Le 26 février Elly Schlein a été élue secrétaire du PD, le parti démocrate italien. À seulement 37 ans, elle a battu le favori Stefano Bonaccini avec 53,8 pour cent des voix et prend donc la direction du parti, succédant ainsi à Enrico Letta. Elly Schlein, officiellement Elena Ethel Schlein, née le 4 mai 1985 à Lugano, en Suisse, possède une triple nationalité : italo-américano-suisse. Elle est la fille d’une Italienne et d’un Américain. Son grand-père paternel était d’origine juive ukrainienne, tandis que son grand-père maternel, avocat italien, était un antifasciste convaincu qui, malgré les risques que cela comportait durant la période fasciste italienne, continuait de défendre les juifs devant le tribunal.
Jusqu’à ses 18 ans elle a vécu à Lugano avant de partir pour l’Italie pour suivre des études de Droit à l’Université de Bologne. En 2008 elle fait ses premiers pas en politique internationale, lorsqu’elle participe en tant que volontaire à la campagne présidentielle de Barack Obama. Expérience qu’elle a ensuite répétée en 2012. Ce profil particulier et cette diversité culturelle qui l’ont sans doute façonnée durant sa jeunesse poussent la nouvelle cheffe du PD à se battre pour plus d’ouverture et d’inclusion au sein de l’Italie.
Membre du PD depuis de nombreuses années et candidate pour celui-ci au Parlement européen en 2014, Elly Schlein avait lancé dans un esprit d’écoresponsabilité une campagne nommée « Slow Food ». Elle parvient alors à se faire élire et devient ainsi membre de la Commission du développement. Certaines divergences avec le PD l’ont cependant poussée en 2015 à le quitter temporairement, notamment lorsqu’il s’était orienté vers ce qu’elle définit comme centre droit et non plus en représentant la gauche du pays, sous la direction de l’ex-Premier ministre Matteo Renzi.
La gauche italienne n’a jamais été un mouvement homogène. Elle a toujours été morcelée en de nombreux partis, eux-mêmes divisés en divers courants politiques. Depuis la dissolution du parti communiste italien, le PCI, en 1991, ce schisme à l’intérieur de la gauche a pris de l’ampleur et les partis ont affirmé des positions opposées de plus en plus fragmentées.
Fondé en 2007, le PD est le successeur indirect du PCI et représente la gauche de l’échiquier politique. Cependant les facettes plus radicales de l’ancien PCI comme plusieurs aspects sociaux, orientés à gauche, se sont diluées au fil du temps. C’est probablement l’une des raisons qui ont mené à une crise majeure de la gauche italienne durant ces dernières années qui a permis l’ascension de la droite aux élections en septembre 2022 avec la nette victoire du parti populiste Fratelli d’Italia et de l’actuelle première ministre Giorgia Meloni.
Selon Elly Schlein, l’un des problèmes principaux de la crise de la gauche serait que la droite, même divisée, réussit à se rassembler durant les moments cruciaux et parvient ainsi à obtenir plus d’électeurs et à gagner grâce à ces coalitions. Une autre raison serait également que le PD a perdu en crédibilité, en particulier parce qu’il a cessé de donner l’importance nécessaire aux travailleurs et à leurs droits. Schlein souligne notamment la libéralisation des contrats de travail de la part du PD en 2015 par le biais d’une nouvelle loi sur les contrats à durée déterminée. Environ 62 pour cent des jeunes endosseraient uniquement des contrats précaires et n’auraient jamais connu de stabilité professionnelle. Elle veut leur redonner espoir et rendre sa juste valeur au travail et aux travailleurs et ainsi retourner aux racines du PD, s’éloignant de ce qu’il est devenu durant ces dernières années.
C’est pour cela que la jeune politicienne déclare clairement qu’il faut tout changer : reconstruire radicalement la gauche pour pouvoir offrir une réelle alternative à la droite melonienne.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que peu de temps après l’élection de Giorgia Meloni en tant que première femme à la tête du gouvernement italien, Elly Schlein devient contre toute attente la première femme à diriger le Parti démocrate. En outre, avec son élection, c’est la première fois que les votes des membres du parti ont été radicalement bouleversés. Stefano Bonaccini, qui était son concurrent pour le poste, avait en effet vingt pour cent de plus de voix d’adhésion au sein du parti qu’Elly Schlein. Les élections étant cependant ouvertes aux inscrits ainsi qu’aux non inscrits, le résultat final a été tout autre. Tout comme Giorgia Meloni, la jeune politicienne bat donc les records.
