Le monde politique appréhende le nouvel ADR à partir d’octobre, avec Fernand Kartheiser en président du groupe parlementaire et l’arrivée de Fred Keup au Krautmaart

Dräimol Nee

d'Lëtzebuerger Land vom 07.08.2020

Pussy wagon Ses anciens élèves, ceux qui l’ont eu comme enseignant de géographie au début de sa carrière à l’Athénée, se souviennent de lui en prof un peu tête en l’air, pas vraiment bien préparé et presque un peu timide. Dans cet établissement élitiste, il arrivait dans une petite voiture toute pourrie, qui se démarquait par sa déco de flammes sur les côtés et un intérieur éclairé aux néons. Et puis, oui, il y en a aussi qui se souviennent s’être allègrement moqué de ses goûts musicaux : il avait affirmé un jour n’écouter que de la musique allemande, « parce que là, au moins, je comprends tout le texte ». Jusqu’en juillet, Fred Keup est enseignant au Lycée technique d’Esch-sur-Alzette. Il s’apprête à quitter l’enseignement pour rejoindre un siège de député. À quarante ans, cet activiste pour le refus du droit de vote pour les étrangers lors du référendum en 2015, remplacera le vieux roublard Gast Gibéryen, qui prend sa retraite après 31 ans de politique. Le groupe politique ADR auquel appartiennent aussi l’artisan élu au Nord Jeff Engelen et l’ex-avocat du Centre Roy Reding, sera alors présidé par le très conservateur Fernand Kartheiser. Faut-il craindre un virage à l’extrême-droite avec ce duo ?

Rietspopulisten « La grande question est : qu’est-ce que le départ de Gast Gibéryen va faire de ce parti ? », se demande Léonie de Jonge, assistant professor à la Rijksuniversitéit Groningen, qui s’est spécialisée dans la recherche sur les extrêmes-droites dans le Benelux. « Parce que Gibéryen était clairement populiste mais pas très à droite, alors que Kartheiser n’est pas populiste, mais beaucoup plus à droite ». Fred Keup, lui, partage avec Fernand Kartheiser une vision très conservatrice de la société luxembourgeoise, prônant les valeurs catholiques, la famille, la fierté nationale et un certain masculinisme. Comme Kartheiser et sa partenaire Sylvie Mischel de la section femmes de l’ADR, Keup est anti-immigration et sans conteste aussi xénophobe, mais il fait très attention à sauvegarder son image de gentil garçon d’à côté, ce blond aux yeux bleus propre sur soi, qui aime sa femme, ses enfants, son jardin et la Cour grand-ducale. Il est flagrant à quel point Keup contrôle son image publique, évitant clairement d’afficher des signes extérieurs qui pourraient le rapprocher de l’extrême-droite. Par contre, il est à craindre que son maître à penser, l’ouvertement raciste Tom Weidig, entre avec Keup en cheval de Troie à la Chambre.

7 Fred Keup a sept ans lorsque Gast Gibéryen, le syndicaliste du NGL, et Roby Mehlen l’agriculteur du FLB, fondent l’Aktiounskomitee 5/6 Pensioun fir jiddfereen, neuf quand ils entrent pour la première fois au Parlement, décrochant d’emblée quatre sièges. Ils s’engageaient alors pour que les petites gens du secteur privé aient les mêmes privilèges que les fonctionnaires, notamment en ce qui concerne les retraites. À cette époque-là, Pierre Peters et sa National-Bewegong occupèrent l’extrême-droite du spectre politique, ne décrochant pourtant jamais de mandat national. Keup a quatorze ans à l’heure de la Valissenaffär de Roby Mehlen et 24 lorsque Marc Zuckerberg lance Facebook – à peu près au moment où lui, Keup, passait ses soirées aux fêtes de Den Atelier. Le réseau Facebook lui apportera son instant fame en 2015. Le 10 avril 2014, Frederic Keup, son épouse Rita Figus (dont il s’empresse toujours de souligner l’origine italienne) et leur copain Steve Kodesch déposent les statuts de leur asbl « Nee zum Auslännerwal-recht », qui, dans son objet explique : « Zweck der Vereinigung ist die Verhinderung eines Ausländerwahlrechts für die Parlamentswahlen und die Förderung einer Integrationspolitik, die die politische, sprachliche, und kulturelle Identität der luxemburgischen Nation erhält ». La crainte de l’invasion d’étrangers et le protectionnisme des valeurs luxembourgeoises étaient donc déjà là dès les débuts.

