Le futur de la santé électronique

Vers une plateforme télématique

d'Lëtzebuerger Land vom 13.01.2011

Dans le monde entier, la prestation de soins de santé est confrontée à plusieurs défis : le vieillissement de la population, l’augmentation de maladies chroniques, une demande croissante de soins de santé de qualité et la difficulté de contrôler le coût des soins de santé.

À terme, ces différentes tendances risquent de surcharger les systèmes de soins de santé en créant de lourdes pressions financières pour les différents États entraînant, par con-séquent, des répercussions négatives sur les individus. Comme d’autres pays, le Luxembourg n’échappe pas à ces évolutions et doit chercher des solutions durables. C’est dans un tel contexte que la santé électronique (eSanté) constitue une piste visant à l’amélioration du système de santé. Le terme eSanté désigne l’utilisation d’outils et de solutions basés sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’ob­jectif est d’exploiter les données médicales et de santé par un meilleur partage et un échange d’informations entre les acteurs du secteur.

Pour y parvenir, il est nécessaire de disposer d’une plateforme téléma­tique. Cet outil n’existe pas encore au Luxembourg contrairement à certains pays et régions d’Europe qui l’ont mis en place. Le grand-duché n’est toutefois pas resté inactif. Suite à la recommandation de 2004 de la Commission européenne, le Luxem­bourg s’est doté, à l’instar de nombreux autres pays, d’un plan d’action eSanté qui a été adopté au conseil de gouvernement en octobre 2006. Ce plan d’action recouvre un ensemble de premiers projets ultérieurement intégrés dans le programme eSanté à partir de 2008.1

L’actuel gouvernement a reconfirmé en 2009 la nécessité de faire de ce programme une de ses priorités. Pour définir les modalités de mise en application de ce dernier, il convient d’analyser les pratiques et projets mis en place dans d’autres pays européens. Cette analyse confirme que les développements menés sont loin d’être homogènes tant en termes de maturité que de stratégie. Ils restent par ailleurs relativement déconnectés de la taille ou de l’économie du pays concerné. Les appli­cations réussies reposent quant à elles en grande partie sur des éléments propres au contexte de chaque pays. On constate cependant que des points communs partagés par l’ensemble des pays leaders en matière d’eSanté contribuent à la réussite des projets, à savoir :

– un mode de gouvernance de programme adapté au contexte et aux enjeux,

– l’implication des acteurs (et des bénéficiaires) dans la définition des services,

– l’allocation de moyens humains, financiers et structurels adaptés.

Certains pays comme l’Estonie, l’Autriche et les Pays-Bas ou des régions comme la Franche- Comté en France et la Catalogne en Espagne, sont relativement avancés en matière d’eSanté, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, peinent encore à poser les bases d’un véritable programme de ce genre.

La réussite d’un programme eSanté réside dans son adoption par tous les acteurs concernés, surtout les bénéficiaires des soins et prestations. Une attention particulière doit ainsi être portée à la définition de services qui répondent à de véritables demandes afin d’ancrer les nouveaux usages eSanté. Celles-ci émanent des professionnels de santé et des patients et sont liées au développement des services de confiance (identification et authentification forte des acteurs, sécurité des échanges et cryptage des données) et à l’accompagnement du changement sur le terrain (formation, incentives).

Sur la base de ces observations comparatives entre les différents pays et régions ainsi que de travaux préalables, un atelier rassemblant des experts, du secteur de la santé et du domaine social au Luxembourg, a été organisé en mai 2010. Cette rencontre a permis de concerter les principales attentes, la priorité des services à valeur ajoutée afin de proposer une feuille de route adaptée. Il ressort de cette rencontre la nécessité de réaliser des travaux en amont tels que l’élaboration d’une stratégie nationale pour les systèmes d’information du secteur de la santé et la mise en œuvre d’une organisation adaptée.

Après avoir lancé ces premiers travaux, le gouvernement vise prioritairement à mettre à disposition des patients et des citoyens un dossier de soins partagé (DSP). Un ensemble d’informations importantes et nécessaires à la continuité et à la coordination des soins y seront regroupées. Ce dossier, qui sera dans un premier temps alimenté par les données d’imagerie et de la biologie médicale, s’enrichira progressivement grâce à l’ensemble des données requises pour la continuité des soins. Le DSP servira également de support à la future prescription électronique et aux outils d’aide à la décision. Il pourrait améliorer qualitativement les soins car les informations pertinentes seront détaillées et disponibles au moment opportun.

Un service d’échange (prescriptions, remise des comptes-rendus d’analyses et examens au médecin prescripteur) sera aussi proposé aux professionnels de la santé. Enfin, d’autres prestations accessibles en ligne, plus administratives, telles que la vérification de l’affiliation du patient ou l’accès aux formulaires de la Caisse nationale de santé sont envisageables (ou prévues).

D’un point de vue technique, la mise en œuvre d’une infrastructure informatique adaptée à la plateforme eSanté donnera toutes les garanties nécessaires pour assurer un niveau de sécurité maximum face à la sensibilité des données en question.

La sécurité est d’autant plus importante, car il s’agit de viser l’interopérabilité pan-européenne, la population étant, en effet, de plus en plus mobile à l’international. Dans ce contexte, des normes et des standards propres à l’échange et au partage de données de santé se généralisent. Pour répondre à cette problématique, la Commission européen-ne a défini un programme de travail européen grâce à certains projets tels que epSOS2 et Calliope3.

Au niveau national, la création d’une agence dédiée, l’Agence nationale des Informations partagées (l’Agence) chargée de l’ensemble de ces missions, est fortement recommandée. En plus de la réalisation, du déploiement, de l’exploitation et de la gestion administrative et technique de la plateforme eSanté, l’Agence se chargera également de la promotion de l’interopérabilité ainsi que de la sécurité des systèmes d’informations de santé. Cette structure devra également établir et tenir à jour un schéma directeur des systèmes d’information de santé. Ce dernier se base sur une stratégie nationale et articulée selon les priorités sanitaires du pays et les besoins d’échanges et de partage des acteurs du secteur.

L’Agence devrait engendrer le dialogue et la concertation des acteurs afin d’ultimement assurer la convergence des actions. Sa gouvernance intégrera les principaux acteurs en interaction dans le secteur de la santé : l’État, la Caisse nationale de santé, les prestataires de services santé ainsi que d’autres entités qui pourront également intégrer cette gouvernance. Une concertation avec le Centre des technologies de l‘information de l’État, l’Inspection générale de la sécurité sociale et le Centre commun de la sécurité sociale est également recommandée.

L’Agence et la plateforme eSanté ont ainsi pour vocation de :

– faciliter et améliorer la prévention, le diagnostic, le traitement et le suivi médical,

– contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de santé au profit du patient,

– améliorer la gestion des services de santé et le pilotage national du système de santé, notamment à travers une meilleure disponibilité de données standardisées,

– maîtriser l’évolution des dépenses de santé, notamment en aidant à limiter les examens et analyses redondantes.

Philippe Pierre est associé, Christine von Reichenbach est manager chez Pricewaterhousecoopers Luxembourg.
Christine von Reichenbach, Philippe Pierre
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