La location de voitures sur le bon chemin

Enjeu majeur de la mobilité

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2011

Après avoir connu, comme beaucoup d’autres secteurs, une année noire en 2009, la location de voiture a bien rebondi en 2010 et ses perspectives de développement sont excellentes.

Traditionnellement, le marché de la location se partage entre la location courte durée, d’une journée à plusieurs semaines, et la location longue durée (LLD), pour un an et plus.

La LLD, bien que de plus en plus prisée par les particuliers, concerne surtout les entreprises, auxquelles elle offre une solution intéressante pour la gestion de leurs flottes de véhicules, voitures particulières, utilitaires ou camions. Logiquement elle représente, en valeur, un peu plus de la moitié du chiffre d’affaires total du secteur (60 p.c. environ).

La location de courte durée (LCD) est le segment de marché le plus prometteur, surtout si l’on considère le retard de l’Europe par rapport à l’Amérique du nord. Le marché européen, évalué à treize milliards d’euros, devrait croître de cinq pour cent en 2011 : l’Allemagne y occupe la première place (36 p.c.) devant la France (20 p.c.) et le Royaume-Uni (17 p.c.). Il représente 50 000 emplois directs.

Son développement s’accompagne de profondes modifications structurelles et bénéficie de l’apparition de nouvelles formules, comme l’auto-partage, une location de très courte durée (de moins d’une heure à quelques heures).

La location de courte durée se décompose elle-même en « location de trajet » et « location de proximité ». La location de trajet est complémentaire de voyages en train ou en avion. Représentant actuellement 30 pour cent du marché, et dominée par les grands acteurs du secteur, elle est surtout le fait d’hommes d’affaires : les dépenses sont donc réglées directement ou indirectement par des sociétés.

Elle est désormais parvenue à maturité : dès avant 2008, le chiffre d’affaires croîssait moins vite que l’ensemble du marché et sa rentabilité est obérée par l’importance des frais d’infrastructure (les emplacements dans les gares et les aéroports sont coûteux) et le poids des contraintes liées aux heures d’ouverture. La crise économique a mis en évidence la sensibilité de ce segment à la conjoncture, les entreprises ayant drastiquement réduit les dépenses des déplacements professionnels.

La « location de proximité » présente une physionomie complètement différente. 70 pour cent des locations s’y font sans déplacement préalable. Elles sont surtout réalisées par des particuliers pour des motifs de déplacements personnels (loisirs, vacances ou déménagements). Elle implique que les agences soient disséminées sur le territoire et le prix est un facteur-clé de succès : 40 pour cent des contrats portent sur les petits modèles. La place des grands loueurs mondiaux est ici plus limitée ; le marché est dominé soit par des enseignes nationales (ADA ou Ucar en France) ou internationales exerçant sous franchise (Budget, Alamo), soit par des opérateurs locaux indépendants comptant souvent moins de dix salariés.

Le potentiel de la location courte durée est considérable. Les professionnels pensent que le marché européen est appelé à rattraper celui des États-Unis et du Canada, terre d’élection de la location de voiture, même si tout n’est pas transposable. Les gisements à exploiter ne manquent pas.

Tout d’abord le nombre de locataires est encore très faible par rapport à la population totale : en France, selon une étude de l’institut Xerfi parue en novembre 2010, cette proportion n’était que de 6,4 pour cent en 2009, un chiffre inférieur à celui atteint en 2000 (7,1 p.c.). D’autre part, une large majorité d’entre eux (69 p.c.) n’effectuent qu’une seule location par an ! Les « gros locataires », ceux qui louent au moins quatre fois par an, ne représentent que neuf pour cent du marché.

La location courte durée reste aussi un phénomène masculin (près de 60 pour cent des contrats sont souscrits par des hommes) et très marqué socialement. En France, les cadres supérieurs représentent 28 pour cent des locations (c’est 3,4 fois plus que leur poids dans la population) alors que les ouvriers n’en pèsent que 9,2 pour cent (ils forment pourtant 14,3 pour cent de la population). Les inactifs sont également très sous-représentés (19,3 p.c. des contrats contre 43,5 p.c. du total).

L’évolution récente est encourageante : selon la même étude, le renouvellement de la clientèle est bien amorcé. En 2009, 22 pour cent des clients ont loué pour la première fois et les femmes ont représenté 60 pour cent des nouveaux locataires. En termes d’âge, on note une progression « aux deux bouts de l’omelette » : les moins de 35 ans représentent aujourd’hui 27 pour cent des contrats, exactement la même proportion que les seniors (55 ans et plus). Enfin les professions intermédiaires sont de plus en plus portées sur la LCD : 21 pour cent des locations, contre douze pour cent de la population.

