Chronique Internet

Mattereum, l’ultime interface blockchain

d'Lëtzebuerger Land vom 11.01.2019

Vinay Gupta, qui s’est taillé une solide réputation en participant au développement d’Ethereum, a dévoilé il y a quelques semaines les grands traits de Mattereum, un projet de boîte à outils grâce auquel il espère arrimer solidement notre univers à celui de la blockchain. Ethereum a révolutionné le monde de la blockchain en ouvrant la possibilité d’y héberger des smart contracts, c’est-à-dire des scripts qui effectuent automatiquement des opérations comparables à des contrats. SI l’idée est séduisante, elle se heurte dans la vie réelle à de sérieux impondérables dont les avocats savent quelque chose. Pour chaque opération logique contenue dans un contrat, on trouvera typiquement neuf exceptions que les juristes décrivent en détail pour prévoir les mille et un aléas pouvant impacter son application. L’ambition de Mattereum est de créer des adaptateurs universels, flexibles et fiables qui permettent d’intégrer et de traiter ces imprévus dans les scripts de façon à ce qu’ils fonctionnent bel et bien de manière automatique.

Pour ce faire, Gupta s’est allié à Christopher Wray, un juriste technophile : ensemble ils ont examiné ces différentes classes d’impondérables et cherché à les modéliser de façon à pouvoir faire face à tous les cas de figure. Mais il ne s’agit pas seulement pour eux de faire basculer l’économie existante vers la blockchain : Gupta espère que la transparence et la fiabilité de la blockchain pourront être mises au service des enjeux liées aux ressources naturelles, en particulier au carbone, et aux droits de l’homme, ce qu’il appelle « un monde meilleur ».

Pour y parvenir, explique-t-il, il faudra notamment identifier de manière univoque chaque actif, en prenant en compte la problématique des faux et plus généralement celle de l’imprécision qui règne en maître dans l’économie. Dans des domaines tels que le négoce international, qui repose encore beaucoup aujourd’hui sur des documents papier, un réseau de blockchains bénéficiant des outils de type « passeport d’actif » qu’entend lancer Mattereum permettrait en effet de lutter contre les escroqueries et la corruption, tout en réduisant les coûts des opérations. Mais l’ambition de Mattereum est aussi de proposer des adaptateurs pour les domaines de la propriété intellectuelle, de la location, de l’assurance, des garanties (collatéraux) etc. Une autre classe d’intervenants que Mattereum entend instituer est celle des « custodians », des consignataires ayant par nature une identité clairement établie dans le monde physique et une autre, tout aussi nettement définie, sur la blockchain. La prochaine étape sera ensuite de dupliquer dans le monde des smart contracts les multiples clauses d’assurance, d’indemnisation, de réglementation, de résolution de conflits etc. qui forment aujourd’hui les contrats classiques de façon à ce qu’elles fonctionnent de manière robuste sur la blockchain : une forme avancée de droit que Gupta baptise « smart property ». Il cite ainsi les quelque cinquante droits, y compris d’usage, que l’on peut attacher à un appartement, possession, l’assurance, maintenance, vente, location, nettoyage etc., en mettant en perspective un environnement dans lequel on pourrait gérer chacun de ces droits dans le cadre de smarts contracts.

Pour fonctionner, un système tel que Mattereum suppose un degré élevé de professionnalisme de la part de tous les consignataires – très loin de celui que l’on rencontre aujourd’hui dans le monde réel. Comment y parvenir ? Vinay Gupta compte sur un système de certification, de formation et de technologie, pour éviter que les consignataires ne se fassent voler par d’autres intervenants qui corrompraient ensuite les instances de résolution des conflits.

Mattereum n’est pas la première plateforme qui se propose de mettre d’accord les mondes de la blockchain et l’économie classique. Mais ce projet semble être le plus abouti en ce qu’il propose une architecture universelle susceptible d’apporter à la fois des gains notables en termes de coûts, notamment en minimisant le recours à la résolution de conflits, et une protection efficace contre les escroqueries et la corruption.

Jean Lasar
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