Les entreprises implantées au Luxembourg ont la réputation (justifiée) de mieux payer leurs salariés que partout ailleurs dans l’Union européenne. Pourtant ce n’est pas au Grand-Duché que le coût horaire de la main d’œuvre est le plus élevé en Europe : Il est même inférieur à celui observé en Belgique et à peine supérieur au niveau français et allemand.
C’est ce qui ressort de l’étude annuelle réalisée par Eurostat, l’office statistique européen, dont les résultats ont été dévoilés début avril. Le coût horaire de la main-d’œuvre comprend la rémunération brute du salarié (primes incluses) à laquelle s’ajoutent les cotisations sociales patronales. En 2017, la moyenne s’élevait à 26,8 euros dans l’Union Européenne et à 30,3 euros dans la zone euro, mais elle est peu significative en raison des écarts. Entre le pays où la main d’œuvre est la plus chère (le Danemark avec 42,5 euros de l’heure) et celui où elle est la moins coûteuse (la Bulgarie avec 4,9 euros), l’écart est de un à neuf environ. Si on compare la moyenne (non pondérée) calculée sur les cinq pays les plus chers à celle des moins onéreux, l’écart est nettement plus faible mais on est encore dans un rapport de 1 à 5,3.
Coïncidence du calendrier ou pas, ces chiffres ont été publiés au moment même où était adopté à Bruxelles le compromis final en vue de la révision de la directive sur le travail détaché, qui pourrait du coup être adoptée avant l’été. Ils montrent que les craintes exprimées par certains pays étaient totalement fondées et justifient que la réglementation soit renforcée (même si le transport routier reste en dehors de la révision).
On observe en effet que les cinq pays où la main d’œuvre coûte le plus cher sont exclusivement situés au nord et à l’ouest de l’Europe, le Danemark étant suivi de la Belgique (39,6 euros), du Luxembourg (37,6), de la Suède (36,6) et de la France (36). Ils étaient déjà dans le Top 5 en 2008, avec un ordre un peu différent (le Luxembourg étant alors en cinquième position). Les cinq pays suivants sont aussi des pays situés dans cette partie de l’Europe (Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Finlande, Irlande).
A l’opposé, les dix dernières places sont toutes occupées par des pays de l’ancien « bloc de l’Est », la Roumanie (6,3 euros) et la Bulgarie (4,9) fermant la marche nettement derrière la Lituanie (8) et la Lettonie (8,1). Bien qu’un petit effet de rattrapage puisse être observé on peut difficilement parler de convergence, et il est probable que des écarts importants continueront d’être constatés dans les dix années à venir.
Les comparaisons doivent tout de même être effectuées avec prudence. En effet, dans son étude, Euro-
stat ne s’intéresse qu’aux entreprises privées comptant plus de dix salariés et ne prend pas en compte les salariés de l’agriculture et ceux des administrations. Or ces deux dernières catégories peuvent être importantes dans certains pays, de même que celle des salariés des petites entreprises de l’artisanat, du commerce et des services.
Il n’est pas sûr que l’inclusion de telles données aurait modifié la moyenne luxembourgeoise. En revanche il est certain que cette dernière aurait été majorée si le Grand-Duché avait affiché le même niveau de cotisations patronales que ses voisins, ou que dans l’UE tout entière, où 24 pour cent du coût horaire total leur est imputable ! Or, au Luxembourg elles ne pèsent que 11,9 pour cent du total, soit le pourcentage le plus faible d’Europe après Malte (6,7 pour cent) et juste devant l’Irlande (13,7 pour cent).
Il est surtout très loin du niveau atteint en Belgique (27,1 pour cent) et en France (32,8 pour cent, record d’Europe). Dans ces deux pays, le financement de la protection sociale repose principalement sur les cotisations sur les salaires et non sur l’impôt. Ils ne sont pas les seuls à avoir fait ce choix : douze pays sur les 28 de l’Union connaissent un pourcentage de cotisations patronales supérieur ou égal à la moyenne de 24 pour cent, avec dans deux cas (Suède et France) un taux supérieur à trente pour cent. Une situation observable aussi bien en Europe de l’ouest et du nord que dans les pays de l’est et du sud, avec sept pays (République tchèque, Slovaquie, Lituanie, Estonie, Grèce, Italie et Espagne) appartenant dans ce dernier groupe. Contrairement à une idée reçue, le « dumping social » de l’est et du sud de l’Europe ne serait donc pas imputable à leur faible niveau de cotisations sociales patronales.
