« Les temps changent et ne se ressemblent pas ». Ce (bon) vieux dicton français convient invariablement aux saisons. Il vaut aussi pour les institutions, même pour les plus vieilles et figées d’entre elles. De surcroît, il s’applique aux femmes et hommes politiques, donc a fortiori aussi aux députés.
En ce début 2019, à l’occasion de la traditionnelle réception du nouvel an pour adresser ses meilleurs vœux aux membres du Bureau de la Chambre, de l’administration parlementaire ainsi qu’aux représentants de la presse écrite et parlée, Fernand Etgen, Président frais émoulu de la première institution du pays, leur a dédié (à la Chambre et aux députés) une pensée émue.
Extraits de son discours à cette occasion :
« Pour ce qui est de la composition de la Chambre, elle se caractérise dorénavant par une plus grande diversité. Beaucoup de jeunes gens ont pu accéder à un premier mandat alors qu’à l’aune d’une société vieillissante et d’une époque marquée par des bouleversements profonds, la vitesse à laquelle les changements se produisent effraie nombre de nos concitoyens. Ce seront ces jeunes qui, guidés par des idées neuves, leur enthousiasme et force créative ainsi que parés de la nécessaire confiance en soi, n’auront pas peur de prendre en mains des dossiers importants et volumineux. Cela me rend optimiste pour l’avenir. De nouvelles idées et opinions côtoieront ainsi les plus enracinées d’entre elles et auront certainement un effet bénéfique. L’ensemble des débats controversés menés à la Chambre contribuera ainsi à stimuler la démocratie dans notre pays. C’est dans cette maison où la démocratie parlementaire vit que celle-ci se devra d’être vivifié et vécu.
Par ailleurs, la Chambre a aussi un devoir de contrôle. Elle doit contrôler le Gouvernement. D’un côté pour voir si tout se passe bien de façon conforme et de l’autre pour proposer des améliorations et des réformes. C’est la raison pour laquelle la Chambre se doit de procéder à une évaluation et un suivi de la mise en œuvre des lois. C’est pour cela que la Chambre doit disposer de moyens supplémentaires. Il ne s’agit pas forcément de voir quelque chose de négatif là-dedans. Mais il s’agit de voir au bout d’un certain temps si, oui ou non, on a atteint le but que l’on s’était fixé avec les moyens dont on disposait à l’époque.
Pour remplir le devoir qui est le sien en tant que pouvoir législatif – je l’avais déjà mentionné dans mon discours d’investiture – la Chambre a besoin d’expertise interne et externe. Il s’agit de mieux encore préparer les travaux dans les commissions parlementaires, étant donné que les lois et les règlements, tous domaines confondus, relèvent d’une technicité et d’une complexité sans cesse grandissantes. À côté d’experts externes auxquels nous avons déjà eu recours par le passé, nous avons aussi besoin d’experts internes aptes à supporter les députés dans leur travail. »
Si les élections législatives du 14 octobre dernier pour élire soixante de ses représentants ont pu avoir un effet salutaire sur la Chambre des députés, c’est bien celui que six « jeunes » parlementaires, en dessous de quarante ans, aient su forcer les lourdes portes en chêne de son hôtel pour y siéger pendant (au moins) cinq ans. Six « jeunes », six immaculés, six novices dont de surcroît trois femmes – rien à voir avec la représentation dorénavant famélique de la gent féminine dans l’enceinte du premier pouvoir – seront donc guidés, aux dires de Fernand Etgen, par des idées neuves, leur enthousiasme, leur force créative et n’auront pas peur, car parés de la nécessaire confiance en soi, de s’investir à bras-le-corps dans des dossiers importants et volumineux.
Il est à espérer que le nouveau Président ne s’est pas trompé dans ses propos. Accordons donc aux nouveaux élus le bénéfice du doute et gageons qu’ils sauront enflammer les échanges et débats à la Chambre par un enthousiasme sans faille, qu’ils illumineront les discussions et délibérations menées par des contributions lucides et réfléchies, qu’ils se trouveront à l’origine de nombreux amendements parlementaires, interpellations, motions, résolutions et propositions de loi de toutes sortes pour exercer un contrôle parlementaire tous azimuts.
