Tzeedee

Putting Minett on the map

d'Lëtzebuerger Land du 15.04.2022

L’odds ratio, ou risque relatif rapproché, est une mesure statistique, souvent utilisée en épidémiologie, exprimant le degré de dépendance entre des variables aléatoires qualitatives. C’est également le nom, plutôt original vous en conviendrez, d’un nouveau venu sur la scène rock grand-ducale, un groupe de vétérans actifs jadis dans La Fa Connected, Metro et Tiger Fernandez, qui vient de sortir son premier EP éponyme. Si vous avez suivi quelque peu la scène musicale luxembourgeoise ces deux dernières décennies, vous savez que les références précitées sont de l’ordre de l’indie rock, tendance sud du pays, et Odds Ratio emboîte naturellement le pas. Puisant de son propre aveu son influence dans la scène post-hardcore américaine, le trio (Alain Gouleven, Simone Ramos et David André) convoque des images d’une ère fleurant bon les petits clubs sombres, les fanzines photocopiés, la bière premier prix en canette (en tout cas pour les groupes non straight edge), les pochettes de 45 tours faites à la main et une certaine virilité assumée.

Qui dit post-hardcore dit Fugazi, groupe mythique de Washington, D.C. dont le chanteur Ian MacKaye fonda le non moins légendaire label Dischord Records il y a plus de trente ans, autour d’une esthétique musicale et d’un courant de pensée devenus intemporels. Aucun groupe du genre ne peut éviter la comparaison, et on retrouve des éléments distinctifs de ce son (au spectre plus large qu’on ne pourrait le penser de prime abord) dans les compositions d’Odds Ratio, notamment les lignes de basse très rondes, presque dub par moments, et les guitares, aussi incisives qu’omniprésentes, doublées voire triplées.

Mais l’esthétique d’Odds Ratio ne s’arrête pas au post-hardcore. Le disque possède également une certaine immédiateté, se manifestant par un sens de la mélodie évident (notamment sur Faster, morceau d’ouverture évoquant Sonic Youth période Daydream Nation, ou l’über-catchy My Boy, à la basse bondissante et aux guitares power pop très directes). D’ailleurs, si la sonorité générale reste punk, l’énergie tend par moments vers un côté pop typique de la scène West Coast (la bio du groupe cite Hot Snakes, et il est vrai que les allusions au groupe de San Diego sont fondées, notamment le son tranchant des guitares), et lorgne par d’autres moments sur des structures beaucoup plus sombres et intenses assimilables au post-punk (surtout sur le très réussi Berlin, incontestablement le morceau le plus original, clôturant le disque). Le chant de Simone Ramos est un autre aspect convaincant tout au long de ces cinq titres, avec un bel équilibre entre puissance et sensibilité, et on ne peut s’empêcher d’entendre des bribes de Cedric Bixler-Zavala (At The Drive-In) dans la voix.

Cet EP est cohérent, compact, tendu, bien produit, les guitares sont clean, peut-être même un poil trop par comparaison aux influences DIY précitées. Les mélodies rentrent facilement en tête dès les premières écoutes, les constructions sont claires, carrées, portées par une section rythmique costaude. Les structures des morceaux sont parfois un peu simplistes, avec un pattern fait d’alternances couplets calmes / refrains enlevés qu’on retrouve quelques fois, une recette qui fonctionne plus ou moins bien selon les titres. Si le tempo plus ralenti de You Give Me Fever semble moins immédiat dans un premier temps, il débouche sur un refrain encore une fois assuré et démonstratif fleurant bon le punk en short au bord de l’océan Pacifique.

Bref, peu ou prou certains détails certainement subjectifs (on est moins convaincu par le lancinant Sweetheart, en tout cas dans une sélection de cinq titres), c’est un disque réussi et prometteur. Mais quid de ce qu’on n’entend pas, des expérimentations ou originalités absentes ? À l’ère des crossovers, des mélanges en tous genres, des collaborations, quelle est la valeur ajoutée d’un disque incontestablement très bien fait, mais relativement rivé quelque part dans l’histoire? La question devient dès lors plus philosophique que musicale : rester dans les codes établis ou créer sa propre voie ? Sur ce premier EP, Odds Ratio démontre qu’il connaît, respecte et reste relativement fidèle à un courant musical codifié et estimé. Y a-t-il dans cette matière de l’espace pour un petit twist, peut-être dans les morceaux à venir, ou en live ? On devrait à n’en point douter retrouver le combo sur les scènes locales dans un futur proche afin de vérifier, avec plaisir, une bière à la main.

Sébastien Cuvelier
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