80% Le gouvernement Bettel-Schneider-Braz I, sorti des urnes en 2013, voulait se montrer progressiste sur tous les plans, entre autres celui de la participation démocratique d’une part sans cesse croissante de résidents d’origine étrangère. Pourquoi ne pas consulter le peuple via référendum ? Mais, avec la nonchalance des gagnants, les trois orfèvres de la coalition, surtout le socialiste Etienne Schneider, avaient bâclé la préparation de cet important rendez-vous démocratique. L’ADR était immédiatement pour le refus des trois propositions (droit de vote des étrangers, abaissement du droit de vote actif à seize ans et limitation de la durée des mandats politiques à dix ans), le CSV aussi, mais de manière moins sectaire. Et voilà soudain cette asbl de Fred Keup qui, via un site internet Nee2015.lu et la distribution de matériel promotionnel, devint le porte-parole du camp du non. Sans aucune légitimation démocratique, grâce juste à quelques likes sur une page Facebook, il se retrouva érigé en porte-parole de la société civile et discuta de manière virulente avec Laura Zuccoli de l’Asti à la radio ou le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) à la télévision. Les plus de 80 pour cent de refus de ce droit de vote pour les étrangers en juin 2015 fit dire à Keup qu’il était le représentant de cette population, « mir sinn déi politesch Mëtt ». Émoustillé par tant de popularité, il se cherche une perspective à plus long terme, change le nom en Wee2050 et se donne un nouveau programme, qui tourne davantage autour de la langue et de l’identité luxembourgeoises.

En 2018, Rita Figus quitte l’asbl et Tom Weidig la rejoint en tant que président. Keup avait commencé une carrière politique chez Déi Lénk, puis avait tenté de rejoindre le CSV sous Claude Wiseler, qui ne voulait pas de lui. En amont des élections législatives de 2018, l’ADR tenta de ratisser large dans le camp identitaire et, après avoir absorbé le réseau de Lucien Welter en offrant une place sur ses listes à cet auteur d’une pétition défendant le luxembourgeois, phagocyta Wee2050 et invita Keup et Weidig sur ses listes aussi. En 2018, Keup se classe troisième au Sud, avec 8 865 voix – 10 000 de moins que Gibéryen. Weidig arrive en cinquième position. Aux européennes de 2019, Fred Keup atteint la troisième place de l’ADR avec 18 487 voix – largement moins que la moitié des plus de 43 000 voix de Gast Gibéryen. En soirées électorales, il se montra nettement plus sage et timide que sur les réseaux sociaux. Mais sous la pression de Welter, de Wee2050 et de l’ADR, la campagne de 2018 aura été identitaire au lieu d’être politique ou sociale et tous les partis s’afficheront op Lëtzebuergesch.

Sacrée liberté d’expression Or, il ne faut pas se leurrer et ne voir en Fred Keup que le voisin un peu spécial mais inoffensif. Il y a, dans la méthode de Wee2050, et désormais aussi dans celle de l’ADR, toutes les stratégies qu’utilisent les partis populistes d’extrême-droite en Europe. En premier la provocation sur les questions migratoires – voir l’affaire du post de Sylvie Mischel en décembre 2019, fustigeant la politique migratoire de Jean Asselborn, qui préférerait les étrangers aux Luxembourgeois. Ces provocations permettent ensuite au parti de se distancer et de faire amende honorable. Le beurre et l’argent du beurre. Ou l’outrage affiché, notamment sur une prétendue limitation de la liberté d’expression par une gauche bienpensante – qui est toujours couplé à une avalanche de procès pour diffamation, comme le font Fred Keup et consorts contre des militants politiques ou des artistes critiques comme Tun Tonnar. Dans les coulisses du FC Kielen (club de foot qu’il préside) et des associations pour la langue ou le patrimoine bâti, Fred Keup mord aussi, persuadé qu’il y a une conspiration internationaliste et antifasciste qui veut la peau des conservateurs.

Toxique « Bien sûr que nous sommes un peu inquiets pour le paysage politique, estime Sergio Ferreira, le responsable du travail politique de l’Asti, mais je ne crois pas qu’un député sur soixante puisse mettre en péril la démocratie. » Il craint plutôt un abaissement du niveau des débats à celui de Facebook. « En 2015, Fred Keup incarna le populisme d’extrême-droite, c’est clairement un élément toxique. » L’ADR devait une grande part de sa popularité aux talents rhétoriques de Gast Gibéryen, bête politique qui avait l’instinct pour les soucis des petites gens et savait comment agacer le pouvoir. Des talents qui lui valurent de se classer septième dans le hitparade Politbarometer de début juillet (avec cinquante pour cent d’adhésion ; derrière Claude Wiseler, CSV, mais devant de nombreux ministres). Ce costume est un peu grand pour Fred Keup – pourvu qu’il ne change pas de couleur.

josée hansen
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