un accord de coopération entre l’Association des banques russes et l’ABBL, en présence du ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden (CSV). Un accord de partenariat entre Soteg, qui deviendra Enovos, et Gazprom a été signé en présence du ministre Krecké. Depuis les années 1990, le petit Luxembourg cherchait à sécuriser des volumes de gaz à des prix corrects. Gazprom voulait davantage s’intégrer au marché européen de l’électricité. Des discussions entre les deux parties visaient la construction d’une centrale de production d’électricité à partir de gaz, en Allemagne à la frontière polonaise, nous explique ce mercredi Marco Hoffmann, le président d’Encevo (actionnaire d’Enovos), impliqué dans la politique énergétique depuis des décennies.
En juillet 2011, la WirtschaftsWoche a cru que Gazprom Germania, entreprise de l’énergie basée à Berlin et y employant presque 600 personnes, allait déménager son siège au Grand-Duché. Le projet de centrale avait entretemps capoté. Les engagements de long terme sur le marché de l’énergie n’étaient plus adaptés à la vision libérale de la Commission européenne après la crise financière. Le court-termisme contractuel devait fluidifier le marché et le rendre plus concurrentiel. Le Luxembourg voyait lui d’un bon œil l’arrivée de banques étrangères, originaires des pétromonarchies ou des gazodictatures. Le centre financier luxembourgeois anticipait la disparition du secret bancaire à l’horizon 2015. La filiale bancaire européenne de Gazprom au Luxembourg a officiellement été créée le 10 juillet 2013. Paul Mousel, associé fondateur du cabinet Arendt & Medernach, représentait le géant gazier russe devant la notaire Joëlle Baden. GPB International SA, sa dénomination sociale à l’époque, a reçu sa licence de banque générale des mains du ministre des Finances, Luc Frieden, le 21 octobre 2013.
Comme le révèle le faible nombre d’occurrences dans la revue de presse du gouvernement, peu ont mis le nez dans les affaires de GPB. Si ce n’est lors de l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014. En décembre 2020, son directeur général Sergey Belousov a un peu levé le voile pour Treasurer magazine, publié par l’Atel via la maison d’édition 360 Crossmedia, la Pravda de la communauté d’affaires luxembourgeoise. Bien qu’active dans les fonds et la gestion de fortune, GPB a pour « backbone » le corporate banking avec notamment la possibilité pour les entreprises, à commencer par son actionnaire Gazprom, d’effectuer des dépôts dans plusieurs monnaies, de les convertir, d’opérer des transactions de commodities. Le 23 avril, Reuters éclaire les nouvelles règles du jeu des sanctions réciproques entre l’UE et la Russie. Les importateurs de gaz tels que Uniper, Engie, OMV ou BASF doivent ouvrir des comptes en euros auprès de Gazprombank et plus particulièrement en son entité luxembourgeoise. À charge de la banque d’opérer la conversion ou même de la compenser, de la filiale européenne à la maison mère moscovite.
Dans son rapport annuel 2021, photographiant les comptes au 31 décembre dernier où l’agression russe est qualifiée « d’opération militaire en Ukraine », GPB est déjà très active sur la conversion d’euros en roubles avec 640 millions d’euros de forward exchange contacts. Zéro pour vendre des roubles et acheter des euros. Presque la moitié des dépôts sont libellés en roubles (805 millions contre 561 millions en euros et à peu près la même somme en dollars). Fin 2020, GPB accueillait près de vingt fois moins de dépôts dans la monnaie russe, 29 petits millions d’euros. Fin 2021, la maison mère Gazprombank JSC avait 833 millions d’euros en dépôt dans la filiale luxembourgeoise, presque la moitié du volume total, preuve que l’établissement luxembourgeois opère comme un gigantesque bureau de change. Pour autant, la banque prévoit pour 2022 un déclin de ses revenus nets de 85 pour cent par rapport à 2021 : principalement à cause de l’effondrement des revenus des commissions avec l’arrêt de l’activité de placement et de prêt. Le doublement des revenus de l’activité de change et de transactions, lié à la hausse du prix du gaz et le monopole exercé pour son paiement, ne compense pas. « The bank is highly dependent on its sole shareholder and on the Russian Federation », lit-on par ailleurs.
Blood tax En 2021, Gazprombank a réalisé 18 millions d’euros de bénéfice au Luxembourg (contre treize en 2020) et comptabilise quatre millions d’euros d’impôts (contre deux en 2020). Plus que jamais au Luxembourg, finance rime avec mauvais karma. Aussi, le ministre écolo de l’Énergie Claude Turmes se distancie autant que possible : Les fournisseurs de gaz du Luxembourg n’achètent pas directement à la Russie, mais sur les marchés via des énergéticiens et importateurs tel qu’Engie pour se faire importer du gaz via la Belgique. Fin avril dans une réponse à une question parlementaire de Diane Adehm (CSV), le ministre vert se réfère à une étude du think tank Bruegel pour estimer qu’autour de quatorze pour cent du gaz consommé au Grand-Duché arrive de Russie (c’est treize pour cent de moins qu’en 2017). « Nous n’avons plus de contact du tout, ni avec Gazprombank ni avec Gazprom », renchérit Marco Hoffmann mercredi.