Le plan de rigueur budgétaire de l’Université du Luxembourg ressemble étrangement au Zukunftspak du gouvernement. Les femmes de ménage et les gardiens sont les premiers à en faire les frais

Variables d’ajustement

Université du Luxembourg
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 16.06.2017

Quatre femmes de ménage employées par la société Comco ont été licenciées depuis l’introduction du plan de rigueur budgétaire de l’Université du Luxembourg il y a deux mois, et quatre autres ont été forcées de travailler selon des horaires réduits – et donc de gagner moins. Au moins cinq agents de sécurité travaillant pour Securitas à Belval ont également perdu leur emploi depuis que l’Université a réduit le nombre d’heures de surveillance hebdomadaires sur le site. Dans son plan de rigueur budgétaire élaboré pour l’Uni.lu, le cabinet international de conseil McKinsey liste une série de mesures permettant de faire des économies de l’ordre de vingt millions d’euros cette année. Ce plan comporte le non-remplacement de personnels académiques qui partent à la retraite, la non-reconduction de CDD et la non-création d’une soixantaine de nouveaux postes pourtant jugés utiles par les responsables de l’enseignement, de la recherche et du rectorat. En outre, toutes les primes non-contractuelles seront gelées. En tout, 5,6 millions d’euros pourraient ainsi être économisés sur le poste des ressources humaines. Mais les licenciements devraient être « une ligne rouge à ne pas franchir », avait mis en garde le syndicat OGBL, qui dispose d’une majorité absolue au sein de la délégation du personnel. Dans une lettre interne, cette délégation du personnel se réjouissait que le recteur faisant fonction
Ludwig Neyses se soit engagé qu’aussi longtemps qu’il assume cette fonction, aucune mesure de licenciement ou de préretraite ne serait envisagée. Neuf personnes viennent de perdre leur emploi et quatre ont vu substantiellement réduire leur salaire. Même si elles ne sont pas directement employées par l’Université, mais par une société de sous-traitance, elles sont victimes du plan de rigueur.

« De mon souvenir, c’est la première fois que des employés perdent leur emploi suite à une mauvaise gestion de l’entreprise cliente », affirme Estelle Winter, secrétaire centrale du syndicat Services privés de nettoyage de l’OGBL, qui représente quarante pour cent des quelque 9 000 salariés du secteur. Dont celles de Comco. Dans la section « infrastructure et logistique », McKinsey voit un potentiel d’économies de l’ordre de 800 000 euros cette année, notamment via une réduction de la fréquence de nettoyage de cinq jours par semaine à trois jours par semaine. Cela équivaudrait, selon Estelle Winter, à une centaine d’heures par semaine en moins. Actuellement, une trentaine de femmes de charge travaillent pour Comco sur le chantier de l’université. Les horaires d’ouverture – et donc de surveillance par une société de gardiennage externe – devaient être réduites de six à 22 heures à huit heures du matin jusqu’à 17 heures dans l’après-midi. Le LCGB, majoritaire dans la société employée, confirme les licenciements vis-à-vis du Land.

« On constate partout que les salariés payent les pots cassés, continue Estelle Winter. Les femmes de ménage n’ont aucun pouvoir politique, parce qu’elles sont avant tout immigrées ou frontalières et se situent en bas de l’échelle des salaires. » Depuis quelque temps, celle qui fut femme de charge elle-même et a donné son nom à une jurisprudence – elle a lutté durant quatorze ans devant les tribunaux pour toucher le salaire social minimum pour ouvriers qualifiés vu son expérience, et gagné –, observe que la pression augmente partout dans le secteur. « Les salariées se plaignent d’une surcharge de travail, raconte-t-elle. Les sociétés de nettoyage, pour avoir un marché, acceptent des conditions difficiles, mais le client veut quand même la propreté… » Dans un article paru dans le bulletin de liaison de l’OGBL, elle stigmatise cette « dégradation de la situation », la pression et la surveillance permanentes auxquelles sont soumises les employées, parle d’esclavage moderne et fustige des marges bénéficiaires des entreprises « en augmentation constante » (« Parfois, le client dépense le triple de ce que touche le salarié pour la prestation », y lit-on). Les femmes de ménage, elles, touchent le salaire social minimum pour salariés non qualifiés (1 999 euros par mois ou 11,55 euros de l’heure) et perdent quasiment tous les procès instigués par l’OGBL suite à l’affaire Winter pour que leur qualification acquise par expérience soit reconnue – et rémunérée à 13,86 euros de l’heure (d’Land 27/16). Le département des sciences sociales de l’Université, qui se consacre entre autres aux interrelations entre travail et pauvreté, aurait un bel objet d’études illustrant les mécanismes d’exclusion du système libéral, sans même se déplacer.

