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Exit Suburbia

d'Lëtzebuerger Land vom 10.12.2009

Le commerçant Nicolas R. « mène une vie dans l’état d’esprit ‘rock’n roll’ » a-t-il affirmé devant la chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, versant, pour preuve, des photos au dossier sur lesquelles on le voit, avec son épouse, sur sa Harley-Davidson. Il s’est tellement dédié au mode de vie US qu’il a ouvert un bar américain dans la paisible bourgade de Remich, et, pour attirer les clients qui partagent sa passion pour l’American way of life, a décoré la bâtisse d’un dessin d’Elvis Presley et d’une Cadillac. Très vite, le décor baroque – à côté des fresques, le commerçant avait fait apposer des affiches publicitaires avec la marque de la bière ainsi que le nom du café – a déclenché l’ire du Service des sites et monuments nationaux (SSMN), chargé de l’exécution de la loi de 1983 sur la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ainsi que du règlement grand-ducal de 1984 définissant le cadre dans lequel des panneaux publicitaires peuvent être apposés dans les villes et villages.

Selon ce règlement, les publicités d’une surface totale en-dessous de 1,5 mètre carrés peuvent en principe être fixées sans autorisation sur la façade principale du commerce. Tout ce qui dépasse de cette norme est soumis à autorisation de la part du ministère de la Culture, sur avis du SSMN ; l’article 13 énumère 21 localités (plus les secteurs protégés de la capitale) particulièrement protégées où toute publicité est en principe interdite, sauf autorisation du ministère. Remich en fait partie. Le rockeur intrépide, qui n’avait pas demandé d’autorisation, plaida pour sa cause en insistant sur le contexte urbanistique peu esthétique (proximité de dix stations essence !) et sur sa liberté d’expression artistique. Or, les juges ne l’ont que partiellement suivi, estimant que les dessins peuvent « plaire aux uns et déplaire aux autres », mais qu’ils ne constituent cependant pas de publicités incitant à la consommation d’un produit. Par contre, le pré-venu à été condamné, le 15 juillet dernier, à une amende de 1 500 euros et à enlever les banderoles publici­taires non-autorisées et remettre le bâtiment dans son état antérieur endéans les six mois.

Le Service des sites et monuments nationaux se bat avec l’énergie du désespoir contre la suburbanisation à l’américaine du Luxembourg, voulant préserver les contrées bucoliques et les villages pittoresques du grand-duché de ce qu’il appelle « pollution optique ». Ses fonctionnaires sont actuellement en train de dresser l’inventaire de tous les panneaux existants, village par village – et découvrent nombre d’affiches, lumineuses ou non, hors normes et qui n’ont jamais été autorisées. Ainsi, les villages de Mersch, Larochette, Differdange et Echternach ont déjà été inventoriés ; à Mersch, 104 commerçants et sociétés ont été saisis et invités à régulariser leur situation. Sur les demandes introduites après ce courrier du SSMN, seules sept ont été refusées. Vingt pour cent des interpellés n’ont pas donné suite, précise la ministre Octavie Modert (CSV) le 27 octobre, en réponse à une question parlementaire de Marc Spautz (CSV) à ce sujet, qui s’était interrogé sur l’opportunité de cette démarche. « Le service est inspiré par la volonté d’assurer un traitement égal aux commerçants et aux entreprises, » garantit la ministre. La non-intervention des autorités étatiques face à l’érection sauvage de publicités et enseignes rendrait, à terme, la législation caduque, c’est évident. D’ailleurs l’exemple du panneau Hornbach, à Bertrange, surdimensionné mais toujours en place, car ayant gagné devant les juridictions administratives, a inspiré un projet de loi au ministère, déposé il y a presque dix ans, et qui n’a toujours pas été adopté par les députés. Depuis, d’autres cas notoires de publicités illégales ont suivi, que ce soit un supermarché à Bonnevoie ou un téléphoniste à Bertrange. Le nouveau projet de loi prévoit des « dispositions moins rigoureuses » promet la ministre. Mais pour qu’elle puisse entrer en vigueur, il faudrait que le texte soit adopté. Or, en temps de crise, la balance des priorités politiques penche plus souvent pour la liberté du commerce que pour la protection du patrimoine.

josée hansen
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