Amazon

Amazon se voit en épicier

d'Lëtzebuerger Land vom 17.01.2014

Alors qu’en France, le débat sur le rôle d’Amazon se focalise sur l’adoption, achevée la semaine dernière, d’une loi destinée à instaurer une concurrence plus juste entre le premier et plus grand vendeur de livres en ligne et les librairies traditionnelles, Amazon a surpris les visiteurs de la grand-messe d’électronique CES en installant discrètement à l’aéroport de Las Vegas un appareil vendant des liseuses Kindle et leurs accessoires. La gamme complète des e-readers proposés par la plateforme commerciale, de la simple liseuse à 69 dollars au haut-de-gamme à 379 dollars, ainsi que leurs étuis et leurs câble d’alimentation, peuvent être acquis à par le biais d’un dialogue sur écran tactile et en utilisant une carte de crédit. Remarqué d’abord par un reporter de Geekwire se rendant au CES, cet appareil ne paie pas de mine, placé comme pourrait l’être un automate à boissons entre des distributeurs de billets de la Wells&Fargo et une porte de service. Le reporter a noté qu’il n’était pas possible de relier un achat effectué à l’aide de ce distributeur à un compte Amazon existant – du moins pour l’instant. L’entreprise a pris cette initiative sans tambour ni trompette.

Il s’agit bien, pour le géant du commerce en ligne, d’une incursion dans un nouveau domaine de la distribution. Que mijote Amazon, qui s’est déjà taillé une part de marché non négligeable avec son offre de connectivité Internet pour entreprises ? Compte-t-il s’avancer sur le terrain occupé aujourd’hui par les entreprises de la distribution traditionnelle ?

Rien n’empêcherait en tout cas le groupe de Jeff Bezos de généraliser ce modèle d’affaires à des articles autres que ceux qu’il propose dans sa boutique en ligne, en incluant par exemple des articles de première nécessité tel que brosse à dents ou liquide vaisselle. Avec des distributeurs comparables à celui placé à Las Vegas,

l’avantage-coût par rapport au commerce traditionnel est imbattable puisqu’il n’y a que peu ou pas de loyer ni de main d’œuvre stationnaire.

Amazon a fait spéculer et fantasmer le monde entier il y a quelques semaines en suggérant que ses colis seraient d’ici quelque temps livrés à domicile à l’aide de drones. Mais déjà, l’entreprise a commencé à mailler une partie des États-Unis d’un système de livraison à domicile de produits frais. On a vu en novembre dernier à San Francisco, une des dernières villes en date à laquelle ce service a été

étendu, des camions à la marque Amazon Fresh dont étaient extraites des caisses remplies de produits frais destinés aux consommateurs abonnés à ce service au prix de 299 dollars par an et les ayant commandé en ligne. Fait intéressant, les camions appartiennent à Amazon, alors que l’entreprise fait habituellement appel à la poste et aux services de messagerie pour livrer ses colis.

Il existe des synergies entre ce service d’épicerie, qui suppose un maillage fin dans les zones desservies, et l’activité historique d’Amazon, la vente en ligne et la livraison de biens culturels : la possibilité de récupérer auprès des clients insatisfaits les marchandises retournées. Au-delà, si Amazon réussit son entrée sur ce marché, son chiffre d’affaires risque de bondir de manière exponentielle compte tenu des budgets considérablement plus élevés que représentent les produits d’épicerie par rapport à ceux consacrés aux livres, aux films ou à la musique.

Les drones d’Amazon dont tout le monde dit qu’ils ne pourraient pas être opérationnels avant plusieurs années ne seraient-ils, dans la stratégie d’Amazon, qu’un écran de fumée destiné à la fois à suggérer l’ampleur de ses ambitions et à détourner le regard des initiatives concrètes que l’entreprise prend aujourd’hui pour se tailler de nouveaux marchés, des distributeurs automatiques aux réseaux de camions de livraison ? Ajay Agarwal, un investisseur qui a participé au montage de l’acquisition par Amazon d’une société de robotique d’une valeur de 775 millions de dollars, le pense : pour lui, bien avant les drones, ce sont des véhicules sans chauffeur que la société mettra en œuvre pour ses différents services de livraison.

Jean Lasar
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