CSSF

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

d'Lëtzebuerger Land vom 29.01.2009

Comme sortie de piste, celui que l’on qualifie de « petit père » de l’industrie des fonds au Luxembourg, aurait pu espérer mieux. 2008 aura été l’année de trop pour Jean-Nicolas Schaus, le directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), qui, à 68 ans, tirera officiellement sa révérence le 30 avril prochain, au terme d’une carrière entièrement consacrée à servir l’État et la place financière. On ne lui prête pas actuellement une forme olympique. Lors d’une de ses dernières apparitions publiques, au début du mois de janvier devant les membres de la Commission spéciale « Crise financière », il a dû reconnaître ne pas être très au faîte du dossier du scandale « Madoff », sur lequel les dé­putés voulaient l’interroger. Il était en congé, s’est-il alors excusé. L’entre­vue avec les députés de la commission spéciale a duré une demi-heure, mais personne, selon les indiscrétions qui en ont filtré, n’a eu l’impudeur d’évoquer devant lui la question de sa succession, à trois mois pourtant de son départ officiel. 

Le patron de la surveillance financière a peut-être trop tiré sur la corde, en demandant au ministre du Trésor et du Budget, à deux reprises une prolongation de son mandat à la tête de la CSSF au-delà de l’âge légal de la retraite. Ce que Luc Frieden fit volontiers, sans aucune vision stratégique, ni véritable calcul politique. Ce fut une erreur du ministre CSV, qui doit aujourd’hui regretter son insouciance à avoir fait peser la responsabilité de la CSSF sur un homme usé, très loin d’incarner la nouvelle garde, alors que les doutes s’emparent de la place financière et que la pression monte sur la Com­mission de surveillance, notamment dans le dossier Madoff. Le sang neuf était nécessaire aux postes de commandement, pour répondre aux nombreux défis de l’activité financière. La classe politique ne l’a compris que très tard. En attendant la prise de fonction de la nouvelle équipe dirigeante au printemps prochain, la CSSF subit les attaques au mortier auxquelles elle a répondu plutôt mollement jusqu’à présent. 

Mardi, un cabinet d’avocats parisien, représentant des investisseurs du fonds Luxalpha (lire aussi d’Land des 09, 16 et 23/01/09) touché par l’escroquerie Madoff, a écrit à Jean-Nicolas Schaus dans l’espoir de décrocher un rendez-vous pour qu’il s’explique sur les mesures qu’il a prises, notamment auprès d’UBS Luxem­bourg, la banque dépositaire de Lux­alpha, pour que les clients puissent être remboursés, comme la législation le prévoit. La veille lundi, un autre cabinet français avait également saisi les dirigeants de la CSSF pour qu’ils fassent « injonction » à UBS de restituer leur argent aux clients du fonds d’investissement. Deux appels du pied qui prennent le gendarme de la place financière, mais aussi le ministre Luc Frieden au mot, eux qui tour à tour ont assuré les investisseurs du très haut degré de protection de l’épargne au Luxembourg. Les clients du centre financier demandent désormais à juger sur pièces. 

La pression était en tout cas trop importante pour les hommes du pouvoir pour laisser agir les ingrédients habituels de la cuisine luxembourgeoise. Il n’y a plus de place pour l’improvisation dans le choix des grands commis de l’État. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker ne pouvait pas cette fois se payer le luxe de remettre à la dernière minute la nomination des nouveaux dirigeants de la CSSF, comme il l’a fait avec Yves Mersch, le président de la Banque centrale du Luxembourg, resté sans affectation pendant 24 heures, faute d’une décision prise à temps par le conseil du gouvernement. Fini la rigolade et les blagues de potaches. 

Il aura sans doute fallu les avertissements de plusieurs experts du secteur financier, invités eux aussi à exprimer leurs vues devant la commission Crise financière, pour que le gouvernement décide d’urgence de nommer les membres du nouveau comité de direction de la CSSF, comme les nouveaux statuts de l’institution, ancrés dans la loi du 24 octobre 2008, le prévoient d’ailleurs. Les nominations n’avaient pas été annoncées à l’avance en interne. Les chefs de service ont appris la nouvelle dans les journaux. 

La loi a plus de trois mois. Les statuts de la Commission de surveillance ont permis d’élargir de trois à cinq le nombre de dirigeants. Le conseil du gouvernement a validé la semaine dernière quatre nominations seulement, laissant encore en suspens le choix d’une cinquième personne au comité de direction. L’équipe dirigeante, qui assurera la parité homme-femme, pourra difficilement en rester là, du moins si elle entend fonctionner selon les principes de la collégialité et de bonne gouvernance. En cas de désaccord au sein du comité, les arbitrages sont facilités par une équipe en nombre impair. 

