chroniques de l’urgence

Un candidat commissaire à contre-emploi

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2024

Lorsque Frans Timmermans avait annoncé l’an dernier renoncer à son mandat de commissaire européen chargé de l’action climatique pour mener une coalition entre socialistes et verts lors de la campagne des législatives aux Pays-Bas, il avait été remplacé par son compatriote Wopke Hoekstra. La présidente de la Commission a annoncé cet été qu’elle souhaitait prolonger le mandat de celui-ci pour cinq ans, en ajoutant à ses responsabilités la politique fiscale. Alors que le Parlement européen se prépare à auditionner les candidats commissaires, le profil de Hoekstra fait grincer des dents.

Ce n’est pas que les collègues de Hoekstra soient des activistes intransigeants. Mais le fait que le premier ministre néerlandais, Dick Schoof, ait choisi de le renommer (alors que son parti, le CDA, affilié au PPE, n’appartient pas au gouvernement) montre bien à quel point celui qui fut ministre des finances puis chef de la diplomatie sous la direction de Mark Rutte est considéré comme compatible avec l’actuel attelage au pouvoir à La Haye, fortement teinté de climato-scepticisme.

Lors de la COP28 à Dubaï, la présidence en était assurée par le patron d’Adnoc, la compagnie pétrolière d’Abu Dhabi, ce qui avait suscité défiance et railleries. Il n’était plus nécessaire de scruter les listes de participants aux conférences annuelles du traité des Nations Unies sur le climat pour exposer l’influence des lobbies des énergies fossiles sur celles-ci, puisqu’un patron de choc, arc-bouté sur la nécessité de poursuivre l’extraction d’hydrocarbures, en dirigeait les débats. Mais en se préparant à confier pour cinq ans les choix européens en matière de climat à un ancien employé de Shell et de McKinsey, l’UE ne fait guère mieux.

La carrière de Hoekstra semble en effet le préparer davantage à un poste de CEO – pourquoi pas de Royal Dutch Shell – qu’à la tâche herculéenne d’infléchir les politiques climatiques européennes pour les rendre compatibles avec l’objectif de contenir le réchauffement de notre planète. Né en 1975, juriste, il a occupé des rôles commerciaux dans la major jusqu’en 2006, avant de rejoindre, pour dix ans, McKinsey, une firme de conseil qui n’est pas particulièrement connue pour son engagement environnemental. Élu sénateur en 2011, il allait devenir le leader du CDA puis ministre. Les positions qu’il a assumées comme ministre des Finances dénotent un attachement sans faille à la doctrine libérale et une opposition farouche à tout relâchement de la discipline budgétaire.

Lors de son audition il y a un an au Parlement européen, Hoekstra avait été éreinté par des députés de l’aile gauche. Son compatriote Bas Eickhout, des Verts, avait mis en doute sa crédibilité : « à voir votre CV jusqu’ici, vous n’avez pas vraiment été un champion climatique – et c’est un euphémisme ». Manon Aubry, membre française du groupe de gauche au PE, dénonçant un « conflit d’intérêt », avait estimé qu’il « n’y avait pas de quoi être fier ».

Hoekstra avait pourtant tenté de donner des gages. Il avait ainsi qualifié de « vraiment anti-éthique » que les grands groupes pétroliers aient connu depuis longtemps leur rôle dans le réchauffement et tout en ignorant les faits scientifiques. Il avait indiqué vouloir explorer la possibilité d’instituer une taxe sur le kérosène et s’était dit favorable à un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 90 pour cent d’ici 2040.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Même s’il n’est pas responsable le seul de la politique climatique menée par la Commission, son bilan sur les douze derniers mois n’est pas reluisant. Le quotidien économique néerlandais NRC a estimé qu’il avait été « relativement invisible » durant son mandat. Il s’est surtout inquiété de voir les industriels chinois inonder les marchés européens de produits liés à la transition énergétique tels que panneaux photovoltaïques ou véhicules électriques, recommandant que l’UE s’en protège. Si une telle prise de position peut à la rigueur sembler défendable de la part d’un commissaire chargé de politique industrielle, on est en droit de se demander comment la justifier de sa part.

Madame von der Leyen a proposé d’ajoouter le portefeuille de la politique fiscale aux responsabilités de Wopke Hoekstra, ce qui ne fait pas non plus l’unanimité. Il ne s’agit pas de ses remarques sur les produits chinois, mais d’une casserole qu’il traîne depuis 2009. Les « Pandora Papers » avaient alors révélé qu’il détenait des actions dans une compagnie offshore basée aux Îles Vierges Britanniques, actionnaire d’une entreprise de safaris de luxe. Par la suite, Hoekstra avait indiqué s’être défait de cette participation une semaine avant d’être nommé ministre des Finances. Sans doute un péché véniel par rapport aux mensonges éhontés d’un Jérôme Cahuzac, mais néanmoins une tache qui a de quoi alimenter le scepticisme sur son aptitude à s’acquitter avec la rigueur qui s’impose de la lutte contre l’évasion fiscale. La perspective de le voir reconduit et son portefeuille étendu n’a pas de quoi rassurer ceux qui s’inquiètent de la dérive droitière de la Commission, de moins en moins zélée sur les questions climatiques.

Jean Lasar
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