Deux visages Il porte un masque et se dit (dans un certain sens) masochiste. En fin de Background am Gespréich chez RTL samedi dernier, François Pauly revient sur son arrivée, au début du mois, à la tête de la banque privée suisse Edmond de Rothschild. Une rareté pour un banquier local que d’accéder à la direction générale d’un groupe financier international d’envergure. Le seul à avoir joui d’un tel prestige jusqu’alors était (à notre connaissance) François Pauly lui-même lorsqu’il avait pris les rênes de Sal Oppenheim en 2007. Mais l’établissement créé en 1789 venait d’établir son siège (juridique) à Luxembourg pour conduire un développement européen qui s’est rapidement essoufflé. La vieille dame de Cologne (alors plus grosse que sa concurrente suisse Pictet) s’est éteinte dans la crise des subprimes et l’essentiel de ses activités a été repris par Deutsche Bank. Cette expérience a-t-elle laissé un goût amer à François Pauly ? Elle ne figure ni sur son profil Linkedin ni sur sa fiche biographique Paperjam (que l’on alimente à sa guise). Et on patientera pour obtenir la réponse. Edmond de Rothschild a décliné notre demande d’entretien quelques jours avant que François Pauly ne passe à l’antenne de RTL. Il ne s’y est attardé d’ailleurs qu’un peu, cinq minutes sur cinquante d’émission, sur sa « lescht sportlech Erausfuerderung an (s)enger Karriär ». Car celle-ci s’est accélérée depuis l’expérience Sal Oppenheim. Le banquier, 57 ans aujourd’hui, a élargi son périmètre d’activité, de l’immobilier (administrateur d’IWG/Regus, Inowai) à l’aviation (administrateur de Luxaviation et Luxair), en passant par l’hôtellerie (administrateur de l’hôtel Le place d’Armes), la presse (président du groupe Saint-Paul, éditeur du Wort), la santé (président des Hôpitaux Robert Schuman) et bien sûr l’assurance, dans laquelle il baigne depuis l’enfance via Lalux puis sa holding La Compagnie financière la Luxembourgeoise (CFLL). Cette pluralité de casquettes professionnelles explique pourquoi, en marge de son intronisation chez Rothschild, Le Figaro le présente sous celle de « père de trois enfants et grand philanthrope ». François Pauly s’implique dans la Fondation Félix Chomé, du nom de l’ancien directeur de l’Arbed dont la fortune a alimenté le lancement de l’activité dans l’accueil de personnes âgées aux revenus modestes. François Pauly (évidemment fortuné) est dit altruiste, « jovial dans la vie de tous les jours et beaucoup moins jovial dans la vie professionnelle », selon les termes d’un représentant de la place bancaire qui le côtoie et qui s’est confié au Land.
François Pauly étaie systématiquement son propos par des chiffres. Sur les ondes de RTL samedi, le banquier professe la session des participations de l’État dans les banques, la levée de fonds auprès d’investisseurs de long terme (comme les assureurs) et la mobilisation de l’épargne forcée, soit sept milliards au total, pour créer 100 000 logements dans les dix prochaines années sur un demi-million de mètres carrés. L’homme d’affaires base ses actions sur des impératifs financiers. Certaines postures seraient glaçantes s’il n’associait pas sa considération aux cas de potentielles détresses sociales comme les salariés licenciés du Groupe Saint-Paul et cette phrase sur l’antenne de RTL : « Dans les secteurs qui connaissent des grands changements, il n’est plus possible de poursuivre avec les mêmes personnes. »
Deux dimensions L’évolution professionnelle de François Pauly, du fait de son enracinement dans Lalux notamment, révèle les bouleversements économiques connus par le Grand-Duché au cours de la dernière moitié du siècle dernier, notamment sa tertiarisation. Sa réussite professionnelle s’articule sur deux dimensions. La première est celle que François Pauly met spontanément en avant, son expérience de banquier « depuis 35 ans ». Au sortir de ses études à l’ESCP, l’une des trois grandes écoles de commerces parisiennes, François Pauly intègre la BIL. Nous sommes en 1987. Il occupe diverses fonctions, aux marchés financiers, à la communication ou encore dans la branche italienne. Il apparaît pour la première fois en 2002 dans la revue de presse du gouvernement (dont les archives débutent en 1999) quand la BIL, alors propriété de Dexia, quitte l’Italie. « Les 26 personnes qui travaillaient à Milan sous la direction de François Pauly vont faire l’objet d’un licenciement collectif. François Pauly devrait quant à lui être prochainement réaffecté dans un poste à responsabilité au Luxembourg », écrit le Wort. Le banquier se relance à la tête du département banque privée, mais quitte la route d’Esch quand il se cogne aux portes du comité de direction. Il se relance en 2004 comme chef de Sal. Oppenheim Luxembourg puis du groupe allemand quand celui-ci place sa tête de pont au Kirchberg. Pas pour longtemps. En 2010 François Pauly saute en même temps que la banque. Il n’atterrit qu’un an plus tard, en septembre 2011, (cette fois) au sommet du siège de la BIL, baptisé Indépendance. Un statut que la filiale de Dexia est alors en train de gagner à ses dépens puisque le groupe belgo-français implose, là encore dans l’onde de choc des subprimes.
