Lorsque les ouragans Helene et Milton ont balayé le sud-est des États-Unis à deux semaines d’écart, le premier tuant au moins 230 personnes, le second seize, causant chacun pour au moins cinquante milliards de dollars de dégâts, il n’a échappé à personne que ces catastrophes étaient susceptibles d’affecter la campagne électorale en cours. Helene a touché terre au nord de la Floride, provoquant ensuite des inondations monstrueuses en Caroline du Nord et en Géorgie, deux « swing states ». Milton a également atteint la Floride, déclenchant des tornades meurtrières dans des régions peu préparées à ce genre de désastre.
Le camp républicain s’étant aligné sans réserve sur les opinions de son candidat Donald
Trump, il balaie la question du climat d’un péremptoire « it’s a hoax ». On pouvait donc légitimement se demander comment il réagirait à ces cataclysmes, quasi-impossibles à expliquer si l’on écarte le réchauffement. Mais les MAGA n’ont que faire de ces subtilités. Alors que des villes étaient sous l’eau et que les secours venaient en aide aux populations les plus touchées, ils ont commencé à propager diverses hypothèses, toutes plus échevelées les unes que les autres, pour expliquer l’origine et l’ampleur des dégâts et accuser leurs ennemis d’empêcher les secours.
Les ouragans ayant davantage touché des zones votant majoritairement républicain, l’une de ces élucubrations consistait à affirmer qu’une conspiration maléfique (démocrate ? juive ? woke ?) s’était employée à manipuler la trajectoire des tempêtes de façon à impacter davantage des comtés conservateurs. Marjorie Taylor Greene, représentante républicaine au fanatisme inégalé, l’a amplifiée sur X, affirmant : « Oui, ils peuvent contrôler la météo. Il est ridicule que quiconque cherche à mentir en disant que c’est impossible », assortissant cette thèse audacieuse d’une carte superposant la trajectoire des zones touchées par Helene et les comtés votant majoritairement pour le Grand Old Party en Floride, en Géorgie et dans les Carolines. Jamais en reste quand il s’agit de thèses conspirationnistes, le blogueur d’extrême-droite Alex Jones a embrayé, assénant que « en définitive, le gouvernement fédéral aurait pu tuer la tempête dans le Golfe du Mexique ».
D’autres thèses ont suggéré que l’agence gouvernementale chargé de porter secours aux sinistrés, la Federal Emergency Management Agency (FEMA), discriminait les zones suivant des critères démographiques, confisquait des propriétés endommagées par les tempêtes, refusait d’engager des volontaires – le tout, évidemment, pour nuire aux régions votant pour les républicains et, sans doute, empêcher ces électeurs de déposer leur bulletin dans l’urne le 5 novembre. Au point de contraindre l’agence à publier une page web dédiée pour démentir une à une ces fausses rumeurs. Rejoignant l’obsession des MAGA pour l’immigration, cause supposée de tous les maux affectant les États-Unis, d’autres racontars colportés à grande échelle ont avancé que l’agence avait dépensé tous ses crédits pour loger des migrants – une parfaite ineptie extrêmement facile à démentir, ce qui n’a pas empêché Donald Trump de la reprendre à son compte.
L’ampleur des dégâts pour lesquels la FEMA a dû intervenir jusqu’ici en 2024 a épuisé ses crédits, mettant en cause l’assistance qu’elle pourrait apporter en cas d’autres ouragans dévastateurs avant la fin de la saison. Mais la raison de ce manque de fonds n’est pas l’aide apportée aux migrants, qui est budgétée à part sous l’autorité de la Chambre des Représentants, à majorité républicaine (et représente trois pour cent de ses allocations totales), mais l’ampleur des divers impacts de la crise climatique que la FEMA a dû traiter en 2024.
Toutes ces rumeurs ont eu pour conséquence des menaces directes envers des agents de la FEMA déployés sur le terrain, récupérant des personnes isolées par les flots ou tâchant de rebrancher le courant. « Nos membres travaillant à la FEMA ont fait l’objet de théories conspirationnistes abjectes et sans fondement propagées par des extrémistes de droite. Ce type de rhétorique n’est pas seulement un affront à notre sens de la décence partagée et des valeurs civiques, mais sape aussi la capacité à fournir assistance à ceux qui en ont le plus besoin », s’est emporté Everett Kelley, président du syndicat de fonctionnaires AGFE. « Les mots ont des conséquences, et le fait que cette rhétorique ait causé des menaces effectives de violence devrait inspirer un moment de réflexion à ceux qui répètent ces mensonges absurdes et dangereux », a-t-il ajouté.
Il est sans doute trop tôt pour affirmer que tel est aussi le cas pour Helene et Milton, mais lorsque l’ouragan Harvey avait inondé de vastes zones de la Louisiane et du Texas en 2017, tuant une centaine de personnes, la majorité des travailleurs déployés pour secourir les régions sinistrées étaient des migrants, dont, selon des estimations, 70 pour cent étaient des sans-papiers. De même, après Michael, qui a ruiné des pans entiers de la Floride en 2018, et Katrina, qui a dévasté La Nouvelle-Orléans en 2005 (1 392 morts, 125 milliards de dollars de dégâts), des ouvriers sans papiers avaient joué un rôle majeur pour aider les habitants affectés.
La post-vérité, alimentée par une haine désinhibée des « autres » et charriée par des réseaux sociaux hors de tout contrôle, instruments privilégiés des tenants du statu quo, entre ainsi en collision frontale avec des désastres qui reflètent directement l’addiction de la civilisation humaine aux énergies fossiles. Lorsque cette collision intervient sur fond d’élections fatidiques, elle cristallise, en une parfaite allégorie, l’impasse dans laquelle celle-ci s’est engagée.