On a comme une impression de déjà-vu lorsque Robert Garcia prend la parole pour militer pour la sauvegarde de la Halle des soufflantes en particulier et du patrimoine industriel du Sud du pays en général. Parce que Garcia, l’élu local écolo de Dudelange, ancien député et directeur des Rotondes à la retraite était surtout coordinateur général de Luxembourg et Grande Région – Capitale européenne de la culture 2007. Et occupa à ce titre la Halle des soufflantes à Esch-Belval avec de grandes expositions-événements, comme notamment All we need. Donc, quand il appelle désormais de ses vœux une sauvegarde et une rénovation pérenne de cette même Halle, de préférence dès cet automne pour y abriter le quartier général de l’année culturelle de… 2022, on se sent forcément comme dans Groundhog Day (Harold Ramis, 1993), ce film dans lequel Bill Murray se réveille tous les matins au même jour, incapable d’avancer dans le temps. Sommes-nous à nouveau en 2007 ? Pourquoi lui ? Pourquoi toujours le même sujet ?
C’est que, effectivement, on n’avance pas du tout dans ce domaine depuis le début du millénaire. Même douze ans après l’année culturelle, qui en avait montré la beauté majestueuse, la Halle des soufflantes est loin d’être en sécurité. Malgré des publications scientifiques, des pétitions et des engagements d’historiens, d’architectes et d’anciens ouvriers du site soulignant son importance pour comprendre le fonctionnement de l’ancienne usine, malgré son inscription sur l’inventaire supplémentaire des Monuments nationaux et dans le Bid book pour l’année culturelle et malgré une année européenne du patrimoine, 2018, qui n’aura strictement servi à rien. Le Service des sites et monuments nationaux s’est exprimé contre une sauvegarde, préférant investir dans la restauration de la halle de Differdange, et le précédent gouvernement ne la porta pas dans son cœur. Parce que c’est de gros sous qu’il s’agit. Les estimations les plus improbables circulent pour sa survie, selon le degré de rénovation voulu, de cinq à cinquante millions d’euros. Est-ce que la nouvelle ministre de la Culture, Sam Tanson (Déi Gréng), qui a déclaré la protection du patrimoine comme une de ses priorités politiques, arrivera à faire débloquer cette somme ? Aujourd’hui, vendredi 1er mars, le groupe de travail Eise’Stol présidé par Robert Garcia et qui réunit ONGs et organismes publics, organisera un colloque sur la seule Halle des soufflantes, suivi de trois autres débats plus larges sur le patrimoine industriel d’ici mai.
Or, ce qui frappe, c’est que le ministère de l’Économie socialiste soit complètement absent du débat. Pourtant, il faudrait sortir de la logique que tant que l’industrie est en activité, elle n’est que pollution et nuisance – la création d’une initiative citoyenne contre l’implantation d’une nouvelle usine est immédiate, voir Fage ou Knauf –, alors qu’à l’arrêt, ces bâtiments deviennent des cathédrales culturelles bienvenues, comme la Tate Modern à Londres. Cela ne serait ni réaliste ni finançable. C’est donc de reconversion qu’il faut parler désormais : implanter de nouvelles activités économiques dans les anciens bâtiments industriels. C’est bien le ministère de l’Économie et non celui de la Culture qui soutient financièrement la Kreativfabrik 1535° à Differdange : parce que désormais, il est reconnu que les activités créatives ne sont pas juste un loisir de certains, mais un secteur économique dynamique. Belval est attractif pour toute la région, y compris de l’autre côté de la frontière, parce que l’État y a investi un milliard d’euros dans la construction de l’Université du Luxembourg, mais aussi, via la société mixte Agora, la création des réseaux pour que puissent s’y implanter des commerces et se construire des complexes de logements. À la fin du mois, la même Agora attaquera la friche de Schifflange, plus petite, certes, mais constituant néanmoins une importante réserve foncière pour le Sud. Jeudi prochain seront dévoilés les noms des équipes interdisciplinaires qui débattront de contraintes environnementales, de concepts mixtes, de démarches participatives et d’initiatives innovantes.
La muséification de tout le Sud industriel serait une erreur, année culturelle ou pas. C’est de vie, de travail et d’activité quotidienne que la région a besoin pour se redresser.