La vallée de la Pétrusse

Vallée de cœur

d'Lëtzebuerger Land vom 01.02.2013

Imaginez Venise sans ses canaux, Paris sans la Seine, Bruxelles sans son ring. Il va falloir se faire à l’idée d’un Luxembourg sans sa vallée de la Pétrusse. Ce ne sera pas qu’un endroit de moins pour faire de la luge l’hiver ou son jogging l’été. Ce sera une partie de l’âme de la ville qui sera inaccessible pour quelques temps : cette énorme vallée, dans laquelle coule un tout petit ruisseau ressemble à un symbole. Comme le fait qu’un petit pays s’appelle « grand-duché », cela peut prêter à sourire, mais sans le petit ruisseau et la vallée, ni forteresse, ni ville n’auraient peut-être jamais été construites…

La vallée de la Pétrusse, c’est le rêve d’Alphonse Allais, la campagne à la ville. Pour faire bonne mesure, on remarquera qu’on a, en contrepartie, sérieusement commencé à installer la ville à la campagne, que ce soit au ban de Gasperich ou sur le plateau du Kirchberg. Pendant quelques temps, le symbole sera donc actualisé et sera celui d’un énorme chantier, la capitale étant certainement condamnée à jongler quelques années entre les travaux du Pont Adolphe, ceux du tram, ceux du Pont rouge, ceux du centre Hamilius. On ne fait autant de travaux que pour embêter les automobilistes, les piétons aussi.

On imagine le nombre de questions que soulève l’inaccessibilité de la vallée. Quel sera le nouveau parcours du train touristique ? Le nom « Pétrusse express » faisait déjà un peu présomptueux au vu des 20 km/heure de vitesse de pointe de l’engin. S’il reste à l’écart de la vallée, il va sérieusement falloir songer à le rebaptiser… Les habitants perdent surtout un endroit agréable pour se promener. Les touristes auront moins d’occasions de se perdre en essayant de rejoindre ou de quitter le Grund (les locaux prennent en général l’ascenseur). C’est fini de Luxembourg comme seule capitale européenne à posséder un parcours de minigolf en plein centre-ville. Terminé également le train miniature où de gentils messieurs proposaient gratuitement de monter sur des wagons modèle réduit. Pour eux, ça signifie qu’ils vont enfin pouvoir occuper leurs week-ends à autre chose qu’à tourner 400 fois autour d’un circuit de 150 mètres, en klaxonnant 400 fois avant le passage vers l’église Saint-Quirin et en demandant 400 fois aux enfants de bien rester assis. Mais pour les parents, ça signifie qu’il va falloir trouver d’autres buts de promenade avec leurs enfants.

La dernière question est certainement celle de la durée. Prudente, la ville de Luxembourg parle de « plusieurs années ». Avec un peu de chance, les travaux dureront moins longtemps que ceux de la route du Nord et les plus jeunes de nos lecteurs pourront un jour profiter à nouveau de cette vallée bucolique, à laquelle on aura peut-être même apporté des améliorations. En effet, on pourrait imaginer installer un toboggan géant sur la Schlittenhiwwel, tirer une tyrolienne entre le viaduc et le nouveau pont Adolphe, remplacer le bassin et son jet d’eau désaffecté depuis plusieurs années par une piscine en plein-air (éventuellement avec plongeoir depuis la place de la Constitution) ou aménager des spots d’escalade sur les falaises de grès...

L’expérience du jardin communautaire, qui sera lancée demain au Kaltreis, si elle réussit, pourrait donner envie d’étendre les parcelles qui sont déjà implantées le long de l’Alzette. Une ville entière de jardiniers, adeptes d’une forme écologique de culture urbaine, ne pourrait qu’être meilleure. Les journées pluvieuses auraient l’avantage de contribuer à l’arrosage des plantations. On imagine tous les résidents venir après leur journée de travail, la bêche sous le bras, les bottes en caoutchouc cachées dans le sac à main : Chacun s’occuperait de ses oignons. Et de ceux des autres. Ce serait les labours après le labeur. Les banquiers pourraient prendre soin de l’oseille de tout le monde. Les juristes s’occuperaient de salades. Les dentistes de fraises. Les policiers de prunes. Et les journalistes ? On peut espérer qu’ils produiraient de belles feuilles de choux…

Cyril B.
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