Mozilla

Mozilla se met à la pub

d'Lëtzebuerger Land vom 21.02.2014

La fondation Mozilla a annoncé il y a quelques jours son intention d’intégrer des briques de pub dans son navigateur Firefox. La nouvelle a suscité beaucoup de commentaires critiques, venant surtout des adeptes inconditionnels de ce navigateur. Qu’est-ce qui a donc poussé la Fondation Mozilla à prendre cette décision ?

Son intention, explique sur son blog Darren Herman, responsable à la Fondation des « services de contenu » et chargé de diversifier ses sources de revenu, est de mettre l’utilisateur au centre, et en particulier le nouvel utilisateur auquel sera donc proposé un bouquet de liens. Dans les onglets vierges ouverts par un nouvel utilisateur, Firefox affichera à l’avenir des « Directory tiles », des briques contenant des liens vers des sites liés à Mozilla ou des sites d’intérêt régional. Devant le mécontentement des utilisateurs, c’est la présidente de la Mozilla Corporation (contrôlée par la Fondation), Mitchell Baker, qui a dû monter au créneau pour expliquer ce changement qui est véritablement, pour Firefox, un revirement considérable. Elle a indiqué que la Fondation s’est assurée que ces briques seraient vraiment « utiles » et qu’elles ne contiendraient pas de mouchards de services de marketing.Après avoir réussi pendant des années à fonctionner sans publicité et à préserver sa réputation de navigateur à la fois « éthique », robuste et à la point de la technologie, Mozilla a vu ces dernières années sa part de marché se réduire lentement mais sûrement, au détriment des navigateurs de Google et Apple, tandis que celui de Microsoft semble redresser la tête.

Alors que Firefox avait réussi il y a quelques années à détrôner Internet Explorer, le navigateur symbolisé par un panda roux ne représente plus guère qu’un cinquième du marché. Son absence est particulièrement frappante dans l’univers mobile, un coche que la Fondation a manifestement raté même si Firefox y est présent. Est-ce à dire que le modèle de fonctionnement de la Fondation Mozilla, association à but non lucratif, la condamne à devenir une entreprise comme les autres, qu’elle doit nécessairement s’allier à un autre groupe ou se fondre dans un ensemble plus grand pour poursuivre sa mission ?

Firefox, le descendant du navigateur Netscape qui a marqué les débuts du web, a commencé comme le fruit d’une vaste coopération de programmeurs bénévoles et engagés. Ce modèle a bien fonctionné pendant quelque temps, mais dès 2005 la Mozilla Foundation se doublait d’une Mozilla Corporation qui cherchait à générer des revenus auprès des utilisateurs de ses logiciels, surtout Firefox et la messagerie Thunderbird. En quinze ans d’existence, Mozilla est devenu une entreprise non négligeable, avec en 2012 un budget de développement informatique de 149 millions de dollars et des dépenses de 50 millions de dollars en marketing et en administration. Clairement, ce ne sont plus seulement des amateurs éclairés et idéalistes qui font avancer Firefox en travaillant en réseau la nuit : le gros de ses revenus vient d’un accord avec Google, qui est le moteur de recherche par défaut du navigateur.

Or, Google voit la part de marché de son navigateur Chrome augmenter de manière persistante, aux dépens notamment de Firefox. La Fondation, d’ailleurs domiciliée comme Google à Mountain View, a des soucis à se faire. Continuer de compter sur Google comme principale source de revenu serait sans doute pour elle suicidaire. Même si sa part de marché a diminué, Firefox continue de bénéficier d’un considérable capital de sympathie, qu’il est essentiel pour la Fondation de préserver. Mitchell Baker a reconnu qu’une fois le doigt mis dans l’engrenage, le risque existait que Mozilla vende son âme aux publicitaires. Elle a tenu à rassurer les utilisateurs sur ce point. Le sentiment qui prévaut est qu’au-delà de l’annonce initiale de l’introduction de la publicité, assez maladroitement ficelée, la Fondation a encore une chance de convaincre les internautes et qu’elle entend continuer de poursuivre sa mission initiale, celle de maintenir à la pointe de la technologie un navigateur open source et indépendant. Jean Lasar

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