Pour le thème de sa 47e édition, « Travailleurs, travailleuses et algorithmes », le Festival du film italien de Villerupt retrouve ses origines ouvrières, désormais aussi anciennes que les tempes devenues grises de ses fidèles spectateurs. La plupart des douze films qui composent la sélection thématique ont près de dix ans et ont déjà été programmés au festival sauf le documentaire écocritique Toxicily (2023) et Anna de Marco Amenta (2023), portrait d’une jeune femme rebelle attachée à la Sardaigne rurale qu’elle défend contre le capitalisme et le machisme local. Le meilleur de cette thématique demeure 7 minuti de Michele Placido (2016) déjà proposé à Villerupt en 2017, huis-clos efficace, consacré à onze ouvrières d’un comité d’entreprise, contraintes d’accepter la réduction de sept minutes de leur temps de pause. L’enjeu du film n’est pas sans rappeler celui à l’origine de la grève mise en scène par Mario Monicelli, dans I Compagni (Les Camarades, 1963) – un des films les plus justes jamais réalisé sur la classe ouvrière – que l’on peut revoir à Villerupt dans le cadre de la rétrospective Mastroianni (à revisiter ne serait-ce que pour le tandem avec la magnifique Sophia Loren dans l’excellente comédie sous-évaluée de Vittorio de Sica, Ieri, oggi, domani de 1963).
Deux autres films viennent rappeler la culture locale du travail et l’ancrage à gauche de ses défenseurs. Le premier est le documentaire touchant de Donato Rotunno, La Fourchette à gauche, témoignages de militants et habitués du Cercle récréatif Curiel à Luxembourg, qui a longtemps été le siège du parti communiste italien-section de Luxembourg. Le second est une fiction ouvrière devenue une archive historique – Des Quetsches pour l’hiver – réalisée en 1973 par le groupe de jeunes gens, fils d’ouvriers sidérurgistes, qui ont été à l’origine du Festival du film italien de Villerupt et de la réalisation du documentaire très connu localement : L’anniversaire de Thomas (1982). Des Quetsches pour l’hiver a été restauré pour la circonstance.
Comme chaque année, le gros de la programmation est réparti sur les trois principales sections : la compétition (quinze films), le panorama (22 films) et les films hors compétition (dix films). Ces derniers ont été réalisés en 2023 ou 2024. Pour les personnes qui auraient manqué le film phénomène C’è ancora domani, diffusé en mars dernier dans les salles, c’est l’occasion de se rattraper. C’est aussi l’opportunité de voir les derniers films de Gianni Amelio (Campo di battaglia, 2024), de Daniele Luchetti (Confidenza, 2024), de Marco Tullio Giordana (La vita accanto, 2024), de Liliana Cavani (qui aura 91 ans en janvier !) L’ordine del tempo, 2023, et de Paolo Sorrentino (Parthenope, 2024). On jettera un œil particulier aux performances d’actrice et de réalisatrice de l’excellente Pilar Fogliati, présentes dans trois films hors compétition : Romantiche (2023), Confidenza et Roméo è Giuletta (2024), une comédie sur l’ambivalence du genre, plutôt réussie, entre Shakespeare et Victor Victoria.
Le festival prend des risques également avec la présentation du premier long métrage de Milad Tangshir, originaire de Téhéran. Anywhere anytime est un remake du célèbre Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica et une dénonciation du travail précaire et clandestin. Il fait spontanément penser à son équivalent français récent, L’histoire de Souleymane, et nous interroge sur le caractère interchangeable de ces fictions. La normalisation des indignations artistiques dilue les brûlures de l’actualité dans des sociétés où le droit des personnes a pris le dessus sur le droit au travail et où la valorisation morale de l’immigré s’est substituée à la défense politique et sociale du travailleur immigré. Le temps passant, le festival lui-même semble avoir oublié le lien profond qui reliait l’immigration italienne locale au travail ouvrier, ainsi que la philosophie politique qui en découlait.
Comment expliquer sinon la programmation curieuse du Déluge de Gianluca Jodice (en italien Gli ultimi giorni di Maria Antonietta), typique de ces films « italiens » présentés en français qui deviennent très présents au festival. Sous couvert de la mise en scène d’une « apocalypse personnelle des protagonistes » – par ailleurs très bien soignée techniquement – où Guillaume Canet est Louis XVI et Mélanie Laurent, Marie-Antoinette, le film est une charge idéologique confuse et caricaturale contre les idéaux de la Révolution française dont l’Europe d’aujourd’hui est pourtant le produit démocratique. Le film présente de manière implicite la Révolution française comme la matrice de tous les excès et violences contemporaines. Il n’y a guère que l’extrême-droite européenne à avoir fait mieux que le film dans l’imposture historique et l’inversion des valeurs et de la réalité comme lorsqu’elle se présente aujourd’hui aux électeurs en champions de la lutte contre l’antisémitisme. Les bras nous en tombent. « L’histoire enseigne, mais elle n’a pas d’élèves » disait Gramsci.