Ce changement structurel, très progressif, est certainement la conséquence des efforts commerciaux faits par les loueurs de voitures depuis une dizaine d’années : extension des réseaux, tarifs plus abordables, lar-ge choix de véhicules, variété des formules proposées (pour les va­cances, les déménagements, les étudiants...). La concurrence n’est naturellement pas étrangère à cette nouvelle orientation des politiques commerciales.

Mais il est aussi lié à une profonde mutation sociologique, à savoir un moindre attachement à la possession d’une voiture. Celle-ci est de moins en moins un signe de statut social et de plus en plus un bien assurant un service de mobilité. Le coût d’entretien d’une voiture ne cesse de croître, notamment le carburant et l’assurance, tandis que les conditions de circulation (embouteillages, limitations de vitesse) et de stationnement sont dissuasives.

Cette tendance est depuis longtemps perceptible dans les grandes villes où ces contraintes sont particulièrement lourdes et les transports en commun très développés : ainsi à Paris seulement 58 pour cent des ménages possèdent une voiture contre 83 pour cent en moyenne en France.

Ce phénomène, sans doute irréversible, est de nature à augmenter le recours à la location de voiture « classique », mais aussi à développer des concepts nouveaux comme l’auto-partage, qui existe dans plus de 600 villes dans le monde. Selon le Larousse 2011, il s’agit d’un « système de location de voitures en milieu urbain, qui permet d’utiliser les véhicules en libre-service et de façon ponctuelle ». En pratique il recouvre plusieurs formules, celle d’un service de location de très courte durée de voitures à des clients inscrits comme abonnés ayant la préférence des loueurs.

À Paris par exemple, Avis a créé en partenariat avec le gestionnaire de parcs de stationnement Vinci la formule Okigo : 33 stations dans la ville intra-muros, proposant des Smart, Fiat 500 ou Citroën C3 Picasso. Hertz propose pour quatre euros de l’heure 30 voitures dans quinze parkings parisiens du groupe Saemes, cherchant à étendre à l’Europe (Londres, Madrid, Berlin) son service « Connect by Hertz » largement répandu aux États-Unis et au Canada (54 stations presque toutes situées dans des universités).

Comme l’auto-partage est une formule de location très limitée dans le temps, portant sur de courts déplacements, et avec des véhicules de petite taille, elle est un terrain privilégié pour la voiture électrique.

La plupart des grands loueurs ont prévu de mettre à leur catalogue, dès 2011, des véhicules électriques. Cela correspond à une demande de la clientèle, avide de les tester, mais aussi au souci des constructeurs de faire de la location une vitrine pour des voitures dont les perspectives commerciales sont douteuses (l’institut Xerfi a publié en décembre dernier une étude très pessimiste à ce sujet). Des accords ont été signés en ce sens par tous les grands acteurs du marché de la location avec les constructeurs. Mais compte tenu des contraintes liées aux véhicules électriques « purs » (taille et autonomie) on ne doit pas s’attendre dans la location classique à un succès autre que celui lié à la curiosité.

En revanche l’auto-partage ouvre des perspectives intéressantes, d’où l’intérêt suscité par le projet Autolib’ dans la région parisienne, sur le modèle du service Vélib’ disponible depuis 2007. Le dispositif prévu est ambitieux : à partir de septembre prochain, 250 voitures seront disponibles et 1 000 stations (de surface ou en parking souterrain) seront progressivement construites dans 37 communes de l’agglomération. D’ici 2013 elles proposeront quelque 3 000 voitures électriques en libre-service : c’est le groupe Bolloré, déjà concepteur de la Blue Car avec Pininfarina, qui a remporté le contrat, et envisage même pour le remplir de concevoir un véhicule à trois places « spécial Autolib ». L’équilibre sera atteint avec 220 000 abonnés, objectif qui paraît raisonnable compte tenu que dans un sondage de 2009, 61 pour cent des Parisiens se sont déclarés intéressés.

Mais les adversaires du projet ne manquent pas d’arguments, mettant en avant le coût des infrastructures (200 millions d’euros rien que pour l’investissement, hors coût de fonctionnement), des voitures et du probable vandalisme : il n’y aura finalement qu’un véhicule pour 75 abonnés, alors que les systèmes d’auto-partage fonctionnent en général sur la base d’un pour dix. D’autre part le tarif proposé (abonnement de quinze à 20 euros par mois, plus cinq euros de pour une demi-heure) n’est pas compétitif par rapport aux modes alternatifs de transport, même les taxis. Mais les pouvoirs publics en font un enjeu majeur de la politique de mobilité.

Georges Canto
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