Leçons tirées d’un rapport des Nations unies sur les personnes exclues de l’emploi, de l’enseignement et de la formation

Radiographie des NEET

Des jeunes, rue Chimay (2024)
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 29.08.2025

Les difficultés persistantes des jeunes à s’insérer sur le marché du travail sont une source permanente d’inquiétude pour les dirigeants de nombreux pays européens. En mai 2025, près de trois millions de 18-25 ans étaient sans emploi dans l’UE, soit un taux de chômage moyen de 14,8 pour cent, de neuf points supérieur à celui de l’ensemble de la population active. La moyenne se révèle peu significative compte tenu des fortes disparités entre les différents pays de l’UE : il existait ainsi un écart d’environ un à quatre entre l’Allemagne (6,9 pour cent) et l’Espagne (26,5 pour cent). Cinq pays, dont le Luxembourg (21,4 pour cent) affichaient un taux supérieur à vingt pour cent.

Mais le mode de calcul donne notoirement une image très dégradée de la réalité*. Pour mesurer le phénomène au niveau mondial, l’Organisation internationale du travail (OIT), qui dépend des Nations unies, préfère un autre indicateur, le nombre de jeunes sans emploi qui ne sont pas non plus en éducation ou en formation, plus connu sous son acronyme anglais de NEET (pour not in employment, education or training). Les chiffres publiés le 12 août 2025 dans la dernière édition du rapport biennal de l'OIT intitulé « Tendances mondiales de l’emploi des jeunes », portant sur 110 pays ou territoires (hors Chine) rassemblant plus de la moitié des jeunes vivant sur la planète, montrent que, si dans la plupart des pays, une amélioration de la situation, quoique modeste, a eu lieu, les plus pauvres connaissent une dégradation préoccupante. Qui plus est, l’écart entre les hommes et les femmes n’y diminue pas.

L’OIT considère que, bien que la proportion de NEET ne soit pas « un indicateur parfait de la santé des marchés du travail » de cette population, elle est sans doute plus adaptée à la réalité que le taux de chômage. Tout d'abord, le nombre de NEET mesure mieux l'ampleur du défi que représente l'emploi des jeunes. En effet, cet ensemble comprend tous les jeunes chômeurs qui ne suivent pas d'études, mais aussi un groupe beaucoup plus large de jeunes sans emploi, ne suivant aucune formation officielle, et qui, pour une raison ou une autre, ne recherchent pas activement un emploi. Ils sont donc plus nombreux (trois fois plus, dans certains pays) que les jeunes chômeurs. Parmi eux on compte beaucoup de jeunes femmes dont la plupart aimeraient travailler, mais qui ne recherchent pas activement un emploi, soit en raison du manque d'offres d'emploi (travailleurs découragés), soit parce que d'autres obstacles tels que des responsabilités familiales, les empêchent de participer au marché du travail.

Surtout, pour l’OIT le statut de NEET est « un indicateur de vulnérabilité plus fiable que le chômage, car, dans les contextes où l'accès à la protection sociale est limité ou inexistant, les jeunes ne peuvent se permettre d'être au chômage pendant une période prolongée tout en recherchant des opportunités d'emploi raisonnables que si leur famille dispose des ressources nécessaires pour les soutenir ». Les jeunes les plus pauvres et les plus vulnérables n'ont pas ce luxe. Même dans les pays à revenu élevé, les jeunes NEET sont manifestement plus exposés au risque d'exclusion économique et sociale à long terme, particulièrement ceux issus de l’immigration. Finalement, le taux de NEET s’avère le meilleur moyen de mesurer au niveau international les progrès accomplis en faveur de l'intégration effective des jeunes dans le monde du travail.

Sa réduction figure dans les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés en 2015 par les États membres des Nations unies, dans le cadre de « l'Agenda 2030 ». L’ODD n°8 s’intitule « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous » et comprend dix cibles à atteindre à des horizons variés. Parmi elles, la sixième concerne l’accès des jeunes à l’emploi et la formation : elle prévoyait à l’origine « d’ici à 2020, de réduire considérablement la proportion de jeunes scolarisés mais sans emploi ni formation ». Aucun objectif chiffré n’était fixé, mais les rapports de l’OIT étaient supposés permettre de vérifier tous les deux ans si cette diminution était bien à l’œuvre. Au niveau mondial, les progrès ont été modestes en vingt ans, avec une proportion moyenne de NEET qui est passée de 22,8 pour cent à 20,4 pour cent entre 2005 et 2025, ce qui représente encore quelque 262 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans.