Il s’agit ici sans doute de deux femmes intelligentes ayant l’ardent objectif de changer la politique et de faire valoir leurs idéologies. Cependant leurs points communs semblent s’arrêter là. Ainsi, Elly Schlein déclare qu’être une femme ne signifie pas forcément être une féministe, arguant qu’une féministe aurait comme objectif d’améliorer la condition des femmes alors que Giorgia Meloni rame dans une autre direction. C’est ainsi que la nouvelle cheffe du PD pointe du doigt les pensions pour femmes, qui seront probablement calculées en fonction du nombre d’enfants. Selon elle, il s’agit ici d’une discrimination et elle affirme que Giorgia Meloni, devrait penser à un autre plan pour pouvoir réellement aider les femmes et également favoriser l’emploi féminin. Elly Schlein voudrait suivre le modèle espagnol qui prévoit un congé parental de trois mois entièrement rémunéré et non transférable.
Là où Giorgia Meloni est particulièrement conservatrice et s’accroche fortement aux valeurs chrétiennes, Elly Schlein se définit progressiste et plaide pour les droits LGBTQI+, elle-même étant ouvertement bisexuelle et en couple avec une femme. Cela contraste clairement avec le message que Giorgia Meloni a fait passer au fil des années, notamment avec l’élection de Lorenzo Fontana à la tête du Parlement italien. Ce dernier est considéré comme homophobe par ses propos et sa ferme opposition au mariage homosexuel. En outre, l’opposition à l’avortement est un autre point diamétralement opposé à l’idéologie de Schlein.
Un autre aspect fondamental sépare les deux politiciennes sur les question de l’immigration, en particulier celle des ONG en mer Méditerranée. Ce sujet avait déjà suscité de nombreuses polémiques au cours des derniers mois et, avec le dernier naufrage à Crotone qui a causé plus de 71 morts, le sujet se retrouve au centre de l’attention.
Elly Schlein a d’ailleurs durement critiqué le ministre mélonien de l’Intérieur Matteo Piantedosi. Ce dernier avait condamné les migrants, prétendant qu’à leur place il ne serait pas parti et n’aurait pas risqué sa vie en mer. La nouvelle cheffe du PD a réclamé sa démission, après avoir défini ses propos comme « indignes » et « inhumains ». Elle ajoute également que le ministre ne s’est pas posé la bonne question : que peuvent faire les institutions européennes et italiennes pour aider ceux qui fuient, recherchant la protection internationale à laquelle ils ont pleinement droit ?
Ces propos ont renforcé la divergence de points de vue sur la nouvelle cheffe du PD. Les supporters de la droite et du gouvernement actuel voient en Elly Schlein un personnage inadapté. Ils dénoncent que la jeune femme est issue d’une famille aisée et n’aurait jamais travaillé, estimant qu’elle ne peut pas se battre pour les travailleurs et les pauvres sans jamais en avoir fait partie. Ils considèrent Giorgia Meloni comme plus authentique et crédible dans ces domaines, ayant grandi dans des conditions plus modestes que son adversaire.
Le fait que le PD ait élu une femme si peu de temps après l’ascension d’une autre à la tête du gouvernement italien pousse certains critiques à voir une stratégie pour contraster le succès d’une femme au pouvoir. C’est en effet de la première fois que deux femmes s’opposent en Italie et se livrent au combat politique. Dans une Italie, qui est encore patriarcale et machiste sous de nombreux aspects, il est assez ironique de voir deux femmes tenir les rênes de la politique.
Elly Schlein provoque non seulement des critiques de la part de la droite, mais inquiète également les socialistes moins radicaux qui voient en la jeune femme un danger pour leur politique moins virulente et plus centriste. Certains de ses opposants voient en son élection la fin du parti démocrate alors que ces soutiens y lisent une renaissance et une opportunité de changement radical.
Malgré un certain nombre de critiques, Elly Schlein suscite donc également beaucoup d’espoir. Le week-end dernier durant sa visite à Florence, ancienne forteresse de la gauche italienne, elle a été accueillie chaleureusement. On entend un soupir de soulagement et un « finalement » pensé et exclamé. Cela faisait des années que les vrais adhérents de la gauche attendaient un retour de leurs valeurs, que la jeune politicienne semble pour l’instant vouloir incarner. Elle dit aussi avoir reçu de la part de dames très âgées, des messages qui la remerciaient d’avoir réalisé ce qu’elles attendaient depuis toute une vie : pouvoir enfin voter pour une femme.
Sa victoire est certainement aussi liée au fait qu’Elly Schlein incarne un symbole. Contrairement à d’autres partis, le PD a su se remettre en question et la jeune politicienne admet les problèmes du parti et veux à présent reconstruire la gauche en évitant de commettre les erreurs du passé. Elle est déterminée et l’aspiration d’un retour aux origines du parti, ainsi que son engagement pour l’écologie et l’inclusion font renaître en beaucoup l’espoir d’une nouvelle gauche, plus forte et capable de tenir tête à une droite inarrêtable des dernières années.