Une nouvelle vie dans la Belle Province 

Les histoires des émigrés luxembourgeois au Québec

d'Lëtzebuerger Land vom 21.02.2014

Malgré leur petit nombre, ils représentent la plus importante communauté de Luxembourgeois au Canada. Ils se sont installés au Québec, dans la plus grande province canadienne, pour changer d’air, pour trouver de meilleures opportunités ou tout simplement par le jeu des circonstances. Ici, où les distances sont grandes et les hivers glaciaux, plusieurs Luxembourgeois ont trouvé un accueil chaleureux.

Mars 1957. A vingt ans, dans un élan de jeunesse, Armand Fantini quitte le Luxembourg pour venir vivre au Québec, à plus de 5 000 kilomètres de chez lui. Son périple de six jours en bateau l’amène à Halifax, la capitale de la Nouvelle-Ecosse, où il prend le train pour Montréal. « Pendant 24 heures, on ne voyait que de la neige, tellement que j’avais mal aux yeux », raconte-t-il. Rapidement, grâce à son travail, il tombe sous le charme de Québec, petite ville provinciale située à 250 kilomètres de Montréal. « À Québec on n’est jamais loin de rien, c’est comme un petit village ». Depuis plus de cinquante ans, il y mène une vie heureuse avec sa femme québécoise et ses deux filles, et n’est pas prêt à partir.

Armand Fantini fait partie de la plus grande communauté luxembourgeoise au Canada. Elle compte aujourd’hui environ 180 personnes, dont les Luxembourgeois de première génération qui ont décidé, à un certain moment de leur vie, de quitter leur patrie pour s’établir au Québec. La province francophone du Canada compte sept millions d’habitants, concentrés dans les deux principales villes, Montréal et Québec, et a un territoire qui représente trois fois la France. Plusieurs accords lient le Luxembourg et le Québec, notamment dans le domaine de la sécurité sociale, de l’éducation supérieure et de la production audiovisuelle.

Beaucoup de Luxembourgeois sont venus au Québec dans les années 1950, surtout pour des raisons économiques. L’un d’entre eux est Ronald Scholer, qui a atterri dans la province en 1957. « Je suis émigré au Québec avec mes parents lorsque j’avais seulement onze ans. Mon père, un entrepreneur, en avait assez avec le Luxembourg. On a donc décidé d’émigrer au Canada parce qu’une de mes tantes était installée ici et allait très bien. » En tant que Luxembourgeois, il a souvent dû présenter son pays à un auditoire québécois intrigué : « Ici, les gens ne connaissent souvent pas mon pays quand je leur dis d’où je viens. Il faut que je leur explique que c’est un pays indépendant, qui a sa propre langue. Et ils sont étonnés, ils ne comprennent pas qu’il existe un pays, à peine trois fois plus grand que l’île de Montréal, avec 500 000 habitants ayant un pays à eux mêmes et étant indépendants. » Après ses études en géographie, il occupe un poste de professeur pendant dix-huit ans. C’est alors qu’il décide de changer radicalement de carrière, et de devenir boulanger. « Je me suis lassé de mon travail et j’ai fait une formation en boulangerie. J’ai ouvert la pâtisserie de la gare, à Montréal-Ouest, et je l’ai tenue pendant huit ans, même si c’était beaucoup de travail et peu de rémunération. » Aujourd’hui, Ronald Scholer vit à Magog, à 130 kilomètres à l’est de Montréal.

Même si la communauté luxembourgeoise au Québec compte beaucoup de membres issus de la génération d’après-guerre, d’autres se sont installés plus récemment dans la province. Pris par une envie de changer d’air, Guy Weiland quitte le Luxembourg en 2000 pour venir au Québec. Ensemble avec sa femme et sa fille de neuf mois, il s’installe à Québec, ville qu’il apprécie surtout pour sa ressemblance avec Luxembourg. C’est « une veille ville avec des fortifications, tous les services et loisirs dont on a besoin et un bon équilibre entre la vie stressante à Montréal et la vie trop paisible de la campagne », remarque-t-il. Guy Weiland s’est bien intégré à la société d’accueil. « L’adaptation était aussi facile que nous l’avions prévue. La clef du succès est une bonne préparation. Nous avons choisi délibérément de venir en décembre pour nous prouver qu’on était capables. Les premiers achats ici ont été des manteaux chauds et des bottes d’hiver. » Après une dizaine d’années à vivre son expérience québécoise, il affirme avoir trouvé ce qu’il espérait : « Je n’ai aucun regret, j’ai trouvé ce que je m’imaginais. J’ai d’ailleurs aussi la citoyenneté canadienne depuis que le Luxembourg reconnaît la double nationalité. »

En 2002, deux ans après Guy Weiland, Marc Cocard débarque à Québec pour enseigner la géomatique à l’Université Laval. C’est un jeu de circonstances qui l’a amené à venir vivre dans la Belle Province : « À l’époque, je vivais à Zurich, en Suisse. J’ai vu qu’il y avait une ouverture de poste à l’Université et j’ai postulé. » À côté de cette opportunité de carrière intéressante, Marc Cocard avoue qu’il est tombé sous le charme de la Ville de Québec, et que cela a joué en faveur de sa décision d’émigrer. Dans son milieu de travail, il dit ne pas avoir noté beaucoup de différences : « Seule chose que j’ai remarqué, c’est que les étudiants ont plus tendance à tutoyer les professeurs québécois, parce que c’est la coutume ici. Au début, ils n’osaient pas vraiment me tutoyer, parce que je venais de l’extérieur, mais aujourd’hui ça va un peu mieux. »