Ce résultat est lié au fait que, tandis que la très grande majorité des pays ont connu une amélioration de leur situation, ceux à faible revenu l’ont vue se dégrader. Le taux de NEET y a augmenté de près de cinq points, passant de 23,6 pour cent à 28,5 pour cent. L’Afrique sub-saharienne est particulièrement touchée : sur les neuf pays où le taux de NEET dépasse les quarante pour cent, huit se situent dans cette zone. L’OIT pointe aussi les mauvais résultats des pays arabes, où le taux moyen est de plus de 33 pour cent. Les pays à revenu élevé n’ont connu qu’une faible amélioration, sachant qu’ils partaient d’un niveau plutôt bas (12,9 pour cent). En vingt ans, ils n’ont pas réussi à passer sous la barre moyenne des dix pour cent (10,4 pour cent en 2025).

Parmi eux on trouve les pays de l’UE, qui affichent des résultats très disparates. Onze d’entre eux affichent un taux inférieur à huit pour cent (le Luxembourg est légèrement au-dessus avec 8,2), le record étant détenu par les Pays-Bas avec 3,7 pour cent. En revanche, quatre autres (Autriche, Italie, Lituanie, Roumanie) se situent entre 12,7 et 16,5 pour cent. Mêmes écarts dans l’Europe non-UE avec des proportions comprises entre 5,7 et 6,9 pour cent en Islande, Norvège et Suisse tandis que le Royaume-Uni fait figure de mauvais élève avec un taux de 14,3 pour cent.

L’Europe se distingue surtout par la situation plus favorable des femmes. Au niveau mondial, elle n’est pas brillante, surtout dans les pays pauvres, où la proportion de NEET est passée de 32 à 37 pour cent en vingt ans. Dans treize pays elle est égale ou supérieure à cinquante pour cent, avec un triste record de 75,9 pour cent en Afghanistan. L'écart entre hommes et femmes, au détriment de ces dernières, est énorme (presque 17 points) et n’a pas diminué. Il est de 45 points en Afghanistan, de 39 points au Bangladesh, de 32 points au Guatemala et de 25 points au Népal et au Honduras, des pays de cultures très différentes.

Dans les pays riches, le taux de NEET a diminué, surtout chez les filles, mais reste supérieur à dix pour cent, avec un écart toujours légèrement défavorable au sexe féminin (10,1 pour cent chez les hommes, 10,7 pour cent chez les femmes). Mais en Europe, on compte de nombreux pays où la proportion de NEET est inférieure chez les femmes : c’est le cas de quatre pays hors UE (Islande, Norvège, Royaume-Uni, Suisse) et de vingt pays de l’UE sur 27 : la France et la Belgique font partie du lot mais pas l’Allemagne, les Pays-Bas ni le Luxembourg, où l’écart est de 4,5 points entre hommes et femmes (six pour cent contre 10,5) soit le plus élevé d’Europe après la Roumanie et la Tchéquie.

Dans tous les pays étudiés, les conclusions de l’OIT sont riches d’enseignements. Dans les pays développés, on peut en citer au moins deux. Il existe dans plusieurs d’entre eux une importante marge de progression pour diminuer le nombre de NEET, qui est encore trop souvent supérieur à 10 pour cent, comme aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et dans une bonne dizaine de pays de l’UE notamment les plus peuplés que sont la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. Selon l’OIT, raisonner en termes de NEET permet de dépasser la question habituelle de la création d’emplois en montrant qu’« il est également important de s'attaquer aux défis spécifiques auxquels les jeunes sont confrontés », comme la précarité de la condition des jeunes femmes actives. Dans l’UE, le taux d’activité des femmes est globalement élevé, mais celles âgées de 18 à 24 ans travaillent trois fois plus souvent à temps partiel que les hommes (26 pour cent contre huit pour cent). En Allemagne les deux-tiers des jeunes mamans sont à temps partiel.

Par ailleurs, l’augmentation du nombre et de la proportion de NEET dans les pays à faible revenu pousse une partie de leurs habitants à tenter leur chance sous d’autres cieux. De leur côté, les pays développés, notamment en Europe, confrontés à un déclin démographique qui risque de brider leur croissance, se sont résignés à augmenter leurs soldes migratoires en se ralliant au concept « d’immigration choisie » consistant à laisser entrer en priorité des migrants qualifiés. Or les chiffres (notamment ceux de l’OIT) sont têtus : les candidats à l’émigration dans les pays pauvres, surtout en Afrique subsaharienne, sont loin de correspondre à ce profil, avec un grand nombre de personnes ne détenant aucun diplôme. Ce qui risque finalement d’augmenter dans les pays d’accueil le nombre de NEET, au sein desquels les jeunes immigrés sont déjà sur-représentés. Dans l’UE, être issu de l'immigration accroît de 50 à 70 pour cent selon les pays le risque de devenir NEET, par rapport aux natifs.

*il rapporte le nombre de jeunes de 15-24 ans
à la recherche d’un emploi au nombre total de ceux qui sont disponibles pour occuper un emploi. Or dans cette tranche d’âge le dénominateur est très faible, car la grande majorité des jeunes (près de 90 pour cent dans l’UE) sont encore dans le système éducatif.

Georges Canto
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