François Pauly s’accroche à son siège malgré le passage sous pavillon qatari, dès le mois d’octobre 2011. Il bascule alors au siège honorifique de président du conseil d’administration jusqu’en 2016… date à laquelle François Pauly intègre le conseil d’administration de la filiale luxembourgeoise d’Edmond de Rothschild, prestigieuse banque privée prise dans le scandale financier 1MDB, le fonds souverain malaisien spolié, entre autres par un client émirati de l’établissement (lequel a accueilli, via l’intéressé, plus de 470 millions d’euros d’argent sale). Au Luxembourg, François Pauly devient alors l’homme de confiance de la grande patronne, Ariane de Rothschild, qui elle s’est carapatée à la maison-mère à Genève après la descente de la police grand-ducale dans ses locaux cossus du Limpertsberg. De fil en aiguille, François Pauly fait ses preuves en tant que banquier pour devenir administrateur du groupe puis, très récemment directeur général d’une banque qui a perdu en début d’année avec le décès de Benjamin, l’héritier de son fondateur en 1965. La banque genevoise joue sur la renommée de son nom et de cette famille ancrée dans l’histoire, mais elle n’est officiellement née qu’un an après son nouveau directeur général.
La famille Les liens de sang et d’alliances expliquent aussi (c’est la deuxième dimension) le parcours de François Pauly, tissé en fil doré sur la toile de l’histoire économique nationale. L’historien Paul Zahlen en conte les détails dans son recueil élaboré pour le centenaire de La Luxembourgeoise. François Pauly est le petit-fils d’Aloyse Hentgen, l’un des fondateurs en 1920 de la première compagnie d’assurance nationale, alors très liée à la ruralité conservatrice et catholique. Aloyse a été ministre CSV et de nombreux cadres de l’entreprise ont occupé des fonctions chez les chrétiens-sociaux. Le père de François Pauly, Jules, chef du service administratif et social de l’Arbed, a épousé Monique Hentgen, la fille d’Aloyse et la sœur de Robert qui a, des années 50 au tournant du millénaire, été l’homme fort de l’entreprise. Son fils, Pit, a progressivement pris la main sur l’exécutif. Son cousin François Pauly a lui occupé diverses fonctions dans le comité de gérance (dès 1989) et dans les conseils d’administration, des filiales ou de la maison mère, notamment en remplacement de son père qui avait pris la direction des activités vie et non-vie, mais toujours à côté de sa carrière de banquier. François Pauly préside la CFLL depuis 2012.
Enfant puis adolescent, François Pauly a côtoyé Luc Frieden. Ernest, le père du futur ministre des Finances (CSV) travaillait dans le même département que Jules Pauly, à Esch puis à Luxembourg. Ils se retrouvent régulièrement ensuite. Au Land, Luc Frieden explique qu’il a « toujours pris des décision après avoir écouté le secteur ». L’ancien ministre chrétien-social s’appuyait sur une sainte trinité : Pierre Ahlborn (Banque de Luxembourg), Carlo Thill (BGL) et François Pauly. Dans une interview à L’Écho en 2006, le banquier-assureur (La Luxembourgeoise a un temps été une banque) met en concurrence les centres financiers suisse et luxembourgeois. Il s’inquiète du secret bancaire : « L’Europe ne doit pas devenir le continent qui n’accepte plus certaines fortunes ». Puis il pose les jalons de la doctrine level playing field adoptée par le ministre des Finances, Luc Frieden (dont il se fera chiper la paternité par son successeur Pierre Gramegna, DP, en 2013). Tous deux portent l’étiquette « chrétienne » et une « philosophie de place » centrée sur les intérêts de leur communauté aux dépens de ceux de l’Union européenne et de la morale. « Si le secret bancaire devait tomber et s’il existait des alternatives au Luxembourg, la confiance dans l’avenir de la place de beaucoup de clients aurait probablement tendance à diminuer. On n’a qu’à voir ce qui se passe actuellement à Singapour (un régime autoritaire, ndlr). L’État en question dispose du secret bancaire et n’a pas connu de crise majeure ces dernières trente années. J’ignore si l’argent ne tendrait pas à s’orienter dans cette direction. Mais le même risque existe pour la Suisse. Pour cette raison, il est important que les banques luxembourgeoises diversifient leur clientèle et développent de nouveaux produits. Il faudra par ailleurs éviter des scandales au Luxembourg. Cela ne ferait que des jaloux », prophétise-t-il en 2006. On relève que le problème n’est pas le scandale en soi, mais l’image qu’il pourrait donner du Grand-Duché… puis cette victimisation.