Gageons surtout qu’ils ne prendront pas appui sur un certain nombre d’entre leurs pairs qui, esclaves de leurs vieilles habitudes et réflexes contractées, ne savent plus vraiment mouiller le maillot parlementaire et se montrer à la hauteur de la tâche qui leur incombe. Après tout, un mandat parlementaire, ça se mérite.
Être présent à la Chambre par obligation et y être présent par envie n’est en effet pas nécessairement synonyme de même résultat.
Parmi ces députés, pour qui la vie parlementaire doit ressembler bon an, mal an à un long fleuve tranquille, on retrouve comme dans toute organisation, institution ou entreprise – que ce soit dans le public comme dans le privé – les glandeurs contemplatifs. Les députés inscrits en quelque sorte qui, par leur inscription dans le registre ou la liste de présence obligatoire (registre de présence pour la session plénière ; liste de présence pour la commission parlementaire permanente ou règlementaire) signalent qu’ils sont présents, du moins physiquement, mais sans rien faire de concrètement productif. S’ils ne lisent pas les journaux ou consultent leur téléphone portable, ils se distinguent par leurs qualités indéniables de fakir, martyrisant leur siège jusqu’à la fin de la séance plénière ou réunion de commission. Aficionados du « pour vivre heureux, vivons cachés », il ne leur viendrait jamais à l’esprit de faire la moindre intervention ou poser la moindre question, ne serait-ce qu’à des fins de compréhension.
Viennent ensuite les députés qui dépensent beaucoup d’énergie à cacher ce qu’ils ne font pas (ou ne devraient pas faire). À la moindre réunion, ils démontrent à merveille que le présentéisme parlementaire n’est pas une activité à prendre à la légère et qu’il demande un investissement de tous les instants. Littéralement scotché à sa tablette ou son ordinateur portable, floqué le plus souvent de la célèbre pomme new-yorkaise – marque censée incarner la créativité et la productivité –, ce spécimen de député n’hésite pas à s’installer de façon à ce que, dès l’entrée de la salle de réunion, personne ne puisse voir à quoi il s’adonne. Damné du clavier, stakhanoviste de la rédaction, aucun détail de ce qui passe en réunion ne semble lui échapper. Champion du scroll en haut et du scroll en bas, il alimente en réalité les réseaux sociaux (son compte Facebook ou Twitter), s’agglutine devant les derniers news qui le mentionnent ou photos sur lesquelles il pose, démultipliant les courriels pour parer au plus urgent, au plus pressé, si ce n’est pour acheter ou virer en ligne. Accro à l’outil numérique, son appétit est gargantuesque au point qu’il ne plie bagage que quand la salle de réunion est déjà déserte.
D’autres députés, parés de la nécessaire confiance en soi, mais n’ayant pas trop envie de se courber l’échine, sont devenus, au fil des ans, des as de la technique du courant d’air. À peine arrivés en salle de réunion par une porte dérobée et assis sur une chaise, le temps que leur présence soit remarquée et notée, ils sont déjà repartis sous d’autres cieux, ceci sur la pointe des pieds et en toute discrétion, non sans engranger leur précieux jeton.
Pour finir, arrêtons-nous encore un instant sur le cas des députés qui croulent sous les mandats (publics ou privés). Être maire d’une grande ville que l’on peut marquer de son empreinte peut se révéler bien plus gratifiant qu’être simple député insignifiant, la tête baissée dans le guidon. De même que chasser sur des terres plus giboyeuses ou pour d’autres seigneurs (conseils d’administration, conseils de surveillance de sociétés les plus diverses, grandes études d’avocats). Comblé par Dieu du don de l’ubiquité, ce type de député, à force d’être au four et au moulin, risque de se trouver partout et nulle part. Ou en tout cas au mauvais endroit au mauvais moment, trahissant ainsi l’électeur qui l’a investi d’une mission bien précise.
À la lecture de ce qui précède, on ne peut donc que souhaiter bonne chance aux nouveaux arrivants pour ne pas tomber dans les travers et vicissitudes des mœurs de certains de leurs ainés. S’ils arrivent à s’y arracher, ils ne feront pas qu’assister au spectacle offert du côté du Marché-aux-Herbes, mais en deviendront les principaux acteurs. Ce ne sera qu’à ce prix que la Chambre saura contrôler efficacement l’exécutif … par l’expertise de ses députés et non celle de pseudo-experts autoproclamés. Comme qui dirait : « On n’est jamais mieux servi que par soi-même ».