On le sait, l’empreinte carbone des géants du Net est tout sauf négligeable. Nous cliquons allègrement sur nos smartphones en nous abandonnant béatement à l’illusion que la consommation d’énergie liée à ces clics se résume à la charge, en bas voltage, de ce téléphone. En réalité, nos requêtes, publications et commandes entraînent une consommation d’énergie considérable, que ce soit par le biais des centres de serveurs disséminés à travers le monde ou, dans le cas d’Amazon, des dispendieux déplacements de camionnettes dépêchées pour boucler le « dernier kilomètre ».
Ce qui est moins connu, c’est que Google, Amazon et Microsoft, loin de mettre en pratique leur discours officiel de lutte contre le changement climatique, sont en réalité les auxiliaires zélés de l’industrie des énergies fossiles. Une récente enquête de la publication Gizmodo, intitulée « How Google, Microsoft, and Big Tech Are Automating the Climate Crisis », jette une lumière crue sur cet aspect peu reluisant de leur activité.
Pour situer l’enjeu, Gizmodo cite la création par Rockwell Automation et Schlumberger Limited, deux grands groupes fournissant des services et des équipements aux compagnies pétrolières, de la « joint venture » Sensia appelée à « faire avancer les technologies digitales et l’automation sur les champs pétroliers », afin de permettre aux compagnies pétrolières, à grand renfort d’intelligence artificielle, de communications entre machines et de techniques de détection, d’extraire davantage de pétrole et de gaz tout en employant moins de main d’œuvre – une perspective qui est évidemment aux antipodes d’une attitude soutenable à l’égard de la crise climatique. Citant des accords passés l’an dernier par Google, Microsoft et Amazon pour participer à ces efforts, Gizmodo estime que ces trois entreprises sont intimement liées aux efforts irresponsables en cours pour intensifier la production d’énergies fossiles.
Michael Mann, un des climatologues les plus en vue, fameux pour avoir créé le « hockey stick », élégante illustration de la forte augmentation des températures globales de ces dernières décennies, n’y est pas allé par quatre chemins : « C’est en effet dérangeant de voir l’industrie technologique aider à faire reculer la civilisation vers l’âge fossile alors même qu’elle prétend représenter les technologies les plus avancées supposées nous guider vers l’avenir. Cela révèle en définitive le caractère amoral des intérêts corporate », a-t-il commenté.
L’an dernier, Google a recruté, en toute discrétion, un employé de longue date de BP, Darryl Willis, pour diriger une nouvelle entité baptisée « Google Cloud Oil, Gas, and Energy » et censée être le « partenaire privilégié du secteur de l’énergie ». Citant la publication spécialisée Rigzone, Gizmodo rapporte que Gogle Cloud et le groupe français Total ont signé un accord pour développer conjointement des solutions d’intelligence artificielle pour l’analyse de données de sous-sol pour l’exploration et la production de pétrole et de gaz.
Un autre partenariat a été passé avec une banque texane, Tudor, Pickering, Holt & Co, afin d’aider l’industrie pétrolière de la région de Houston à « rester compétitive alors que les véhicules électriques et les sources d’énergie renouvelables gagnent des parts de marché ». On ne saurait être plus clair : Google s’engage aux côtés de l’industrie pétrolière pour contrer les technologies d’avenir, comme en témoignent aussi des accords passés avec Baker Hughes, une autre auxiliaire des géants pétroliers, et Schlumberger. Google est par ailleurs en discussion avec Aramco, le monstre pétrolier saoudien, pour construire un hub technologique et des centres de serveurs. Avec Anadarko Petroleum, entreprise américaine d’exploration et de production pétrolière, Google a selon le Financial Times conclu un accord pour utiliser l’intelligence artificielle afin d’« analyser de vastes quantités de données sismiques et opérationnelles pour trouver du pétrole, maximiser la production et augmenter l’efficience ». Que reste-t-il du slogan « Don’t Be Evil » de Google, demande rhétoriquement Gizmodo. Amazon, qui compte Shell et BP parmi ses clients, et Microsoft, proche de Chevron et BP, ne sont pas en reste. Les géants technologiques participent activement à la destruction de la planète.