Pour que l’amélioration de la conjoncture économique se traduise par une reprise durable, il faut que l’évolution démographique soit au diapason. Or, dans pratiquement tous les pays développés mais aussi dans de grands pays émergents, la population vieillit, en raison de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse des taux de natalité.
Selon les données de la Banque mondiale, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans a augmenté de moitié au niveau planétaire au cours des trente dernières années, passant de six à neuf pour cent alors qu’elle n’avait augmenté que d’un point de 1960 à 1986. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime qu’elle pourrait atteindre 11,7 pour cent en 2030 et 15,8 pour cent en 2050.
Dans les pays de l’OCDE, réputés être les plus riches de la planète, elle atteint dès aujourd’hui 17 pour cent, soit quasiment le double de la moyenne mondiale. Les pays d’Amérique du nord, avec quinze pour cent de « seniors » sont mieux lotis que l’Union européenne (19 pour cent mais avec des taux nettement supérieurs à vingt pour cent en Europe du sud et du nord), le Japon représentant un véritable cas d’école avec 27 pour cent de gens âgés. Parmi les émergents, la Chine commence à connaître un mouvement de même nature même s’il est encore très atténué (dix pour cent en Chine continentale et seize pour cent à Hong-Kong).
Ce phénomène est très bien connu, en particulier lorsqu’est évoquée la question du financement des systèmes de retraite et de santé. Dans les pays développés, on estime que, d’ici à 2030, on comptera près de cinq personnes âgées de 65 ans et plus pour dix personnes actives, contre 3,5 en 2017.
Cela étant, comme une grande partie des plus de 65 ans sont inactifs, ces chiffres ont tendance à occulter un autre problème tout aussi préoccupant, à savoir le vieillissement de la population active.
C’est un des sujets centraux du dernier rapport de l’OIT consacré à l’emploi et aux questions sociales dans le monde en 2018. Publié le 22 janvier, le document s’alarme de l’impact possible du vieillissement de la population active sur la productivité et donc sur la pérennité de la croissance économique.
En 2025, dans plusieurs pays d’Europe du sud comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce, la proportion des 50-64 ans dans la population active dépassera quarante pour cent, un phénomène également connu en Allemagne. D’ici à 2030, à l’exception de sa partie orientale, le Vieux Continent verra l’âge moyen de ses actifs passer de 41,4 ans à 42,6 ans. Au niveau mondial, cet âge moyen, légèrement inférieur à quarante ans en 2017, sera d’un peu plus de 41 ans en 2030, mais avec une plus forte hausse en Asie de l’est-Pacifique où il passera de 40,3 à 42,3 ans. Une hausse apparemment modeste mais qui signe une évolution très nette et irréversible.
Pour le directeur par intérim du département de la recherche de l’OIT, le Coréen Sangheon Lee, « une main-d’œuvre de plus en plus âgée est susceptible d’avoir un impact direct sur les marchés du travail. Le vieillissement pourrait affaiblir la productivité et ralentir les ajustements du marché du travail suite aux chocs économiques ». Les auteurs estiment en effet que des travailleurs plus âgés auront des difficultés à suivre le rythme de l’innovation et à s’adapter aux changements structurels sur le marché du travail.
Dans un article académique publié en 2015 par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’économiste Sandrine Levasseur a compilé les études de toute nature établissant un lien entre le vieillissement de la population active et la productivité.
Les neurosciences et les tests psychométriques montrent ainsi que capacités cognitives de l’individu diminuent avec l’âge après avoir atteint un maximum aux alentours de trente ans. Pour la classe des 55-65 ans, la baisse de capacités la plus prononcée concerne la dextérité manuelle, suivie des aptitudes numériques et de la perception visuelle. La vitesse de résolution des tâches nouvelles se réduit aussi fortement.
Sous l’angle économique, une étude américaine de 2014, portant sur la période 1980-2010, a établi qu’une augmentation de dix pour cent de la population âgée de plus de soixante ans se traduisait par une diminution de 5,7 pour cent du PIB par tête. La moitié de cette baisse était imputable à la réduction de la productivité du travail (mesurée comme le PIB par travailleur ou par heures travaillées).
L’expérience au travail, qui constituait auparavant un atout pour le travailleur vieillissant, ne suffit plus aujourd’hui à compenser la diminution de « la capacité à absorber de nouvelles technologies L’Organisation internationale du travail estime que des travailleurs plus âgés auront des difficultés à suivre le rythme de l’innovation », surtout dans la mesure où cette adaptation aux changements sollicite des capacités cognitives qui diminuent avec l’âge. Le travailleur « vieillissant » est donc perçu comme potentiellement moins productif qu’un travailleur jeune qui, en outre, est davantage éduqué.
D’autre part, les travailleurs âgés sont moins mobiles : la probabilité qu’ils changent de profession ou de secteur d’activité est faible, d’autant que les employeurs sont plus réticents à engager des coûts de formation en leur faveur. Et si les travailleurs âgés sont généralement moins susceptibles d’être au chômage que les jeunes, il leur faut, quand ils le sont, plus de temps pour retrouver un travail.
Au final, faute de pouvoir évoluer dans leur poste ou de trouver un nouvel emploi convenable, ils peuvent être tentés de quitter prématurément le marché du travail, accentuant la pression sur le financement des retraites.
Toutefois, les études montrent aussi que certaines capacités cognitives ne se modifient pas avec l’âge (celles qui font essentiellement référence aux aptitudes verbales) voire s’améliorent tout au long de la vie active (celles qui sont liées à la connaissance accumulée), et que leur déclin, quand il intervient, est d’autant moins prononcé que le travailleur exerce une activité à fort contenu intellectuel et que son niveau initial de formation est élevé.
D’autre part, il peut être freiné pour tous les individus par un « entraînement intellectuel » suffisant pour se maintenir à niveau professionnellement : en effet des travaux déjà anciens ont montré que même si l’individu perd chaque année 1 à 1,5 pour cent de ses capacités cognitives entre 25 et 50 ans, il travaille de toute façon rarement à sa capacité maximale. Même avec des modes de production qui incorporent une forte dimension technologique exigeant de plus en plus de « capacités cognitives hautes », il est vraisemblable que les capacités restent suffisantes à un âge avancé pour travailler de manière efficace et productive.
À long terme la conclusion est assez claire : il faut élever le niveau de formation initiale des salariés, car il les protège en quelque sorte contre la diminution précoce de leurs capacités cognitives avec l’âge. Cette tendance est déjà largement entamée dans les pays développés.
À un horizon plus rapproché, il faut développer la formation professionnelle continue des salariés âgés pour garantir leur employabilité (le taux d’emploi des personnes de plus de cinquante ans est anormalement faible dans de nombreux pays européens) et leur mobilité professionnelle, dans un contexte de changements structurels rapides sur le marché du travail.
Constatant les défaillances dans ce domaine, l’OIT préconise à partir d’un certain âge et en priorité pour les salariés dont le niveau de formation initiale est moyen ou modeste, des programmes ciblés pour l’actualisation et l’amélioration des compétences des travailleur âgés, « afin de réduire le risque d’éloignement du marché du travail et de retraite anticipée ». La capacité ainsi donnée aux salariés les plus âgés de suivre le rythme de l’innovation et les transformations du marché l’emploi doit leur permettre de maintenir leur productivité à un niveau satisfaisant.