Production audiovisuelle

L’exception culturelle

d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2014

Il y en a qui parlent carrément d’omertà qui règnerait dans le secteur de la production audiovisuelle, un secteur qui, sur le modèle de la place financière, aime que le secret entoure ses chiffres et ses sous. Pourtant, en une seule réunion, comme celle du 5 février dernier, le Conseil d’administration du Fonds de soutien à la production audiovisuelle (Film Fund) peut facilement dépenser 9,5 millions d’euros d’aides directes à neuf projets de films – soit trois millions de plus que la dotation publique annuelle du Mudam, dont tout le monde se sent habilité à discuter l’orientation esthétique, ou six fois celui du Casino Luxembourg En tout, le Fonds disposait en 2013 de quarante millions d’euros à redistribuer au secteur (contre 105 millions pour tout le ministère de la Culture), avec le but de contribuer à développer la niche de l’industrie cinématographique et à créer du travail pour les quelque 600 professionnels du secteur. Or, dans la mesure où il s’agit d’argent public, il est évident qu’on doit accompagner la gestion de cet argent, surtout à un moment où le nouveau gouvernement libéral annonce un screening serré des dépenses publiques et remet en question les aides sociales.

Depuis 2013, à la demande du ministre des Médias de l’époque, François Biltgen (CSV), le Film Fund a abandonné le système des certificats audiovisuels qui, durant leurs vingt ans d’existence, avaient contribué à développer l’embryon d’industrie du cinéma que nous connaissons aujourd’hui. Désormais, il n’y a plus que le système d’aides sélectives, qui, certes, sont considérées comme des prêts remboursables – mais, en vingt ans, seuls 0,7 pour cent de ces aides ont été retournées. On s’était donc accordé à dire que ces aides directes étaient le prix du soutien à une production audiovisuelle luxembourgeoise dont même les blockbusters comme Doudege Wénkel de Christophe Wagner, avec ses 22 000 entrées ne pourront jamais s’autofinancer, faute de masse critique de spectateurs. Mais jusque-là, le Film Fund ne disposait que du dixième de son budget actuel. Qu’en est-il de tous ces drames intimistes, de ces films sociaux et de ces comédies que coproduisent les Samsa, Iris, Bidibul et Tarantula avec la France, la Belgique, l’Allemagne ou la Suisse et qui passeront en troisième partie de soirée sur une chaîne de télévision, après une carrière plus ou moins heureuse dans les salles de cinéma des pays coproducteurs ? Leur apport artistique est souvent négligeable.

D’ailleurs, même le Conseil d’État propose, dans son avis sur le projet de loi de réforme du Film Fund et de son système d’aides, de ne plus placer le Fonds que sous l’autorité d’un seul ministère de tutelle, à savoir celui des Médias. Or, argumentent les responsables du Fonds devant la commission parlementaire qui est en train d’analyser le projet de loi, « l’importance symbolique du volet culturel dans le secteur audiovisuel » est essentielle, pour la Commission européenne surtout, qui a donné son aval à la réforme. Car si le cinéma n’était qu’une industrie, le subventionnement public serait immédiatement réprimé par Bruxelles. Si, par contre le cinéma demeure un art, parlons esthétique.

Et, là, ça fait pchitt ! Il suffit de regarder les nominations pour le Filmpräis 2014 pour désenchanter : seuls trois longs-métrages sont nominés pour le prix du meilleur film luxembourgeois : un polar (Doudege Wénkel), un film pour enfants (d’Schatzritter, Laura Schroeder) et un film amateur (Heemwéi, Sacha Bachim), qui nous fait revenir trente ans en arrière. Parmi tous les films nominés, un seul, la docufiction de Pol Cruchten, Never Die Young, est esthétiquement vraiment radical. Alors certes, il y a deux coproductions luxembourgeoises sélectionnées à la Berlinale actuellement et deux films d’animation en lice pour les Oscars. Mais ces coproductions-là sont comme des cirques ambulants : elles se font là où il y a de l’argent, si demain, l’État luxembourgeois investit moins dans ce secteur, elles iront ailleurs – emmenant avec elles la majorité des professionnels avec lesquels elles travaillent. Toutefois, la constellation politique actuelle est telle que l’avenir du Film Fund est bleu clair, et qu’aucune interrogation fondamentale ne se fera : pour une fois, les deux ministres de tutelle, Xavier Bettel (Médias) et Maggy Nagel (Culture), et le directeur du Fonds, Guy Daleiden, sont membres du même parti libéral.

josée hansen
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