Chronique Internet

Malgré des cours au plus bas, la crypto avance

d'Lëtzebuerger Land vom 08.02.2019

L’année 2018 a été marquée par une baisse de valeur significative des deux cryptodevises les plus en vue, le bitcoin et l’ether. Après avoir dépassé les 18 000 dollars vers la fin 2017, le bitcoin a depuis glissé avec constance, malgré quelques tentatives de rebond, pour se stabiliser, depuis la fin 2018, entre 3 000 et 4 000 dollars. L’ether a évolué en parallèle. Certes, ce prix du bitcoin représente une hausse de l’ordre de 225 pour cent par rapport à son cours il y a deux ans. La hausse sur deux ans est même de 750 pour cent pour l’ether. Il n’empêche que pour ceux qui, au plus fort de l’euphorie ascensionnelle il y a une quinzaine de mois, prédisaient une poursuite indéfinie de cette envolée, évoquaient sans sourciller des cours de 50 000 ou 100 000 dollars à brève échéance et pour qui ces « Lambo » (les Lamborghini acquises par les jeunes crypto-millionnaires) étaient le signe extérieur d’un eldorado triomphant, la dégringolade, et plus encore, l’actuelle stagnation sont une cruelle humiliation. Il est tentant, du coup, d’évoquer un hiver voire une glaciation qui seraient venus durablement paralyser l’univers crypto.

Pourtant, ces cours déprimés ne reflètent pas vraiment ce qui se passe en coulisses. La nuée de start-ups et de groupes de recherche, d’incubateurs, de plateformes d’échange et de publications, de conférences et de prestataires de service spécialisés qui ont poussé comme champignons après la pluie et formé un microcosme effervescent est toujours là. Certains des crypto-entrepreneurs continuant de lancer des ICO – même si ce phénomène des ventes publiques de tokens, utilisées fréquemment par des escrocs, s’est considérablement calmé. Mais surtout, les codeurs et entrepreneurs attelés au développement de nouvelles applications fondées sur la blockchain ou les registres distribués, que ce soit dans le domaine de la finance ou de l’industrie, n’ont rien perdu de leur ardeur et de leur enthousiasme. Simplement, ce milieu a appris à mener ses affaires sans la frénésie de cours en forte hausse et sans s’attendre nécessairement à s’enrichir du jour au lendemain. En se débarrassant ainsi de la pression induite par les spéculateurs et la pensée magique qu’ils charrient, il y a sans doute gagné en maturité et en concentration. Un peu comme avec la bulle techno qui avait explosé en 2000 sans que le développement d’Internet ne s’en trouve vraiment freiné. Le bitcoin, la première et seule des cryptodevises à accéder à une réputation véritablement mondiale, reste au cœur de cet écosystème et le restera sans doute encore quelque temps. Mais il continue d’être handicapé par deux entraves majeures : son utilisation requiert toujours des quantités d’électricité absurdes au regard de l’impossibilité de s’en servir à grande échelle comme moyen de paiement. Ethereum, plus agile, héberge un essaim de projets bien plus ambitieux et plus prometteurs, mais souffre également de rigidités et de querelles de chapelles.

Et de fait, l’engouement pour les perspectives d’une décentralisation en profondeur de l’économie que continue de porter l’univers crypto reste entier. Imperturbables, des secteurs industriels peu enclins aux envolées révolutionnaires s’allient pour construire des plateformes de désintermédiation faisant appel à la blockchain – même si par souci de sécurité, ils préfèrent souvent des blockchains fermées, qui aux yeux des puristes n’en sont pas vraiment, car pas entièrement décentralisées. Cette évolution se fait assez lentement, sans la pression que ressentent les start-ups à trouver rapidement leur public. Ceux qui choisissent une décentralisation sans compromis souffrent un peu plus de la stagnation actuelle – il leur est plus difficile de financer leurs projets tandis que les régulateurs regardent désormais de plus près ce qui se passe dans leur domaine. Mais dans l’ensemble, l’écosystème des projets blockchain est aujourd’hui plus sain qu’il y a un an, et les réglementations spécifiques qui se s’esquissent contribuent en définitive à y créer un climat de confiance.

Jean Lasar
© 2024 d’Lëtzebuerger Land