Cinémasteak

Chantons en temps de crise

d'Lëtzebuerger Land vom 28.08.2020

« I’m singing in the rain, just singin’ in the rain / What a glorious feeling, I’m happy again / I’m laughing at clouds so dark up above / The sun’s in my heart and I’m ready for love / Let the stormy clouds chase everyone from the place »... On connaît bien le refrain de cette chanson d’amour popularisée en 1952 par le film de Stanley Donen, qui en reprend le titre. On a en mémoire ces images pluvieuses qui contrastent avec le sourire et la chorégraphie solaires de Gene Kelly, acteur acrobatique qui fut tout à la fois producteur, réalisateur, chanteur, danseur et multi-instrumentiste. La collaboration entre les deux hommes commence véritablement en 1949 avec le tournage d’Un jour à New York (On the Town), première comédie-musicale à descendre dans la rue, à Manhattan en l’occurrence où se déroulent les pérégrinations de trois marins (Gene Kelly, Frank Sinatra, Jules Munshin). Elle prendra fin avec It’s always Fair Weather (1954), dernier volet du triptyque dont Singin’ in the Rain occupe la partie centrale.

Slanley Donen, qui nous a quittés l’année dernière à l’âge de 94 ans, se découvre une vocation après avoir vu Flying down to Rio (1933) de Thornton Freeland, où s’illustre Fred Astaire. Il a alors neuf ans, et ne sait pas qu’il réalisera un film avec l’idole de son enfance deux décennies plus tard (Royal Wedding, 1951). Une fois atteint l’âge de maturité, Donen part pour New York et fait ses gammes à Broadway, où il rencontre Gene Kelly, qui le prend aussitôt sous son aile. Avec Un Américain à Paris (1951) de Vincente Minnelli, Singin’ in the Rain est sans doute la comédie musicale la plus connue dans le monde. Deux fleurons que l’on doit à la Metro-Goldwyn-Mayer, chapeautés à chaque fois par le producteur Arthur Freed. Après la Seconde Guerre mondiale s’ouvre en effet un temps d’insouciance : le début des années 50 se montre ainsi propice aux musicals. À la virtuosité chorégraphique de Kelly dans Singin’ in the Rain répond l’ingéniosité de la mise en scène de Donen, qui fourmille de couleurs vives et d’audaces formelles inédites à l’époque – jump cut, passage dans le même plan des couleurs au noir et blanc, arrêt sur image et du son, mise en abyme de l’industrie cinématographique. On y exulte la vitalité et la santé de la jeunesse américaine, représentée à travers de nombreuses séquences chorales nous rappelant qu’un film est une réalisation collective avec son armada d’anonymes (figurants, doublures, cascadeurs, techniciens, etc.). Ce qui n’empêche pas le cinéaste de porter un regard amusé et ironique sur le commerce des corps et des histoires en vigueur à Hollywood.

On trouve enfin un intérêt historique certain à ce film à grand spectacle dans le fait de retracer l’évolution des techniques lors de la transition vers le parlant à la fin des années 20 : synchronisation de l’image et du son dès Le chanteur de jazz (1927), coaching de diction en direction des acteurs du muet, doublage des voix de stars via la post-synchronisation... Autant de conditions matérielles qui offrent un horizon radieux à la comédie musicale, laquelle transforme en retour définitivement le cinéma en un art total. On aurait ainsi tort de trouver aujourd’hui les comédies musicales ringardes. À en voir les récompenses glanées ces dernières années dans les festivals par The Artist (2011), La la land (2016) ou A star is born (2018), l’art de la comédie musicale n’est pas mort. En ces temps moroses que nous vivons, ces films où l’on danse et l’on chante font du bien.

Singin’ in the Rain de Stanley Donen (USA, 1952) sera présenté vendredi 28 août à 20h30, Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, place du Théâtre.

Loïc Millot
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