François Pauly met en pratique. Sa société de l’époque acquiert SGG, étoile montante de la domiciliation et du family office, temple de la boîte aux lettres kasher… mais dont le modèle d’affaires fait porter un risque réputationnel sur les banques (la BIL a externalisé ses services corporate en créant Experta et créera en 2014 sous la direction de François Pauly son family office Belair House). La société basée à la Cloche d’or passe ensuite, entre 2010 et 2011, de main en main, de société en société dans lesquelles François Pauly occupe des postes. Sal Oppenheim, qu’il dirige, vend SGG à BIP Investment Partners dont il est administrateur. La société de participations financières de BGL (dans laquelle François Pauly et Pit Hentgen sont arrivés avec une injection de capital de Lalux) vend quelques mois plus tard (en doublant la valeur de vente) l’entité à Cobepa, un groupe financier notamment capitalisé par des familles du monde brassicole belge. Notons qu’Edmond de Rothschild y investit (comme il l’avait fait dans CLT-Ufa également). BIP assure que les administrateurs cumulards et potentiellement « conflicted » se sont retirés dûment des conseils durant lesquels les transactions ont été évoquées.
François Pauly et Luc Frieden se retrouvent ensuite à différents carrefours professionnels. En 2011, dirigée par François Pauly, BIP est poussée à vendre ses parts dans Cargolux, compagnie nationale de fret aérien en déshérence, à Qatar Airways. Le ministre des Finances Luc Frieden s’y est engagé auprès de la famille royale qatarie. L’échange de titres intervient finalement dans des conditions défavorables pour les actionnaires publics (d’Land, 14.12.2012). Au 31 août 2011, François Pauly quitte BIP (où la greffe du catho n’a pas pris chez les libéraux) pour BIL et retrouve quelques semaines plus tard au-dessus de lui des représentants de la famille régnant sur le petit émirat du Golfe (en l’occurrence George Nasra), laquelle s’approprie 90 pour cent de la banque de la route d’Esch pour
730 millions d’euros. Un prix jugé bas. Luc Frieden succède à François Pauly a la présidence de la BIL en mars 2016 quelques mois avant que les 90 pour cent des Qataris de Precision Capital ne soient cédés aux Chinois de Legend Holdings. En 2019, François Pauly succède à Luc Frieden à la présidence du groupe Saint-Paul, encore propriété de l’archevêché dont il est un conseiller économique historique (notamment aux côtés du ministre CSV Jean-Louis Schiltz). La maison d’édition est vendue quelques mois plus tard aux Belges de Mediahuis.
Mediahuis, Cobepa. François Pauly a un pied en Belgique consécutivement aux investissements brassicoles de La Luxembourgeoise. Dans les années 1960, la compagnie d’assurance est devenue l’un des principaux actionnaires de la Brasserie de Clausen, laquelle s’apprêtait à fusionner avec Mousel. En 1969, la brasserie de Luxembourg a absorbé la brasserie d’Esch, anciennement Buchholtz. C’est ce qui a marqué le début des relations de Mousel avec les brasseries Artois (dont le siège est à Louvain). Les fondateurs de la brasserie d’Esch leurs avaient cédé trois quarts des actions de leur brasserie. Après la fusion Clausen Mousel, La Luxembourgeoise avait mis la main sur le quart des titres des Brasseries réunies (dont François Pauly était administrateur), notamment à la faveur d’une reprise de part aux Belges en 1984. Ces accords entre la brasserie d’Artois, qui avec la brasserie Piedboeuf de Jupille (de la famille Van Damme) formera Interbrew, scellent des relations avec les grandes familles de la Belgique brassicole. Mousel-Diekirch passe sous le giron Interbrew (futur AB-Inbev) en 2002. La partie immobilière reste entre les mains luxembourgeoises via M Immobilier. La Luxembourgeoise continue sa financiarisation et acquiert une participation dans le leader mondial de la bière. François Pauly siège toujours chez Cobepa.
Comme le pays, La Luxembourgeoise s’est convertie de l’agriculture à l’immobilier. Les réseaux de François Pauly alimentent. On ne s’en cache pas. En 2020, l’administrateur délégué de la CFLL, Pit Hentgen, commente ainsi (auprès de Paperjam) le développement de son emblématique projet hôtelier à la Villa Baldauff, somptueuse bâtisse adjacente au Pont Adolphe rachetée en 2017 à Edmond de Rotshchild (dont son cousin est vice-président) : « Nous savions que le propriétaire précédent n’avait plus d’affectation pour la villa et qu’il y avait moyen de l’acheter, alors qu’elle n’était pas mise en vente. Parce que nous connaissons bien notre marché et que nous disposons des contacts qu’il faut pour nous intéresser aux objets susceptibles de compléter notre portefeuille ». Les réseaux et l’expérience de François Pauly le conduisent aujourd’hui à la tête d’une banque privée d’envergure. Luc Frieden s’en réjouit pour son ami. « C’est très bien pour lui et très bien pour le Luxembourg ». Pour combien de temps ? Les expériences professionnelles du Luxembourgeois ont souvent été suivies de vente. Chez Ariane ou ailleurs, l’intéressé a déjà daté sa fin de parcours. « Mein Berufsleben jedenfalls endet am 1. Juli 2032. Dann bin ich 68 Jahre alt », avait-il dit (plaisanté ?) au Tageblatt en 2014.