Il en résulte que le haut de la hiérarchie des coûts salariaux horaires, hors cotisations patronales (ce qui revient à considérer seulement les rémunérations), est un peu différente : les trois premiers pays restent les mêmes mais cette fois le Luxembourg prend la deuxième place, tandis que la Suède et la France tombent respectivement à la huitième et à la dixième place, remplacées par l’Irlande et les Pays-Bas. En revanche les derniers rangs ne connaissent aucun changement.
L’examen de la situation par secteurs d’activité offre quelques surprises. Dans l’UE dans son ensemble le coût horaire est comparable dans l’industrie (27,4 euros), les services marchands (26,6) et les activités majoritairement non-marchandes comme l’éducation, la santé, l’art et les services sociaux et récréatifs (26,6), la construction étant plus en retrait (23,7). Mais des différences notables existent d’un pays à l’autre pour chaque composante.
Ainsi le Luxembourg n’est que dixième pour le coût horaire dans l’industrie (32,5 euros) et la construction (25,8) où les pays les plus chers sont respectivement la Belgique (44,8 euros) et le Danemark (39,5 euros). Les écarts avec le Grand-Duché sont importants dans les deux cas. Le Luxembourg doit sa troisième place finale dans la hiérarchie européenne à son coût horaire dans les services marchands (40,6 euros, derrière le Danemark et la Belgique) mais aussi dans les services essentiellement non-marchands hors administration publique (39,1 euros, derrière le Danemark).
Selon Etienne Lehmann, économiste à l’université de Paris II, cité par Le Monde, ces chiffres « ne donnent qu’une vue partielle des évolutions salariales et ne disent rien de la compétitivité hors coût, relative à l’innovation et à la qualité ». Ainsi en France, la modération enregistrée au cours des années récentes, qui a permis de diviser par deux entre 2012 et 2017 l’écart de coût avec l’Allemagne, ne s’est pas traduite par des gains de parts de marché à l’exportation.
Par ailleurs, pour parvenir à une vision plus exacte du coût du travail, certains chercheurs et organisations professionnelles proposent de prendre en compte les avantages non monétaires accordés aux salariés mais aussi les dépenses engagées par l’entreprise pour les employer (charges des locaux et des véhicules, énergie, restauration, transport, assurances, licences informatiques, abonnements divers, etc.).
Evolution sur dix ans
Sur dix ansl’évolution du coût horaire exprimée en pourcentage de variation ne présente guère d’intérêt car certains payspartant de niveaux très baspeuvent afficher des progressions spectaculaires. Un raisonnement en valeurdonc en euross’avère préférable. De 2008 à 2017le coût horaire a augmenté de 49 euros dans l’ensemble de l’UE et de 52 dans la zone euro. Il a gagné plus de six euros dans cinq paysdont le Luxembourg (66)avec un record pour le Danemark (79). En revancheon remarque que dans d’autres pays réputés « chers » (plus de trente euros par heure en 2017) une certaine modération a prévalu : plus cinq euros en Suède et aux Pays-Bas48 en France21 en Irlande. En revancheen raison de taux de chômage élevés et de la conduite de politiques d’austéritéil a baissé à Chypre et en Grèceet sa hausse n’a pas dépassé deux euros en Espagneau Portugalen Croatieen Pologne et en Hongriesoit uniquement des pays de l’est et du sud de l’UE. Dans ces conditions la réduction de l’écart ne pouvait qu’être limitée : entre les cinq premiers et les cinq derniers du classement il est seulement passé de 1à 63 à un écart de 1 à 53 en une décennie. gc