Vivre à l’étranger provoque des changements dans la façon dont on perçoit son pays d’origine. Pendant que le sentiment d’appartenance à l’ancienne patrie diminue, une nouvelle identité commence à se former. C’est en tout cas ce qu’à vécu Guy Weiland, qui essaye de garder le contact avec le Luxembourg, mais éprouve de plus en plus de difficultés : « Mes parents et mon frère étant au Luxembourg, on se parle régulièrement et je me tiens au courant de la politique et de l’économie du Luxembourg à travers les médias sur Internet. Un peu moins maintenant qu’avant, car je me sens de plus en plus Canadien. »

Pierre Bertemes, arrivé au Québec en 1957, se dit déçu du Luxembourg, parce qu’il n’est plus le bienvenu là-bas, parmi les siens: « J’ai encore quelques souvenirs, et quelques amis là bas. Mais quand, en 1968, je suis rentré au Luxembourg et que j’ai appelé mes amis d’école, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas de temps à me consacrer. » Il est d’autant plus content d’avoir trouvé une nouvelle vie au Québec : « Ici, j’ai fait de nouveaux amis. Je suis avec ma femme depuis 45 ans, et avec nos trois enfants nous sommes contents. Je suis satisfait ici, même si ça n’a pas toujours été facile. »

Ronald Scholer, au contraire, affirme qu’il est toujours le bienvenu chez lui et qu’il est rentré plusieurs fois au Luxembourg pour garder le contact avec sa famille. Il n’a perdu le lien ni avec son pays d’origine, ni avec sa langue maternelle : « Ce que les gens trouvent surprenant là-bas, c’est que je puisse encore parler luxembourgeois, 56 ans plus tard. Parfois ils remarquent que j’utilise des expressions qui étaient à la mode il y a 50 ans, mais qui ne s’utilisent guère aujourd’hui. Quand les gens me disent ‘Daat as awer immens !’, je ne les comprends pas parce que cette expression ne s’utilisait pas à l’époque où j’ai appris la langue, c’est assez bizarre. »

Pour Armand Fantini, le Luxembourg est devenu une mémoire lointaine et le contact avec les Luxembourgeois au Québec n’a jamais été d’une grande importance. « Je suis absolument satisfait ici. Je n’ai pas de regrets. Je suis retourné quelques fois au Luxembourg, mais j’ai toujours été content de revenir au Québec. » Il a d’ailleurs refusé d’enseigner le luxembourgeois à ses deux filles, jugeant que l’anglais allait leur être plus utile dans la vie.

Au cours de la dernière décennie, la communauté des Luxembourgeois au Québec a changé de visage et s’est rajeunie. Dans ce nouvel élan, un groupe de personnes a récemment fait des efforts pour faire renaître une association socioculturelle regroupant les Luxembourgeois de la province, après que l’ancienne association se soit dissoute en 2008. « Lors de la mission économique du Luxembourg au Canada en 2012, les Luxembourgeois présents ont unanimement exprimé le souhait de recréer une association et d’actualiser la liste des personnes présentes au pays. C’est ainsi que j’ai pris l’initiative de mener à bien ce mandat », explique Tania Gibéryen, qui est à l’origine de l’initiative. Elle affirme que c’est la motivation de la communauté qui l’a poussée à concrétiser le projet : « Sans les contributions et le grand intérêt de la communauté, et le support de l’ambassade, peu de choses n’auraient pu se réaliser. J’ai pris l’initiative, et en 2013 nous avons eu un premier grand rassemblement pour les célébrations de la fête nationale et maintenant un nouveau comité est en train d’organiser les prochaines activités. Cela veut dire qu’on est sur le bon chemin. »

L’ambassadeur du grand-duché à Washington, Jean-Louis Woltzfeld, s’est réjoui de l’initiative lors de la fête nationale du Luxembourg en juin dernier et s’est montré optimiste quant au futur de la nouvelle association des Luxembourgeois au Québec : « On remarque qu’il y a une bonne volonté et je suis confiant que les bases existent pour faire renaître une telle association, qui soigne à la fois les racines communes et fait connaître l’identité luxembourgeoise au Canada. »

Même si la vie a été dure pour eux à certains moments, la plupart des Luxembourgeois au Québec sont satisfaits de leur expérience, et, aujourd’hui, nombreux d’entre eux ne retourneraient plus au Luxembourg. Certains, comme Armand Fantini, vivent depuis cinquante ans une vie heureuse au Québec, alors que d’autres, comme Marc Cocard, n’ont que récemment vécu leur dixième hiver québécois. Tous ont fait une expérience unique au Québec, et ce, sans jamais oublier d’où ils viennent et sans perdre leur langue. Ils ont trouvé de nouvelles opportunités et d’autres visages sur ce nouveau continent. La Belle Province les a émerveillés.

Yascha Wecker
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