Outre Jean Guill, qui va prendre le relais des mains de Jean-Nicolas Schaus à la direction générale, le comité de direction comprendra Simone Del­court, confirmée à la section des fonds d’investissement, et Claude Simon, qui assurait à lui seul l’intérim au contrôle des banques, après le départ précipité à la mi-août 2008 du numéro deux de la maison, Arthur Philippe, dont les relations avec le « patron » étaient devenues si houleuses qu’il était désormais impossible de les camoufler à l’extérieur. Claude Simon est décrit comme un très bon technicien, qui pourrait devenir un « chien méchant » si on le lui demande. Politiquement, il est proche de la famille LSAP. La petite histoire dit que Arthur Philippe, longtemps pressenti pour devenir le calife, a claqué la porte de la CSSF et demandé à prendre tous les jours de congés qui le séparait de la retraite, le jour où Jean-Nicolas Schaus lui aurait assuré, non sans morgue, que son CV de « non-juriste » lui barrait à jamais l’accès à la fonction suprême de directeur général. Officiellement, le contrat d’Arthur Philippe se termine le 1er avril prochain. Depuis l’été dernier, il n’y avait plus de véritable capitaine à la surveillance des banques, alors que plusieurs vaisseaux amiraux du secteur bancaire, à commencer par Fortis Banque Luxembourg – désormais BGL – et Dexia Bil ont manqué de faire naufrage. Une autre légende bien accrochée raconte qu’Arthur Philippe se dorait la pilule sous les cocotiers de l’Ile Maurice lorsque les dirigeants politiques passaient des nuits blanches à tenter de sauver les établissements financiers. C’était parfaitement le droit du futur retraité de coincer la bulle en maillot de bain à cette époque-là, mais ce tableau pittoresque n’a pas contribué à relever l’image de marque de l’ensemble de la Place. 

En envoyant un de ses meilleurs commis, Jean Guill, à la tête de la CSSF, le gouvernement Juncker a voulu donner un signal « clair », tant aux milieux d’affaires qu’aux investisseurs, et dire que la Commission de surveillance, particulièrement chahutée au cours des dernières semaines, était désormais sous contrôle. 

Le changement dans la continuité, as usual ? Peut être pas. Car il faut s’attendre à ce que la CSSF retrouve un peu la vocation qui aurait toujours dû être la sienne : le contrôle du secteur financier, avant son marketing. « Jean-Nicolas Schaus n’a jamais compris qu’il avait aussi à être un flic », ironise un observateur du microcosme financier. Personne ne demande à Jean Guill, réputé très proche de Luc Frieden, de jouer les roquets, ni d’aller jusqu’aux excès qui peuvent caractériser le contrôle financier en France. Le futur patron de la CSSF pourrait toutefois demander aux membres de son équipe de se montrer moins compréhensifs que par le passé envers les milieux financiers. L’usage de l’arme de l’injonction va-t-il se généraliser sous le nouveau régime ? Jean-Nicolas Schaus en a usé en tout cas avec la plus grande parcimonie, ce dont il se vantait d’ailleurs. 

Dans ce contexte, la nomination d’Andrée Billon dans le comité de direction de la CSSF ne doit rien au hasard. Transfuge de la Banque centrale du Luxembourg dont elle est encore la numéro deux, cette femme de tête, « compétente et travailleuse », devrait prendre en charge la surveillance bancaire, laissée en jachère depuis l’été dernier. Officiellement, le conseil de gouvernement s’est contenté de donner des noms, sans fournir les attributions respectives du quatuor qui dirigera la Commission de surveillance. 

La nomination d’Andrée Billon est un « coup de poker » politique du duo Juncker/Frieden. Elle permet d’abord de couper court aux critiques d’un certain Yves Mersch, patron de la BCL, qui a toujours été si prompt à mettre en cause l’absence de concertation en­tre les deux autorités financières du pays, la BCL et la CSSF, dans la gestion de situation de crise notamment. Les politiques ne s’exposeront plus désormais à cette critique. La venue d’Andrée Billon peut aussi être interprétée comme un signe de rapprochement entre deux institutions, que d’au­cuns rêvent de marier pour n’en faire, à terme, plus qu’une. Avant l’union, les deux maisons pourraient être pous­sées à dégager davantage de synergies. Le maintien, à l’échelle du microcosme luxembourgeois, d’une CSSF et d’une BCL – sans oublier le Commis­sariat aux assurances – avec des missions qui font parfois doublon, se justifie de plus en plus difficilement sur le plan économique et encore moins du point de vue stratégique. 

L’intégration des marchés financiers rend en effet l’exercice d’un contrôle prudentiel flexible, pragmatique et sur mesure, difficile à pratiquer sur le terrain. Avec la crise, les banquiers ont intégré ce paramètre. Leur future interlocutrice devrait d’ailleurs rompre avec le modèle du passé, où se télescopaient, dans un mélange de genres, des exigences prudentielles à des considérations de marketing. Jean-Nicolas Schaus, que Luc Frieden a placé à la tête du Comité de développement de la place financière, mélangeait sans aucun complexe les casquettes, coiffant un jour celle du gendarme du secteur financier et le lendemain celle du promoteur des produits « made in Luxembourg ». Sans trouver d’ailleurs de contradiction dans ce rôle de composition. Ce modèle ne lui survivra probablement pas. Andrée Billon devrait avoir les mains libres pour faire le flicage qui s’impose, avec ses méthodes à elle. 

« Il y avait un gros malaise à la CSSF », relève un homme du sérail, sous le couvert de l’anonymat. « L’affaire des banques islandaises, poursuit cette source, qui a permis de récolter les dépôts des Européens pour aller financer les maisons mères à Reykjavik (voir ortho), a mis à jour l’absence véritable de supervision et de contrôle des banques ». La tâche est immense pour de l’équipe de Jean Guill. 

Véronique Poujol
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