« La première question à se poser est : pourquoi est-ce que l’Uni.lu a externalisé tous ces services, comme le nettoyage ? », demande Frédéric Krier, secrétaire central du département Enseignement supérieur et recherche de l’OGBL et membre du bureau exécutif du syndicat. Il sait que si les femmes de ménage avaient été directement engagées par l’établissement public qu’est l’université, elles auraient touché plus que le salaire social minimum, parce que la grille des salaires – gardée secrète par ailleurs – ne prévoit pas de salaires aussi bas. La deuxième question que pose Krier est : est-ce que la situation financière est vraiment aussi désespérée qu’il faille faire des « économies de bouts de chandelles » comme l’ont appelé les délégués du personnel dans une lettre interne ? Non, répond Krier, car l’établissement a fait des excédents les années précédentes et dispose de réserves budgétaires, le budget de cette année est en équilibre et l’université est loin de la faillite. Vingt millions d’euros d’économies sur un budget de 220 millions, avec une dotation étatique de 160 millions cette année et qui va croissante, devraient être faisables avec une gestion rationnelle. Qui n’implique pas une participation financière du personnel à hauteur de 40 centimes d’euros par tasse de café (!), soixante euros par mois pour pouvoir utiliser un parking ou trente euros par mois pour un téléphone portable, comme le prévoit McKinsey. Ces mesures de rigueur budgétaire ne sont pas sans rappeler le programme intitulé Zukunftspak du gouvernement en 2015, qui devait, en 260 mesurettes, permettre de sortir de la crise budgétaire. Et qui comportait, lui aussi, des actions symboliques comme la dématérialisation d’un certain nombre de documents, la réduction des frais de bureau ou l’abolition du parking gratuit pour les fonctionnaires. Comme à l’Uni.lu actuellement, il s’agissait de faire régner une ambiance de crise générale, où chacun participerait à l’effort d’austérité. Finalement, la croissance s’est rétablie toute seule et le Spuerpak est tombé aux oubliettes.

Frédéric Krier connaît la situation difficile des salariés à l’Université du Luxembourg, où, certes, les salaires sont réputés attractifs dans la communauté académique internationale – « pour les professeurs, ils ne se situent en fait que peu au-dessus des salaires des enseignants du secondaire », souligne Krier –, mais où aucun contrat collectif n’a pu être signé, les négociations étant embourbées depuis 2010. Début 2015, seul un accord d’établissement a été adopté, qui fixe les salaires et leur structure générale au niveau d’alors. Depuis sept ans, les syndicats et le rectorat n’arrivent pas à trouver d’accord sur les salaires, et surtout sur leur évolution et l’introduction, voulue par la direction de l’Université, d’un système d’évaluation pour fixer les primes et bonus. Dans les centres de recherche publics, raconte Krier, ce système d’évaluation ne ferait que du mauvais sang : Si au Luxembourg Institute of Health, seuls 39 pour cent des employés ont été récompensés pour leur performance lors de la dernière évaluation, les autres 61 pour cent en furent frustrés et démotivés.

L’Université emploie désormais 1 800 personnes, le moindre mouvement dans la structure des salaires y a des conséquences non-négligeables. En pleine crise, le rectorat a demandé en avril à l’OGBL d’interrompre les négociations sur le contrat collectif, mais celles-ci pourraient, selon les vœux du président du Conseil de gouvernance Yves Elsen, être reprises avant l’été. Car le temps presse pour sortir de cette crise : le prochain plan de développement quadriennal devrait être finalisé d’ici fin juin, le budget pour 2018 être déposé avant octobre, le nouveau recteur engagé d’ici janvier… et la campagne électorale pour les législatives de 2018 commence. L’OGBL a déjà entamé la tournée des partis, pour s’accorder avec eux sur les possibles dérives d’une « politique d’épargne exagérée qui risque de miner le développement futur de l’Université » (communiqué commun avec le LSAP le 9 juin).

josée hansen
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